by Philippe Rollandin | 20 janvier 2021 16 h 32 min
Pour avoir trop redouté les conséquences juridiques d’effets secondaires des vaccins, le gouvernement a fait le ratage du siècle. La dérive judiciariste est un défi lancé à la démocratie. Explications.
Sacrée Mauricette. Le 27 décembre dernier, cette paisible pensionnaire d’un Ehpad de Sevran (93) avait été élevée au rang de reine du jour pour avoir été la première vaccinée en France contre le Covid-19. Olivier Véran en avait fait le symbole de la nouvelle phase de lutte contre le virus et de l’ère d’espérance qui s’ouvrait grâce aux vaccins.
Là, il a fallu moins d’une demi-journée pour que l’icône perde sa couronne et soit à l’origine de la plus violente polémique engendrée par cette crise. Tout ce que le pays compte d’éditorialistes, commentateurs, médecins, politiques, experts de tout et de rien envahit les réseaux sociaux et les plateaux de télévision pour dénoncer, brocarder, vouer aux gémonies et renvoyer dans les flammes de l’enfer le ministre de la santé et sa stratégie « de lenteur assumée » pour la campagne de vaccination.
Les arguments d’Olivier Véran sur la nécessité de rassurer et de s’assurer que la vaccination serait faite dans les meilleures conditions de sécurité et dans les règles éthiques ont été inaudibles, balayés, éparpillés façon puzzle par cette terrifiante comparaison : Au 1er janvier, vaccinations : France 350, Allemagne 250 000.
Le message est remonté jusqu’au Président de la République qui a aussitôt fait savoir son mécontentement sur cette stratégie – qu’il avait pourtant validé en Conseil de Défense – et qu’il demandait une accélération. La parole jupitérienne à peine prononcée, la volteface était engagée. Il avait été décidé que les personnels soignants et ceux des Ehpad attendraient février pour recevoir la précieuse piqure et qu’il était hors de question de faire des vaccinodromes à l’allemande. Changement de programme : dès le 4 janvier, les personnels soignants de plus de 50 ans sont invités à se faire piquer – de préférence devant une caméra de TV – et la création de 600 centres est prévue pour être effective dans les 10 jours afin d’accueillir progressivement toute la population, à commencer par celle des 75 ans qui n’ont plus besoin de passer par la case médecin traitant. Résultat : 400 000 vaccinations au 15 janvier, la plus importante progression de tous les pays d’Europe.
Entre temps, les vaccino-septiques ont miraculeusement disparu. Volatilité de l’opinion ou des chaînes d’info en continu dont la capacité à faire du buzz sur tout et son contraire n’est plus à démontrer ?
La politique du trouillomètre
Au passage, l’administration que l’on dit si lourde et incapable de réaction a fait – dans ce cas – preuve d’une grande réactivité pour opérer ce changement à 180 degrés. Reste la question essentielle : pourquoi cette erreur d’appréciation initiale ? Pourquoi avoir opté pour une stratégie de lenteur après avoir expliqué que le vaccin était l’arme de destruction massive du virus ? La réponse tient en un mot : judiciarisation.
Le ministre de la santé et l’ensemble du gouvernement étaient tétanisés par les « antivax » dont le discours néo-complotiste était alimenté par les réseaux sociaux et complaisamment relayé sur les chaînes d’information en continu par des commentateurs – qui s’en régalaient – mais aussi par des médecins qui doivent à ces chaînes leur heure de gloire Covid.
Cette thèse – qui consiste à trouver bizarre qu’un vaccin apparaisse aussi vite avec une technologie, (l’ARN messager) aux relents sulfureux – a intoxiqué l’opinion. Chaque jour, des sondages – également abondamment commentés – indiquaient que le nombre de vaccino-septiques augmentait pour finalement dépasser la barre des 50% à la veille de Noël.
