Stratégie nationale de santé : rapport sur la table, décisions reportées en septembre

Stratégie nationale de santé : rapport sur la table, décisions reportées en septembre
juillet 17 10:40 2013 Imprimer l'article

Publié en date du 21 juin 2013, le rapport du Comité des Sages, chargés d’éclairer la route de la Stratégie Nationale de santé annoncée en Conseil des ministres le 16 janvier dernier, vient d’être rendu public par une fuite inopinée, sinon organisée. La ministre de la Santé, Marissol Touraine, a aussitôt fait savoir que le gouvernement travaillait à une « feuille de route déclinant les principales orientations qu’il retient ». Mais il faudra attendre septembre pour connaitre la suite que Jean-Marc Ayrault donnera au texte, ainsi que les conditions pratiques de sa mise en oeuvre, qui devront s’inscrire dans le cadre des contraintes qu’imposera le Projet de loi de financement de la Sécu pour 2013. Les décisions énoncées dans le rapport des Sages pourraient être révisées à la baisse.

Au Parti socialiste, quand on veut enterrer un problème, on créé une commission. La tradition pourrait perdurer avec le gouvernement en place. Demandé en janvier dernier par Jean-Marc Ayrault, un rapport a été commandé à Alain Cordier, IEP, Inspecteur des Finances, ancien membre du Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS), et surtout président d’un Comité des Sages chargés de définir les grandes lignes de la feuille de route de la Stratégie nationale de Santé du gouvernement. Le conseiller, en vue de la rédaction de son rapport, a largement consulté les parties prenantes du système de santé, en particulier les représentants des médecins libéraux, qui lui ont fait part de la nécessité d’investir dans le domaine ambulatoire et en particulier dans les soins primaires, au sein desquels les médecins généralistes sont en première ligne. Tous espéraient une annonce ministérielle forte pour dès cet été. Ils resteront sur leur faim ! Rien ne sera annoncé avant septembre !

Un pari stratégique

« Bâtie de façon empirique et par empilement, autour des structures d’offre de services, l’organisation [du système de santé dans son ensemble] doit être repensée au plus près des usagers, de la personne malade ou en situation de perte d’autonomie », précise le rapport dans son introduction. Les Français vivent plus longtemps – pas nécessairement en meilleure santé – et les malades chroniques (deux tiers de la dépense de santé), dont le nombre grossit année après année, posent un vrai défi de santé publique. On ne soignera plus demain comme aujourd’hui et encore moins comme hier. Nous connaissions le pari de Pascal, voici celui du Comité des Sages : « Nous posons un pari stratégique : un soutien à la santé et une organisation des soins résolument plus collaborative conduira à un mieux dépenser et à réduire les dépenses inappropriées. » Mais la santé n’est pas tout. Il faut aussi se pencher sur la reconnaissance et la prise en compte de l’ensemble « des déterminants sociaux et environnementaux qui conditionnent la santé de la population ». Il faudra donc opérer un réel réengineering du secteur de la santé, c’est à dire une refonte en profondeur des processus opérationnels de prise en charge des soins et la tâche promet d’être ardue. « Il existe de très importants gisements d’efficacité présents dans le système de santé lui-même », note à cet égard le rapport. Le propos ressemble à s’y méprendre à celui tenu lors de la préparation de la loi Hôpitaux, Patients, Santé, Territoires (HPST, votée en juillet 2009), sous une autre gouvernance de la santé, qui a conduit à réorganiser « l’administration de la santé » et ses structures. Le pari de Roselyne Bachelot, alors ministre en charge de la Santé du gouvernement Fillon, était de rendre le système plus « efficient » en réorganisant et en rénovant en quelque sorte sa gouvernance administrative. Dépenser moins et mieux est une antienne qui a accompagné toutes les récentes réformes du système de santé. Elle devient un impératif assez catégorique dans un système à bout de souffle et de ressources. Le gouvernement Eyrault n’échappe pas à cette petite musique. Sans remettre en cause l’organisation du système issu de la loi HPST, avec ses Agences régionales de santé (ARS), il a cependant décidé de centrer sa réforme sur une autre approche, fondée sur un décloisonnement des structures et de nouveaux modes collaboratifs dans le secteur des soins ambulatoires, comme entre ce dernier et le secteur hospitalier. Vaste programme !

