by Jean Jacques Cristofari | 5 octobre 2015 12 h 25 min
[1]La Sécu fête cette semaine en grande pompe ses 70 ans à la Maison de la Mutualité. Cet anniversaire aurait du permettre de faire un lifting à la vieille dame. Il n’en sera rien. Car les parlementaires continuent de s’enliser dans une nième tentative de réforme de notre système de santé qui ne convainc plus personne. De leur côté, les médecins libéraux engagent le fer dans une nouvelle bataille, relative cette fois à leur représentativité, avec une campagne en vue des élections aux URPS où la surenchère est de mise.
« Laroque réveille toi, ils sont devenus fous ! » Si le conseiller d’Etat à l’origine de notre belle institution devait revenir parmi nous (1), il serait frappé par l’état dans lequel se situe désormais notre protection sociale, en proie à des déficits abyssaux et face à une nouvelle réforme dont on sait déjà avec certitude qu’elle ne produira rien de bien nouveau par rapport à la précédente de 2009, hormis d’agréger un nombre croissant de mécontentements dans les rangs des professionnels de santé et d’inquiétudes dans ceux de la population. Côté bilan, le récent rapport de la Cour des Comptes souligne qu’avec une dette sociale de quelque 158,4 milliards d’euros en fin 2014, « la persistance et l’ampleur des déficits, l’anomalie même qu’ils constituent (…) devraient ainsi faire du rétablissement de l’équilibre des comptes sociaux un enjeu crucial dans l’effort de redressement des finances publiques. » Mais il n’en sera rien. Au moins jusqu’en 2020, car, comme le précise la Cour, « la voie jusqu’ici privilégiée d’un rééquilibrage par un effort portant principalement sur les recettes trouve aujourd’hui des limites de plus en plus manifestes. » Les cotisations ne sont plus au rendez-vous depuis quelques années, mais rien n’est pour autant fait pour modifier l’assiette du financement de la Sécu. Aussi, faute de recourir, comme dans le passé, à une augmentation des cotisations ou à une hausse de la CSG, les efforts porteront une fois encore sur les dépenses. Le renforcement de la « régulation » de l’assurance-maladie – en déficit persistant du fait du vieillissement de la population et de l’explosion des maladies chroniques – sera donc l’alfa et l’oméga de la politique de santé des années à venir. L’avertissement lancé en son temps par Pierre Laroque, qui signifiait que » le déficit de la Sécu n’est dû qu’à une insuffisance de décisions des pouvoirs publics « , a vécu. Désormais les pouvoirs publics s’en remettent à un pilotage à court terme et à l’adoption, une fois l’an, d’un plan d’économies – via le PLFSS – qui trouve ses raisons d’être dans les « gaspillages », évalués ici ou là dans les rangs des professions de santé. Cette année, la palme reviendra aux infirmiers et aux kiné – dont les dépenses croitraient trop vite (10 milliards d’euros en 2014), aux maternités, qui gardent trop longtemps les jeunes mamans dans leurs murs, ou encore aux centres de lutte contre le cancer, invités à fusionner. Il faut donc des « mesures structurelles » pour rétablir les comptes, avance la rue Cambon. Dans les faits, nous n’aurons que des « plan d’économies » et un report de l’ardoise aux générations futures, via la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), chargée d’amortir une dette de 130 milliards d’euros fin 2014, auxquels s’ajoute quelque 28,2 milliards portés par l’ACOSS au titre des déficits cumulés (fin 2018, la même caisse qui assure la gestion de la trésorerie du régime général de la sécurité sociale devra porter 30 milliards d’euros d’endettement social, nous dit encore la Cour des Comptes).