La peur du gouvernement était qu’un effet secondaire indésirable et grave se produise lors des premières vaccinations et provoque une avalanche de plaintes et un hourvari médiatique. D’où cette prudence. Le fameux document de 45 pages détaillant toutes les procédures à suivre pour une vaccination en Ehpad avec préconsultation et recueil du consentement 5 jours avant la piqure est l’illustration caricaturale de ce qu’il faut bien appeler la « politique du trouillomètre ».
Cette politique ne sort pas de nulle part. Dans les années 90, le vaccin contre l’hépatite B avait suscité une polémique, des plaintes avaient été déposées parce qu’il avait provoqué des scléroses en plaques. Des associations de patients avaient monté en épingle ces cas marginaux mais cela avait suffi à ralentir la diffusion du vaccin.
Fallait-il prendre ce risque avec le vaccin Pfizer contre le Covid-19 ? Le choix initial du gouvernement a été de faire de Mauricette et des premiers vaccinés dans les Ehpad, des « cobayes médiatiques » pour prouver le non-risque du vaccin et de pouvoir monter en puissance à un rythme rassurant.
La bronca a montré que c’était une erreur politique mais le risque juridico-médiatique était bien réel.
Depuis le début de l’épidémie, plus de 150 plaintes ont été déposées au tribunal de Paris et 90 contre les Premier Ministre et plusieurs ministres devant la Cour de Justice de la République (CJR) qui en a retenu 9.
Cette juridiction d’exception a été créée, dans les années 90, pour juger les ministres pour des actes commis dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Au début, le coté entre-soi – à la CJR, ce sont des politiques associés à des magistrats qui jugent d’autres politiques – avait suscité le doute et la crainte que les affaires se concluent par des petits arrangements entre amis.
C’est tout le contraire qui s’est passé. La CJR est devenue une extraordinaire machine à détruire des carrières et à ruiner des ambitions, en application de ce qu’on pourrait appeler « la jurisprudence Fabius ».
L’ancien Premier ministre entre 1984 et 1986 avait été accusé d’être responsable de la mort de plusieurs milliers de personnes pour avoir trop tardé à mettre en place des tests de dépistage du Sida avant une transfusion sanguine. La procédure démontrera que, non seulement, il avait pris les mesures conservatoires nécessaires mais que, compte tenu des connaissances sur le SIDA à l’époque, il ne pouvait pas faire plus. A ses côtes, sur le banc des accusés, il y avait Georgina Dufoix, alors ministre des affaires sociales et Edmond Hervé, secrétaire d’Etat à la santé, le seul qui sera condamné car il fallait bien un coupable. L’affaire a été jugée en 1999, soit près de 15 ans après les faits. Pendant toute cette période, Laurent Fabius a vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, ce qui a ruiné ses ambitions présidentielles.
Accusation de génocide
Cette affaire du sang contaminé est le point de départ de la dérive judiciariste de la vie politique où la frontière entre responsabilité politique et responsabilité juridique est abolie et où le droit entrave le politique et la politique.
Georgina Dufoix, mise en cause dans cette affaire, a dit un jour qu’elle se « sentait responsable mais pas coupable » dans le drame des victimes du sang contaminé. Cette phrase a été alors jugée malheureuse.
Et pourtant, c’est le cœur du sujet. Les ministres prennent tous les jours des décisions qui peuvent s’avérer funestes et avoir des conséquences graves à plus ou moins long terme. Sont-ils pour autant coupables d’un point de vue juridique ?
Dans cette dérive judiciariste, on note que les ministres sont poursuivis pour des décisions et parfois pour des non-décisions… On peut donc parier que la montée en puissance relativement lente de la vaccination en EHPAD va générer une série de plaintes, certains pouvant considérer que cette stratégie a impliqué une perte de chance pour eux-mêmes ou pour un proche.
Les 9 plaintes retenues par la CJR, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 accusent les ministres de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour protéger les Français. Mais les plaignants ne précisent pas quelles dispositions auraient dû être prises. Du coup, la CJR a lancé, en octobre des perquisitions dans les bureaux et domiciles de plusieurs ministres dont celui de la santé et de l’ancien premier ministre au Havre. Des nuées de policiers et de gendarmes ont retourné ces lieux de travail et de vie « pour chercher d’éventuelles preuves montrant que le gouvernement avait connaissance de mesures de santé nécessaires et qu’il ne les a pas prises ».
Ainsi donc, selon une importante juridiction du pays, un chef de gouvernement et plusieurs ministres auraient eu les moyens d’arrêter l’épidémie et les auraient enterrés. Pourquoi ne pas les accuser directement de génocide ?
Une plainte reproche à l’actuel Premier ministre, Jean Castex, « de naviguer à vue dans la lutte contre l’épidémie ». Quelle est donc le fondement juridique d’une telle accusation qui relève plus d’un argument de café du commerce ou d’un plateau de CNEWS – qui remplace le premier actuellement fermé – que d’une analyse de droit ?
Ces plaintes sont déposées par des associations de patients, des collectifs de médecins et même des particuliers dont un parent est décédé en Ehpad et qui considèrent que les membres du gouvernement sont responsables de sa mort.
Au printemps dernier, selon des informations relayées par plusieurs médias, le Président aurait reproché à Edouard Philippe de vouloir préserver sa sécurité juridique parce qu’il souhaitait prolonger le confinement jusqu’à ce que la circulation du virus soit mieux contrôlée. Vrai ou faux ? On ne sait pas mais aujourd’hui, avec toutes ces plaintes instruites par la CJR, l’ancien premier ministre est dans la même situation que Laurent Fabius dans les années 90. S’il a des ambitions présidentielles, elles sont suspendues pour une période plus ou moins longue. Olivier Véran a aussi cette épée de Damoclès sur la tête.
Vierges, martyrs à tendance suicidaire
Emmanuel Macron a beau jeu de reprocher à ses ministres de penser à leur risque juridique. Le paradoxe de notre système institutionnel est, qu’alors que tout ou presque se décide à L’Elysée, le Président est protégé par une immunité présidentielle en béton armé. Il ne peut guère être poursuivi que pour Haute trahison. Pour avoir une idée de ce que cela signifie, il faut savoir que le dernier chef d’Etat à avoir été accusé de ce crime n’était rien moins que le maréchal Pétain pour sa politique de collaboration avec l’occupant nazi…
Cette dérive judiciariste est une spécificité française comme en témoignent quelques exemples.
Le Président du Conseil italien qui avait un peu tardé, au printemps, à décider le confinement alors que le virus circulait à la vitesse du TGV en Lombardie, est-il poursuivi ? Non.
Le Premier ministre suédois qui a reconnu, en décembre dernier, que la stratégie initiale d’immunisation collective a été un échec parce qu’elle a provoqué une hécatombe dans les Ehpad suédois est-il poursuivi ? Non.
Donald Trump qui a longtemps été dans le déni, a laissé le virus faire des ravages dans tous les Etats-Unis, a préconisé l’hydrochloroquine et l’eau de Javel – conseil suivi par quelques américains qui en sont morts – est-il poursuivi ? Non.
On peut et on doit demander beaucoup aux politiques qui aspirent à nous gouverner et plus encore à ceux qui nous gouvernent. Mais peut-on exiger qu’ils soient vierges et martyrs à tendance suicidaire ?
Cette judiciarisation de la crise du Covid est peut-être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle devrait interpeller la société civile qui en est à l’origine. Celle-ci devrait se poser la question de savoir si elle n’est pas allée trop loin dans sa volonté de toujours trouver un coupable à toute situation et tout aléa, comme si dans la vie, il ne devait pas y avoir de place pour l’accident, l’impondérable et l’imprévisible, comme si le risque n’était pas intrinsèquement lié à la vie, celle-ci étant en elle-même un risque puisqu’on finit toujours par en mourir.