Fluidifier les parcours de santé

Désormais, l’objectif prioritaire est d’améliorer la qualité des « parcours » de santé des Français, comme l’a déjà suggéré un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) de mars 2012 : « La meilleure des voies, la plus révélatrice des évolutions à envisager du système de santé, est de réfléchir en termes de fluidité des parcours de soins et de santé », note à cet égard Alain Cordier (photo). Ce dernier préconise une « médecine de parcours », qui inclue la prévention et une prise en charge appropriée à tous les âges de la vie ». Encore faudra-t-il savoir qui assurera cette dernière. Le médecin traitant ? Une équipe pluri-professionnelle créé pour la circonstance ? Il s’agit ici de « développer de bonnes compétences au bon moment sur un territoire donné, pour que chaque personne (…) puisse trouver sur une aire géographique accessible une complémentarité d’offre de soins et d’accompagnement. » Une formule qui, à s’y méprendre, ressemble à une nouvelle quadrature du cercle, sauf que dans ce cercle vertueux de la santé, ce sont les professionnels de santé et les malades qui tournent depuis longtemps en rond.

Lutter contre toutes les dépenses inappropriées

Il faudra également rééquilibrer les finances de notre système de santé et plus largement de notre protection sociale. Pour se faire le rapport suggère non pas d’abonder les recettes (assises sur les cotisations sociales en recul et sur une CSG qui n’a pas épuisé ses vertus), mais de réorganiser les flux de dépenses et de mieux discerner la dépense. Sur le premier point, il invite à développer la médecine de proximité et le maintien à domicile, à encourager un exercice pluri-professionnel de proximité, à transférer les compétences pour réduire les coûts – à qualité égale -, à lutter contre toutes les dépenses inappropriées, à renforcer le pilotage stratégique (musique déjà jouée dans un proche passé), ou encore à « « investir » nettement dans la promotion et le remboursement de certaines modalités thérapeutiques – exemple la chirurgie ambulatoire – aux dépens d’autres ». Rien de bien nouveau sous le soleil de cet été retrouvé. Au chapitre des déclarations d’intention, on peut encore lire qu’il faudra engager « la recherche des meilleurs soins possibles pour tous et non pas de l’excellence pour seulement quelques-uns ». La première question est de « faire bien les bonnes choses », note encore Alain Cordier, un registre sur lequel il sera assuré de trouver le plus large consensus. Sauf que chaque acteur de santé est, dans son domaine de compétences, convaincu qu’il répond à l’impératif, mais pas son voisin !

Aucun cadre financier

« Le temps n’est plus d’en rester au seul accompagnement d’initiatives militantes et d’expériences innovantes », ajoute le rapporteur après avoir passé en revue la longue liste des rapports et analyses publiées ces dernières années et relatifs à ce qu’il conviendrait de faire pour réformer notre système de santé. Aussi Alain Cordier propose-t-il, au nom du Comité des Sages, 19 recommandations (voir ci-après) et autant de « décisions à prendre maintenant ». Le grand soir du système de santé aurait-il enfin sonné ? Seul bémol à ce passionnant document de 108 pages, aucune des décisions n’est assortie du schéma financier nécessaire à sa réalisation, comme si cette belle construction intellectuelle et fruit d’une longue concertation pouvait être mise en oeuvre sans moyens supplémentaires. La Sécu consacrera cette année 178 milliards d’euros à rembourser les frais de santé des Français (2). Sur ce total, 82,5 milliards iront aux soins de ville, 77,1 aux établissements de santé et 17,1 milliards au secteur médico-social. Comment faudra-t-il ré-allouer ces sommes entre les différents acteurs et que faudra-t-il investir en plus pour donner un tant soit peu de pertinence à la « Stratégie de Santé » du gouvernement. Ici, comme dans d’autres domaines, le silence radio est de mise !

