[singlepic id=672 w=320 h=240 float=left]La Cour des comptes – présidée par Didier Migaud (photo) – qui vient de rendre public son rapport annuel, fustige le parcours de soins en raison de sa non médicalisation. Le Premier ministre a, de son côté, défini une « stratégie nationale de santé » fondée sur une médecine de parcours et installé un Comité des Sages chargé de lui faire des propositions. Le comble est que toutes les infrastructures – législatives, techniques et organisationnelles – d’une médecine coordonnée existent déjà ! Mais qu’il manque l’ingrédient principal pour que la machine fonctionne : l’information. Analyse.
« La délégation de la mise en œuvre du dispositif du médecin traitant et du parcours de soins aux partenaires conventionnels a eu pour conséquence de largement faire prévaloir les préoccupations tarifaires des médecins dans un jeu d’autant plus complexe que généralistes et spécialistes portaient des revendications différentes ». En une phrase, le rapport annuel de la Cour des Comptes – analysant l’organisation actuelle de la médecine de ville – met le doigt là où cela fait mal. C’est à croire que les auditeurs de la juridiction de la rue Cambon ont assisté, tapis dans l’ombre, à la négociation de la convention médicale 2005 : celle-là même qui a mis en musique le parcours de soins et le médecin traitant en application des principes posés par la réforme de l’Assurance-maladie de 2004.
Organiser le parcours
Le cadre, fixé par la loi, est assez simple. Pour éviter le nomadisme médical, les prescriptions inutiles et excessives, les examens redondants, etc., les assurés sociaux seront invités à choisir un médecin traitant – version moderne du médecin de famille et avatar du médecin référent – qui assurera leur suivi médical et les adressera, si nécessaire, vers un spécialiste – appelé médecin correspondant – ou vers l’hôpital, lesquels devront lui faire un retour d’informations. Tout l’enjeu de la négociation conventionnelle consistera à organiser ce parcours et surtout à trouver les moyens d’inciter les médecins – généralistes et spécialistes – à jouer le jeu.
Au fil des séances de négociation – dont la longueur et l’intensité n’ont rien à envier à celles des débats qui viennent d’avoir lieu à l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur le mariage pour tous – l’objectif de santé publique a été perdu de vue au profit de la recherche d’incitations tarifaires. Les discussions ont pris parfois des allures de discussions de marchands de tapis. La préoccupation majeure des syndicats de médecins majoritaires (CSMF et SML) – perpétuellement écartelés entre leur base généraliste et leur base spécialiste – était qu’à l’issue de la négociation aucune des deux bases n’ait l’air d’avoir été avantagée. C’est ainsi que dès qu’un coup de pouce était dégagé pour l’une, il fallait trouver une compensation pour l’autre.
Un maquis tarifaire
Au final, les généralistes – appelés à être les médecins traitants – ont principalement gagné plusieurs forfaits dont celui de 40 euros annuels pour leurs patients en ALD (affections de longue durée). Les spécialistes ont de leur côté bénéficié d’une majoration d’honoraires au titre de la coordination des soins, des majorations provisoires – qui a force d’être reconduites sont devenues permanentes – et des majorations sur certains actes spécifiques, sans parler des pédiatres, exclus par nature du parcours de soins (il ne concerne que les assurés à partir de 16 ans), auxquels il a fallu trouver des compensations. Au total, un maquis tarifaire dans lequel l’assuré a du mal à se retrouver, de même d’ailleurs que les médecins et… l’assurance-maladie.
Les économies, c’est pas automatique !
Le contexte politique a aussi favorisé cette négociation baroque. En 2005, la majorité UMP est en pleine opération de reconquête de l’électorat médecin encore secoué par la potion administrée par Alain Juppé et ses fameuses ordonnances de 1996. Un enjeu d’autant plus important que les élections de 2007 se profilent à l’horizon.
La convention, signée le 12 janvier 2005, met en place le médecin traitant et le parcours de soins avec ses règles, ses exceptions, sa structure tarifaire alambiquée et prévoit 1 milliard d’euros d’économies au titre de la maitrise médicalisée. Syndicats de médecins et assurance-maladie communiquent beaucoup sur l’effort que les médecins vont faire sur les prescriptions (de médicaments, d’examens complémentaires, d’arrêt de travail) et sur les bienfaits du parcours de soins.