Il faut s’interroger sur ce qu’est la société civile. C’est chacun d’entre nous. Ce sont les acteurs économiques et sociaux, le secteur associatif – animé par les citoyens, monsieur et madame tout le monde en quelque sorte – d’une incroyable vitalité dans ce pays. Chaque jour qui passe, pour la défense d’une cause générale ou particulière, contre un projet public ou privé, pour obtenir réparation ou pour protester contre une décision ou en obtenir une, il se crée des dizaines, voire des centaines d’associations. Les pages du Journal officiel débordent.
La République Twitter
Dans le secteur de la santé, le mouvement a pris son envol à partir de l’affaire du sang contaminé, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur quand il s’agit de faire prendre conscience à l’opinion et aux politiques de la gravité d’une maladie et d’aider les malades. Le pire quand il s’agit de chercher des coupables à tout prix, de monétiser la souffrance avec l’aide d’avocats pour lesquels la recherche en responsabilité et culpabilité est devenue un marché.
De ce mouvement est née la démocratie sanitaire qui a fait émerger le droit des malades contrebalançant le pouvoir absolu des médecins, ce qui a ses vertus mais aussi ses vices.
Pendant longtemps, les politiques ont donné le sentiment d’être au-dessus des lois, de bénéficier d’une sorte d’irresponsabilité et donc d’immunité. Ce n’était pas acceptable dans une démocratie et un rééquilibrage était nécessaire.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le balancier n’est pas allé trop loin dans l’autre sens.
La mise sous surveillance du politique et la recherche de la sécurité absolue ont abouti à l’introduction dans la Constitution du « principe de précaution ». Rien de tel pour paralyser l’action publique et la prise de risque. Exposés à tout moment et à tout propos à des poursuites, les politiques ne savent plus ce qu’il faut faire ou ne pas faire, l’inaction étant aussi susceptible de poursuite que l’action.
Ils en sont réduits à chercher des échappatoires comme ces « conseils de citoyens » dont le premier avatar est sorti avec le climat et le second avec la vaccination. L’idée est que des citoyens, tirés au sort, émettent des idées et des conseils sur une situation. Mais le tirage n’est pas aussi aléatoire que celui du Loto. Ces groupes de citoyens doivent refléter l’état de l’opinion. Mais comment est déterminé l’état de l’opinion ? Par les sondages et les réseaux sociaux. Et voilà, comment on tombe dans la République twitter dont la solidité est très relative.
Ainsi, en décembre, selon les sondages, la majorité des Français étaient hostiles à la vaccination et les réseaux sociaux bruissaient de cette musique antivaccin. En janvier, les mêmes Français font exploser les standards des centres de vaccination pour obtenir un rendez-vous.
Tirés au sort fin décembre, les « 35 citoyens vaccins » représentent-ils les Français de décembre 2020 ou ceux de janvier 2021 ?
Entre gadget et piège à gogos, ces conseils citoyens sont le signe d’une République qui a perdu sa boussole.
La judiciarisation de la vie publique est un défi lancé à la démocratie. Celle-ci est, par nature, le gouvernement du peuple par le peuple à travers ses élus.
Il faut lire le livre de l’historien Emmanuel de Waresquiel (1)) qui raconte comment la Révolution Française a été pliée – si on peut dire – en 7 jours, lorsqu’en plein cœur des Etats généraux convoqués par Louis XVI, les représentants du tiers-état se sont auto-proclamé Assemblée Nationale et ont décidé que les ordres du Roi étaient nuls et non avenus.
Ainsi est né le peuple et ses représentants. Avec la judiciarisation, le risque est de passer du pouvoir du peuple au pouvoir du justiciable.
Philippe Rollandin
Source URL: https://pharmanalyses.fr/vaccination-covid-19-la-fatale-piqure-de-la-judiciarisation/
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