Réduire les déficits[2]
Si la Cour a fait ses comptes, le Parlement n’est pas encore parvenu à boucler les siens. « Il faut réduire les déficits », rappelle à satiété Marisol Touraine. L’antienne gouvernementale fait écho à la Cour des Comptes et sonne comme une parfaite réplique d’un refrain qui ne varie plus d’un budget de la Sécu à l’autre. Le déficit global sera « un peu inférieur à 13 milliards cette année », ajoute fin septembre la ministre de la Santé lors de la présentation du PLFSS pour 2016. Seule consolation, le « trou » a été comblé de 400 millions d’euros par rapport à 2014 et réduit de 40 % depuis 2011. Nous sommes donc sur la bonne tendance. Reste qu’avec une croissance (trop) faible, une inflation nulle et un taux de chômage (très) élevé, les cotisations demeurent résolument à la baisse, incapables de compenser la hausse naturelle des dépenses (estimée à 4 %), dont les causes sont connues. Les recettes ne seront pas, une nouvelle fois, au rendez-vous de la future loi de financement de la Sécu. Qu’à cela ne tienne. On réduira l’objectif national des dépenses maladie (de 2,1 % à 1,7 %) et on ne touchera pas aux masses financières réparties entre les acteurs. Le statu quo doit rester la règle, au bénéfice d’un secteur hospitalier très consommateur de ressources publiques et devenu ingérable dans sa course effrénée à la tarification à l’acte. Pas question donc de réallouer les ressources en faveur du secteur ambulatoire, en pleine crise démographique et qui est submergé par les défis du papy boom. La loi HPST de 2009 s’est imposée comme une grande réforme de la gouvernance administrative de la santé – dont on n’a pas encore fini de mesurer les effets. La loi dite de modernisation du système de santé de Marisol Touraine aurait pu engager une vraie réforme structurelle. Elle ne constitue qu’un catalogue de mesures éparses, parfois de bon sens – telles celles voulues dans le secteur de la prévention -, mais sans ambition réelle sur le chapitre du « virage ambulatoire » attendu par les professionnels libéraux. Car vouloir externaliser un peu plus les taches – et les dépenses – réalisées par l’hôpital en les transférant sur la ville, sans doter cette dernière des moyens nécessaires pour les assumer, n’aura qu’un seul effet : générer des économies d’un côté et des carences sanitaires de l’autre. Il suffit à cet égard de lire la presse et les reportages des médias audiovisuels pour constater à quel point les Français sont inquiets sur la question du « qui nous soignera demain ? ». Il ne suffira pas non plus de renforcer les services d’urgence aux portes des hôpitaux – tout en les restructurant à la va vite – et penser qu’en mettant à moins de 30 minutes de chacun une réponse sanitaire, on résoudra la question de la couverture de la population. Le maillage sanitaire est en train de se déchirer, tout le monde le constate et s’en inquiète. Mais rien n’est vraiment fait pour prévenir efficacement le désastre qui se présente à nous.
Nouvel appel à la grève[3]
Dans ce contexte pour le moins inquiétant, les médecins tirent et ont déjà tiré maintes fois la sonnette d’alarme. En début d’année, les généralistes, à l’initiative de MG France, se sont mis en grève. Le 15 mars dernier, l’ensemble des professions de santé, jeunes médecins en formation et médecins libéraux en tête, ont défilé pour la plus importante manifestation depuis celle du Pont Alexandre, en juin 1980, qui leur valut alors quelques sérieux coups de matraques. Ce lundi 5 juin, les mêmes généralistes de MG France ont appelé une nouvelle fois à une grève reconductible sur la France entière, afin d’alerter les pouvoirs publics sur l’urgence d’une réponse aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans le champ des soins primaires. Une date qui ne doit rien au hasard, car elle marque aussi le début de la période durant laquelle les médecins libéraux sont appelés à voter pour les futures Unions régionales de professionnels de santé (URPS). Jusqu’au 12 octobre, ils auront à se prononcer – par courrier – pour le syndicat médical qui leur parait porter le mieux leurs aspirations libérales et la défense de leur métier. La bataille pour les URPS, qui signera également le taux de représentativité de chaque syndicat, a commencé il y a presque un an – avec la présentation de la loi de santé, le 16 octobre 2014 – et a donné lieu à toutes les surenchères possibles. En lice, quatre syndicats de médecins, dont trois rassemblent toutes les spécialités (CSMF, FMF et SML) et un, les seuls généralistes (MG France). Depuis plus d’un an, les trois premiers ont fait du tiers payant[4] le point nodal de toutes les crispations contre la future loi de santé. Pour la principale centrale du monde médical, la CSMF, ce tiers payant « démontre la dérive bureaucratique et la volonté d’étatisation du système de