Mais, au fond, personne n’est dupe. Comme les antibiotiques, les économies, c’est pas automatique ! Le soir même de la signature de la convention, Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’UNCAM, fait preuve d’une certaine clairvoyance ou d’un désenchantement certain en confiant : « Pour espérer 1 milliards d’euros d’économies, je mets sur la table 750 millions d’euros d’engagement ferme de majoration et de forfait ». Une évaluation à la louche confirmée aujourd’hui par la Cour des Comptes qui estime que, dans l’affaire, les spécialistes ont gagné 324 millions d’euros et les généralistes 271 millions d’euros…
Stratégie du donnant-donnant
Ni cette année-là, ni les années suivantes, les objectifs de maitrise médicalisée ne seront tenus alors que les revalorisations, les majorations et les forfaits ont été maintenus. Cette situation explique pourquoi, à partir de 2007, la Caisse nationale d’assurance-maladie a bloqué toutes les revalorisations d’honoraires, y compris celles qui étaient programmées. Il a fallu des interventions politiques, parfois musclées, pour que quelques coups de pouce soient donnés, notamment pour que la symbolique Consultation de médecine générale soit portée à 22, puis à 23 euros. La stratégie de la Caisse nationale d’assurance est désormais celle du donnant-donnant. Elle ne veut plus payer pour voir, mais veut voir avant de payer. D’où l’introduction du paiement à la performance introduit dans la convention 2011. Les médecins toucheront une prime en fonction d’indicateurs et d’objectifs…
Un parcours entré dans les moeurs
A part cette révolution copernicienne du paiement à la performance, la nouvelle Convention n’a pas modifié l’organisation du parcours de soins et la structure tarifaire, si ce n’est en remplaçant le forfait de 40 euros pour les patients en ALD par un forfait de 5 euros pour tous les patients. 90 % des assurés ont choisi un médecin traitant et à 95 %, il s’agit d’un médecin généraliste dont l’activité se fait presque exclusivement dans le cadre du parcours de soins. Celui-ci est entré dans les mœurs, tant du coté des patients que du coté des médecins.
En lançant vendredi 8 février, la stratégie nationale de santé qui devrait à terme se traduire par la mise en place « d’une médecine de parcours dans laquelle la médecine de ville devra apporter les soins de premier recours et l’hôpital, les diagnostics les plus graves et la prise en charge des épisodes aigus », Jean-Marc Ayrault (photo) n’a-t-il pas réinventé l’eau chaude ?[singlepic id=671 w=220 h=140 float=right] Il a aussi précisé « qu’il faut cesser de concevoir la médecine comme une succession d’actes ponctuels et créer une médecine de parcours reposant sur la coopération des professionnels ». Tous ces principes existent déjà et ont été précisés dans la loi Hôpitaux, patients, santé, territoires (HPST) de juillet 2009. Le Premier ministre aurait été plus inspiré d’évoquer la méthode et les moyens de parvenir à mettre en place cette médecine de parcours. Avec le cadre législatif actuel, les tuyaux existent. Le problème est de les alimenter. Et l’alimentation de ces tuyaux, c’est l’information médicale et sa circulation.
Le partage de l’information était l’objet du Dossier médical partagé – devenu dossier médical personnel – projet mirifique qui devait, selon l’ineffable Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, généré 7 milliards d’euros d’économies dès 2007…Des mauvais choix techniques, une absence de pilotage, une volonté politique aléatoire, des débats byzantins sur la nature des informations à inclure dans le dossier, sur le masquage des données et le masquage du masquage ont abouti à un enlisement – pour ne pas dire à un échec – du DMP. Le partage de l’information est clairement le chaînon manquant d’une médecine de parcours et de réseaux.
Des pistes pour les Sages
Le Comité des Sages (1) que Jean-Marc Ayrault vient de mettre en place pour organiser cette médecine nouvelle devrait se concentrer sur cette question de l’information médicale.
Quelques pistes peuvent lui être suggérées : – Tirer un trait sur l’actuel DMP et supprimer l’ASIP qui à force d’initiatives hasardeuses et de relances sans lendemain a dépensé 216 millions d’euros pour rien. – Imaginer un système de circulation de l’information centrée autour des malades chroniques et en ALD. Ces 10 millions de patients génèrent 80 % des dépenses maladie. C’est pour cette population que le partage de l’information est indispensable et pour laquelle il faut déterminer les indicateurs et les données les plus pertinentes. – Concentrer – c’est logique – les incitations accordées aux professionnels de santé sur cette population. Le forfait de 5 € pour tous les patients est un effet d’aubaine. Il faut le recentrer sur les patients chroniques et en ALD et le conditionner à la réalisation d’objectifs de qualité et de mise à jour de l’information, – Organiser la circulation de l’information entre la ville et l’hôpital – qui est encore trop souvent une citadelle imprenable – en conditionnant une part du budget à la mise en place et à l’efficience des systèmes d’information, – Introduire dans la formation médicale initiale et continue (dans le cadre du DPC) des sessions validantes de gestion de l’information médicale.
Le parcours de soins, tel qu’il existe actuellement est une usine à gaz dans laquelle il n’y a pas de gaz. L’enjeu est d’y mettre la flamme de l’information.
Philippe Rollandin
(1) Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a nommé vendredi 8 février un comité de Sages chargé de mener de travaux de réflexion sur la réforme du système de santé. Ce comité sera coordonné par Alain Cordier, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l’AP-HP et membre de la HAS. Il sera accompagné de : Geneviève Chêne, chef du pôle santé publique au CHU de Bordeaux ; Pierre de Haas, généraliste, président de la fédération française des maisons et pôles de santé ; Gilles Duhamel, inspecteur général des affaires sociales ; Emmanuel Hirsch, directeur de l’espace éthique de l’AP-HP ; Françoise Parisot-Lavillonière, directrice, pour la région Centre, de l’institut régional de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge et Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens. Curieusement aucun représentant du monde des associations de malades ne figure dans cette liste, ce dont s’est ému le Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS).