Les syndicats de médecins libéraux, généralistes en tête, se sont lancés début janvier dans un mouvement de transgression tarifaire et ont donné un avertissement net au gouvernement comme à l’Assurance-maladie : 2016 ne pourra pas rester pour les médecins libéraux une « année blanche de plus » au plan tarifaire. La première condition posée par le mouvement est de rajuster le tarif de base des généralistes au niveau de celui de toutes les spécialités, soit un C à 25 euros. La seconde est de redorer le blason des soins primaires et de leurs acteurs, les généralistes. Face aux médecins libéraux, Nicolas Revel, le patron de la CNAM, fait la source oreille et maintient son cap sur la question du tiers payant généralisé pour lequel un rapport, rédigé avec les complémentaires, doit être rendu en janvier.
L’année aura commencé sur les chapeaux de roue pour les syndicats médicaux. A peine sortis de la trêve des confiseurs, ces derniers ont lancé, pour les uns (UNOF-CSMF) un mot d’ordre de « désobéissance tarifaire » – en exigeant un tarif de 30 euros pour la consultation du généraliste et une application immédiate à 25 euros par ces derniers -, et pour les autres (MG France) une consigne de transgression – en appelant les généralistes à passer à 25 euros pour leur consultation de base, au nom de l’équité, à l’instar de ce que pratiquent déjà les autres spécialités -. Seule la Fédération des Médecins de France, poussée par l’Union Française pour une médecine libre (UFML), associations de médecins ultra-libéraux et anti-convention, ne rejoint pas ces consignes, estimant qu’il faut aller plus loin dans la contestation en poussant les médecins à se déconventionner, avec les conséquences que suppose un tel acte (cf. « Sortir de la convention, à quel prix ? »).
60,6 % de médecins prêts pour la bataille
Cette relance brutale de la contestation dans les rangs du monde médical, après la grande manifestation de rue des professionnels de santé du 15 mars 2015 et les grèves engagées l’automne dernier par les médecins généralistes, a récemment trouvé de nouvelles assises. En effet, selon une enquête diligentée auprès des médecins en décembre dernier par les grandes centrales syndicales représentatives du monde médical libéral (MG France, UNOF-CSMF et FMF), quelque 54,7 % des médecins ont fait part d’une « forte envie de mobilisation » pour ce début d’année. 45,2 % ont également avancé vouloir participer à une action tarifaire dès janvier. 60,6 % ont, par ailleurs, fait savoir par avance qu’ils participeraient « sûrement » aux mots d’ordre des syndicats pour appliquer un tarif de la consultation à 25 euros et 55,4 % se sont déclarés « sûrement » favorables à l’application d’une majoration substantielle du tarif de la visite au domicile des patients. Face à l’obligation de tiers payant que leur impose désormais la loi de modernisation du système de santé votée en décembre dernier, la détermination des praticiens libéraux reste également la même : 66,8 % disent qu’ils n’appliqueront pas ce tiers payant s’il devient obligatoire « pour des situations autres que celles de la convention médicale actuelle », et 50,8 % se déclarent prêt à se lancer dans une grève administrative avec des mots d’ordre précis émanant des syndicats. Ce thermomètre du niveau de mécontentement des praticiens libéraux traduit à l’évidence un état d’esprit d’exaspération parmi les médecins généralistes libéraux que les autorités en charge de la santé auraient tort de sous-estimer.
Demande d’équité tarifaire
Fort des résultats de leur sondage, les syndicats médicaux ont poussé la machine et décidé de faire monter la pression en appelant leurs adhérents à pratiquer dès ce début janvier un C à 25 euros, en assortissant le prix du tarif de base de leur consultation (23 euros) d’un dépassement exceptionnel (DE) de 2 euros. Ce afin de ne pas pénaliser leurs patients qui devraient pouvoir être remboursés par leur mutuelle de ce supplément. « Le tarif de la consultation du médecin généraliste a été augmenté pour la dernière fois le 6 janvier 2011, souligne ainsi le syndicat des généralistes MG France. En ce jour anniversaire, nous rappelons que l’accès à la médecine générale est notamment compromis par l’injustice faite à cette spécialité dont les actes sont minorés de 2 € par rapport à toutes les autres. » Pour Claude Leicher (photo), son président, cette « inéquité tarifaire », qui pénalise la médecine générale par rapport aux autres spécialités, constitue une des causes – et non des moindres – de la désaffection des jeunes générations de médecins pour l’exercice médical en soins primaires. « Les médecins généralistes n’obtiendront en 2016 que ce qu’ils iront chercher eux-mêmes », avertit ce dernier.
Dans les rangs de l’UNOF, branche généraliste de la CSMF, le ton est le même : « Chaque spécialiste de médecine générale doit se mobiliser pour que notre exercice occupe la place qu’il mérite dans le paysage médical », fait savoir Luc Duquesnel, son président, pour qui « la situation de la médecine générale se dégrade jour après jour pour devenir aujourd’hui la spécialité médicale la moins attractive pour les futurs médecins ». La Fédération des Médecins de France (FMF), sous la pression de l’Union Française pour une Médecin Libre (UFML) qui l’a fortement soutenue lors des dernières élections pour les Unions professionnelles (URPS) et réclame la « liberté tarifaire », veut, pour sa part, aller plus loin en « demandant une action autrement plus violente qu’un C à 25 euros ». Soit une sortie en masse, organisée par département, des médecins de la convention médicale signée en son temps par les syndicats, dont la FMF, présidée par Jean-Paul Hamon.
Pessimisme dans la profession
Les syndicats médicaux ont également puisé de nouveaux motifs de relance de l’action dans les résultats de l’enquête diligentée entre octobre et novembre dernier auprès de 35 000 médecins, de tous âges et formes d’exercice, par l’Ordre des médecins. Cette « grande consultation », assez inédite dans la forme, visait, selon les termes de son président, le Dr Patrick Bouet (photo), « à redonner la parole à tous les médecins, à renouer le dialogue avec tous les acteurs de la santé et construire ensemble le système de santé de demain ». Si les praticiens du pays affichent à 89 % leur fierté d’appartenir à la profession de médecin et se disent très majoritairement (88 %) heureux d’exercer leur métier, il n’en est pas de même dans leur relation avec leurs tutelles : 97 % considèrent subir trop de contraintes réglementaires, économiques et administratives, qui empiètent sur leur temps médical. Le malaise est donc perceptible dans une profession dont 91 % de ses membres estiment que leur mission de service public est mal reconnue. Les médecins français expriment également de l’inquiétude quant à leur avenir : ils sont 82 % à considérer que leur système de santé se détériore et 86 % à faire part de leur pessimisme pour l’avenir. La récente loi de santé, fortement contestée par les syndicats médicaux, n’est pas pour redresser la tendance : au nombre des réformes souhaitées, les médecins plébiscitent à 98 % une réduction des tâches administratives. « Le médecin veut soigner, souligne à cet égard le président du CNOM. C’est pour soigner qu’il a fait médecine. Or, aujourd’hui, son temps médical est embolisé par des tâches administratives, ce qui est source de frustration. C’est vrai pour tous les médecins, pas seulement pour les libéraux ! C’est un point capital à prendre en compte. »
Forts des constats qu’établit son enquête, l’Ordre des médecins entend aller plus loin et tirer quelques enseignements utiles en vue de la rédaction de son prochain livre blanc, dont les recommandations seront présentées le 26 janvier prochain. L’institution ordinale veut peser dans les débats de la future Grande Conférence de Santé convoquée par le gouvernement pour le mois de février 2016, mais que les syndicats de médecins libéraux ont décidé de boycotter. Enfin, elle ne fait pas non plus mystère de son intention d’interpeler les futurs candidats à la présidentielle de 2017 sur leur vision du système de santé pour la France de 2010. « Les médecins souhaitent être associés à une vraie évolution du système de santé », note à cet égard Patrick Bouet, pour qui « la profession n’est pas rétive au changement ».
La CNAM maintient sa ligne
Dans ce contexte pour le moins agité, le nouveau patron de la CNAM, Nicolas Revel (photo), a, en décembre, fait savoir qu’il ne dérogera pas de la ligne fixée par le gouvernement. En prise avec un recours déposé en septembre par MG France « pour supprimer l’inéquité de traitement subie par les médecins généralistes », le directeur de l’Assurance-maladie obligatoire renvoie la contestation tarifaire à la future négociation conventionnelle, qui devrait s’ouvrir le 15 février. En réponse à ceux qui critiquent la gestion de l’Assurance-maladie, il a fait savoir par voie de presse que la Sécu ne s’est pas désengagée de la couverture maladie et qu’elle assure encore la prise en charge de 77 % des dépenses de santé (1). De plus, pour ce dernier, les restes à charge des patients sont en recul et se situent au niveau les plus faibles des pays européens (8,5 %). Une analyse que réfute l’UFC-Que-Choisir (2), qui indique en décembre que la baisse affichée par la CNAM du taux de dépassement des honoraires s’explique par une progression du nombre d’actes effectués sans dépassement par les médecins de secteur 2, « du fait du contrat d’accès aux soins (CAS) et de l’interdiction récente d’en facturer aux bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS). » Avec un total plus élevé de dépassements, répartis sur un nombre plus limité d’usagers, le montant moyen des dépassements d’honoraires subis s’accroit, plaide l’organisation des consommateurs. Il attendrait en 2015 plus de 2,5 milliards d’euros, portant les restes à charge à un niveau supérieur à 5 milliards (en tenant compte des dépenses non remboursées dans le dentaire, l’optique et les appareils auditifs).
Enfin, le directeur de la CNAM maintient également le cap fixé par le gouvernement sur la question de la généralisation du tiers payant en 2017. « Je comprends les craintes des médecins face au risque de la complexité, mais je suis convaincu que nous pouvons déployer un tiers payant généralisé dans des conditions qui répondent à leurs exigences légitimes de simplicité et fiabilité », note Nicolas Revel (1). « L’enjeu pour l’assurance maladie sera d’être prêt dès juillet prochain, car le tiers payant sera alors ouvert à tous les assurés en affection de longue durée (ALD) ou en maternité. Les solutions que nous proposerons aux médecins pour cette première étape seront un véritable test de notre capacité à réussir le tiers payant généralisé en 2017″, ajoute ce dernier. Reste qu’il est aisé de promettre un tiers payant sur des populations prises en charge à 100 % (dont par la seule Sécu) et que le dispositif technique à installer entre régime obligatoire et assureurs complémentaires pour gérer ensemble le tiers payant est loin d’être finalisé. Prudent, Nicolas Revel renvoie les détracteurs du tiers payant au rapport rédigé avec les organismes complémentaires qui doit être remis ce mois-ci. Un rapport qui est très attendu par les médecins.
Pour MG France, la messe est cependant déjà dite et les discours autour du tiers payant ne peuvent pas convaincre les syndicats : « Les régimes complémentaires n’acceptent pas de mettre en place la procédure simple permettant à votre médecin de ne pas vous faire payer la consultation », indique une de ses affiches apposée ce mois de janvier dans les cabinets des généralistes à l’attention des patients. Pour le syndicat, « ni le gouvernement, ni les mutuelles n’assument leur part de responsabilité dans cet échec ». En conclusion, « l’équité ne résume pas les besoins des généralistes, mais elle est la première marche sans laquelle les autres n’ont pas de sens », note encore le syndicat de Claude Leicher, qui sait que 2016 sera bel et bien une nouvelle année décisive pour la médecine générale. Car des réponses qu’apporteront le gouvernement et l’assurance-maladie aux attentes des généralistes dépend l’avenir des soins primaires dans notre pays. Un point sur lequel le gouvernement n’a pas vraiment fait preuve d’audace à travers sa loi de modernisation de la santé qui a évoqué un « virage ambulatoire » qui ne concerne in fine que le seul hôpital invité, pour réduire ses dépenses, à renvoyer ses malades dans le secteur libéral. La future « grande conférence de santé », convoquée par Emmanuel Valls pour février devra donner aux médecins libéraux, principalement aux généralistes, des gages autrement plus sérieux que les promesses non tenues par la récente loi de santé. Au risque de retrouver une nouvelle fois tous les médecins dans la rue.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Au 1er juillet, 10 millions d’assurés sociaux bénéficieront du tiers payant » ; Libération du 15 décembre. (2) « Dépassements d’honoraires : le numéro d’illusionniste de l’Assurance maladie doit cesser », 11 décembre 2015.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...