santé » et « signe la fin du libre choix du médecin par le patient ». Pourtant bien des spécialistes y ont recours depuis des années sans états d’âme. Aussi restent-ils « favorables au tiers payant social à la discrétion du médecin. » Pour la FMF[5], dont le président Jean-Paul Hamon confie volontiers l’utiliser à 90 %, le tiers payant donne « l’illusion de la gratuité des soins, mais asservit le médecin au payeur : les assurances » et « prépare le désengagement de l’état dans le financement et la gestion de l’assurance maladie ». Plus grave, « il va pousser des libéraux actifs à quitter le libéral ». Ce même syndicat s’est récemment allié avec l’UFML – qui rassemble les mécontents hors structure syndicale -, dont le président, le Dr Jérome Marty, pratique le tiers payant sans complexe dans sa clinique toulousaine qui a noué des conventions avec toutes les mutuelles de la place. Le SML[6] réaffirme de son côté « son opposition totale et sans ambiguïté à la généralisation du tiers payant », considérant que celle-ci « est une une mauvaise réponse à la question de l’accessibilité aux soins ». Le syndicat des médecins du secteur 2 à honoraires libres se dit surtout « opposé à une médecine gratuite et sans limite ». Il est vrai que l’introduction du tiers payant en médecine générale pourrait constituer le prélude à une généralisation de la pratique dans les rangs des médecins des autres spécialités, souvent en honoraires libres, ce dont ces derniers ne veulent en aucun cas ! Enfin, plus nuancé, MG France maintient son opposition au tiers payant « obligatoire », considérant que le système que veut promouvoir la ministre de la santé n’offre aucune garantie de paiement aux médecins, du fait de la trop grande multiplicité des assureurs obligatoires ou complémentaires.
[7]Pour l’équité tarifaire
Sur le texte de la loi de Santé, qui vient de faire sa navette inverse du Sénat à l’Assemblée Nationale, les syndicats médicaux n’ont pas de mots assez durs à son encontre. Les syndicats pluricatégoriels y voient la fin de la médecine libérale et l’étatisation du notre système de santé. La CSMF a même lancée à son encontre un « appel à la désobéissance civile », à laquelle peu de monde semble s’être rallié à ce jour. Le syndicat du Dr Ortiz aura choisi de faire bande à part dans la contestation lancée ce 5 octobre par MG France, peu désireux de lancer ses troupes dans un mouvement de grève auquel il ne croit sans doute pas. Son confrère, Claude Leicher, a, quant à lui, choisi le pari de la mobilisation, estimant que les batailles qui ne sont pas menées sont perdues d’avance. Les généralistes de MG France sont d’autant plus remontés qu’ils doivent faire face à une nouvelle contrainte, celle de l’accessibilité à leurs cabinets médicaux, dont la mise aux normes représente, pour au moins un tiers d’entre eux, un investissement conséquent alors même que leurs honoraires sont bloqués depuis 2012. Ils demandent pour l’heure l’équité tarifaire avec leurs confrères des autres spécialités, soit 25 euros pour leur consultation de base. Ce qui représente quelque 600 millions d’euros. Avec un déficit de la branche maladie à 7 milliards d’euros cette année, la chance de voir aboutir cette demande est mince. Aussi mince que la feuille des revalorisations tarifaires que le patron de la CNAMTS, Nicolas Revel, va prochainement présenter aux syndicats médicaux dans le cadre des futures négociations conventionnelles de janvier prochain. Les temps sont durs pour la médecine libérale, invitée par le Président de la République à rallier les maisons de santé pluriprofessionnelles, sans offrir vraiment de moyens nouveaux à leurs acteurs.
Le 6 octobre, les 70 automnes de la Sécu seront fêtés à la Maison de la Mutualité en grande pompe par les autorités politiques, sanitaires et sociales. Un anniversaire qui sera assorti d’un cadeau : la protection universelle maladie, déjà annoncée, mais cette fois confirmée. «Les conditions requises pour ouvrir droit à remboursement seront simplifiées, les changements de caisse de sécurité sociale se feront « en un clic », tout majeur deviendra un assuré à part sans passer par la case ayant droit, la carte Vitale pourra être obtenue dès 12 ans», résume la ministre. A l’approche des élections régionales de cette fin d’année, les assurés/électeurs seront – à quelques exceptions près – brossés dans le sens du poil.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Le père de la Sécu, Pierre Laroque est mort en 1997. Il aura pu fêter les 50 ans d’une institution qu’il a portée sur les fonds baptismaux.
(2) « La Sécurité sociale, rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale », Cour des Comptes, septembre 2015
Source URL: https://pharmanalyses.fr/secu-reformes-en-trompe-loeil-sur-fond-de-contestations/
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