C’est à l’École des hautes études en santé publique (EHESP[1]), basée à Rennes, que la ministre de la Santé a récemment présenté la politique gouvernementale en matière de santé pour les cinq prochaines années. La lutte contre les déserts médicaux y figure en bonne place
C’est devant les étudiants de la prestigieuse Ecole de Rennes qui forme les cadres de santé publique et des établissements de santé de la France que la ministre de la Santé a déroulé les quatre axes de sa « stratégie nationale de santé », publiée le 29 décembre au Journal officiel. « C’est à vous qu’il reviendra de conduire le changement » a indiqué à leur adresse le Pr. Buzyn, venue également fêter les 10 ans de l’établissement.
Elle a ainsi souligné la nécessité d’accroitre le budget que la Nation consacre à la prévention – 2% à ce jour quand nos voisins italiens font deux fois mieux –, en particulier en direction des publics précaires, plus touchés que les autres notamment par le tabagisme et l’obésité. Les inégalités sociales et territoriales d’accès aux actions de prévention et de promotion de la santé restent fortes dans notre société actuelle : « Elles se creusent très tôt, dès l’enfance », a commenté la ministre de la Santé. « Il est donc nécessaire de mettre en place une politique de promotion de la santé incluant la prévention, dans tous les milieux et tout au long de la vie. Chaque ministère doit ainsi s’en emparer, tout comme les professionnels de santé. »
L’hôpital est, de son côté, invité à engager une chasse aux « actes inutiles ». La ministre a déjà estimé dans le passé que « 30% des dépenses de l’assurance-maladie ne sont pas pertinentes » et qu’il faut engager sans tarder le « virage ambulatoire » dans le domaine de la chirurgie. Recentré sur les parcours de soins, un nouveau système de financement de l’hôpital sera également mis en place – avec un abandon de la tarification à l’activité – et « des annonces devraient être faites dans les prochains mois ». « Il faut recentrer la tarification sur les parcours de soins plutôt que sur l’acte, car elle n’est plus adaptée aux enjeux d’aujourd’hui, a ajouté Agnès Buzyn. Il nous faut mettre au premier plan l’intérêt du patient et contribuer à renforcer l’efficience du système de santé ». L’innovation en santé, avec une médecine prédictive, personnalisée et numérique, figure également sur la feuille de route de la ministre qui va bénéficier des crédits nécessaires au développement de la télémédecine prévus par le Plan d’investissement annoncé à l’automne par le Premier ministre (1).
Lutter contre les déserts médicaux
Mais le gros morceau de la stratégie nationale de santé sera de faire reculer les déserts médicaux et d’améliorer l’accès aux soins des Français, fragilisé par une démographie médicale qui connaitra un déclin marqué jusqu’en 2025, selon les experts du Conseil national de l’Ordre des Médecins. Car en la matière, les problèmes sont devant nous. La population des médecins généralistes va continuer à diminuer du fait du départ à la retraite des enfants du baby-boom des années 50. A ce jour, différents rapports estiment déjà que 8% de la population (5,3 millions d’habitants) vit dans un désert médical et n’a plus réellement accès facilement à un médecin dans notre pays. « La stratégie nationale de santé n’a d’intérêt que si les professionnels sont actifs au niveau local pour la mettre en œuvre au plus près des populations. C’est au quotidien et sur le terrain que le sens de l’action doit être trouvé, partagé », a encore fait savoir la ministre.
Elle a rappela la volonté du gouvernement de doubler le nombre de maisons de santé (910 maisons de santé pluri-professionnelles et 334 projets en cours de réalisation en mars 2017, selon un rapport du Sénat[2]), l’extension des zones qui offrent des aides à l’installation des médecins (déjà nombreuses), la création de 300 postes partagés de médecins généralistes entre l’hôpital et la campagne ou encore des incitations fiscales en direction des médecins acceptant de reporter leur départ à la retraite. Toutes choses qui ont largement été préconisées dans le récent avis du Conseil Economique Social et Environnemental (2), saisi par le gouvernement sur la question des déserts médicaux et qui a avancé 10 propositions pour y répondre. « Le problème des déserts médicaux se pose dès maintenant et deviendra critique dans les années qui viennent si rien n’est fait, note le CESE. Même l’amélioration de la démographie médicale, à partir de 2025, ne suffira pas à résorber les déserts médicaux en l’absence d’une meilleure répartition des effectifs. » « La diminution des effectifs de médecins généralistes libéraux a été de 13 % entre 2007 et 2016 et serait encore de 15 % entre 2016 et 2025. De même, le nombre de certains médecins spécialistes en accès direct diminuerait de 20 % entre 2012 et 2025. » Ce constat a déjà été établi en 2003 et il est donc connu depuis 15 ans, voire plus. On a peine à comprendre pour quelles raisons, les gouvernement qui se sont succédés depuis deux décennies ont tant tardé à lui apporter une réponse.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Le Plan[3] prévoit ainsi 4,9 milliards d’euros pour accélérer la numérisation du système de santé et de cohésion sociale. Il s’agit notamment de développer les maisons de santé dans les territoires en manque de médecins, de moderniser les équipements hospitaliers et de soutenir la recherche médicale.
(2) Cf. « Les déserts médicaux[4] », avis du CESE, décembre 2017.