Pour contourner l’obstacle, Alain Cordier propose de créer des groupes de travail, de « désigner une équipe à temps plein de lancement de la stratégie nationale de santé, dans un rôle de direction de projets » et, à l’échelle nationale, de « mettre en oeuvre un « Ségur de la santé », sous la présidence de la ministre de la Santé ». Autant dire que la stratégie n’est pas prête à être mise en oeuvre avant un moment. Le Parlement sera-t-il saisi de la réforme ? Le rapport ne le dit pas. Les acteurs de la santé, professionnels de santé et associations de patients, attendaient surtout que Marissol Touraine s’empare du rapport Cordier pour un faire un acte fort et fondateur d’une nouvelle politique de santé. Ils auront été déçus d’apprendre que la ministre ne se prononcera qu’à la rentrée, en septembre, lors des débats relatifs à la préparation de la loi de financement de la Sécu pour 2013. Autant dire que cette « stratégie » n’est effectivement pas la sienne. Les représentants des médecins généralistes (3) l’ont d’ores et déjà noté et annoncent de leur côté une rentrée agitée.

Jean-Jacques Cristofari

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(1) Présidé par Alain Cordier, conseiller de la ministre de la Santé, ancien de la HAS, le comité des Sages est composé du Pr Geneviève Chêne, chef du pôle santé publique du CHU de Bordeaux, du Dr Pierre de Haas, médecin généraliste et président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS), du Pr Dominique Perrotin, doyen de Tours et président de la conférence des doyens de médecine, du Pr Emmanuel Hirsch, directeur de l’éthique médicale de l’AP-HP, du Dr Gilles Duhamel, inspecteur général des affaires sociales (IGAS) et de Françoise Parisot-Lavillonière, directrice de l’Institut de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge dans la région Centre.
(2) voir « Propositions de l’Assurance Maladie sur les charges et produits », 19 juillet 2012
(3) Le syndicat majoritaire chez les généraliste, MG France, a aussitôt fait savoir que « , les responsables politiques doivent se saisir en urgence de cette feuille de route. Sans décisions concrètes et rapide, il reviendra aux acteurs sur le terrain, professionnels de santé et patients, de se mobiliser par tout moyen pour que soit mise en oeuvre cette réforme indispensable. » MG France a déjà invité toutes les structures de généralistes à se retrouver le 19 septembre pour lancer une action commune.

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Les 19 recommandation du rapport Cordier

1. – Promouvoir la santé de chacun et de tous = 12 décisions à prendre, telle l’établissement d’un tableau de bord synthétique et compréhensible par tous, des résultats du système de santé, publié très régulièrement dans les médias.
2. – Impliquer et accompagner la personne malade, soutenir l’entourage = 8 décisions
3. – Créer une instance représentative des associations des usagers du système de santé = un groupe de travail devra »préparer la création d’une instance nationale représentative des associations d’usagers du système de santé dans la variété de leurs missions ». Le Collectif Interassociatif de la Santé (CISS), qui dit attendre beaucoup de la suite et des groupes de travail prévus dans le rapport, appréciera cette vision rénovée de la « démocratie sanitaire ».
4. – Favoriser la constitution d’équipes de soins de santé primaires =  8 décisions à prendre, dont celle de favoriser l’installation d’équipes de soins de santé primaires et surtout celle de mettre en place, au 1er janvier 2014, le tiers payant chez tous les médecins libéraux de secteur 1.
5. – Garantir pour les malades chroniques une coordination des professionnels de santé, sous la responsabilité du médecin traitant = 5 décisions à prendre, dont celle de mettre en oeuvre, d’ici fin 2014, une fonction de coordination, sous
l’autorité du médecin traitant, au plus près des malades chroniques.
6. – Renforcer les outils d’appui à l’intégration des acteurs territoriaux = 3 décisions à prendre, dont celle d’identifier d’ici janvier 2014 un comité départemental d’accès aux soins.
7. – Créer un service public de l’information pour la santé = 3 décisions à prendre, dont la mise en ligne d’ici juin 2014 d’un répertoire de l’offre de soins et de santé par territoire, disponible sur le site de l’ARS
8. – Se donner les outils de la coordination et de la continuité ville-hôpital (8 décisions), par repérage des patients à risque élevé de ré-hospitalisation, en privilégiant des temps de concertation entre médecins hospitaliers, équipes de soins de santé primaires, spécialistes de ville, autour de problématiques de santé territoriales et de pathologies spécifiques.
9. – Optimiser la place de l’hôpital dans le territoire de santé = 10 décisions à prendre, dont celle d’améliorer la continuité des soins en EHPAD, par un renforcement des compétences médicales et infirmières, soit par recrutement soit par contrat avec les professionnels libéraux.
10. – Aider à la transmission d’informations entre professionnels de santé = 5 décisions, dont celle de favoriser les échanges entre professionnels par messagerie sécurisée, via l’intégration dans les systèmes d’information des professionnels de santé. Le DMP doit également être relancé, mais en le ciblant.
11. – Développer la télémédecine à bon escient = 5 décisions annoncées, dont le financement du développement de la télémédecine dans les territoires où l’offre professionnelle est incomplète
12. – Mieux garantir la pertinence des organisations et des actes = 6 décisions, dont la tenue de réunions hebdomadaires de synthèse dans les unités de soins hospitaliers ou dans les équipes de soins de proximité.
13. – Réformer les modalités de rémunération et de tarification = « il faut rendre cohérentes entre elles les réformes du financement des hôpitaux, des EHPAD, et des modes de rémunération de l’activité libérale. » 10 décisions à prendre, dont celle de transformer l’actuel fond d’intervention régionale (FIR) en un «fonds stratégie nationale de santé » à gestion régionale, en élargissant son champ d’intervention et en modifiant ses modalités de gestion pour accompagner les stratégies régionales de réallocation de moyens.
14. – Repenser la formation pour répondre aux nouveaux enjeux = 12 décisions à prendre, dont celle de favoriser, dans le cadre du DPC, le  financement de formations interprofessionnelles pour les équipes traitantes et soignantes de proximité et le développement d’unités mixtes de formation continue.
15. – Oeuvrer au développement de nouvelles fonctions et de nouveaux métiers de santé =5 décisions, dont celle de simplifier la règlementation en matière de transferts de compétences.
16. – Mieux cibler et mieux coordonner les programmes de recherche : « Tout doit être fait pour que l’allongement de la durée de vie ne soit pas une source de mise en situation de handicap ou de perte d’autonomie ». 12 décisions à prendre, dont la création, avant fin 2013, d’un co-pilotage, entre ministère de la santé et ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, des sources de financement et des structures de la recherche biomédicale et translationnelle.
17. – Renforcer les capacités prospectives et stratégiques = 5 décisions à prendre, dont celle de promouvoir les outils de connaissance, de renforcer les capacités d’analyse médico-économique, ou encore de développer la production de données de santé ambulatoires et leur exploitation.
18. – Avec les ARS faire le choix de la subsidiarité = 7 décisions à prendre, dont celle d’engager une concertation avec les partenaires conventionnels, pour enrichir le système conventionnel actuel par des conventions nationales cadre et des conventions territoriales. A cet effet, le rapport suggère d’élargir l’accès des ARS aux données du SNIIRAM, et leur donner la capacité de renforcer leur compétence en analyse de données. « Cette connaissance est indispensable à la programmation et à la gestion de parcours de soins et de santé. »
19. – Réorganiser le pilotage national = 4 décisions à prendre, dont celle d’asseoir la fonction stratégique et le rôle pilote de l’Etat, en créant une direction générale de la stratégie nationale de santé aux missions diverses, ainsi qu’une nouvelle direction générale de la sécurité sanitaire, chargée d’animer le réseau des agences intervenant dans le champ de la sécurité sanitaire. Ces nouveaux pilotages seront assortis d’une réorganisation de la gestion des données de santé, confiée à l’assurance-maladie, opérateur « tenu de répondre aux demandes des commanditaires »

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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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