by Philippe Rollandin | 18 juin 2016 18 h 44 min
[1]L’heure du big data en santé a sonné. Les objets connectés se multiplient. L’assurance passe d’une logique de mutualisation à une logique d’individualisation du risque. Les progrès potentiels en termes de prévention, de traitement et d’observance sont considérables. Mais les risques de dérives éthiques et sociétales ne le sont pas moins. De big data à big brother, il pourrait n’y avoir que quelques codes informatiques.
La santé tend à devenir un véritable eldorado pour les objets connectés et les applications smartphones. Selon une étude publiée par le cabinet de conseil en protection sociale Crysal[2], il y aurait 100 000 applications santé disponibles sur le marché. 60 % de ces objets auraient pour finalité des auto-mesures (pouls, battement du cœur, hypertension, etc…). Mais la connexion en santé va au-delà de ce qui est assimilé – à tort – à de sympathiques gadgets. C’est une véritable mutation industrielle et sociétale qui est en marche.
L’industrie pharmaceutique développe des alliances avec l’industrie numérique organisant la convergence de la chimie et du silicium. En 2014, le groupe suisse Novartis [3]s’est allié – à travers sa filiale Alcon dédiée à l’ophtalmologie – avec Google pour développer plusieurs projets dont celui d’une lentille connectée pour mesurer le taux de glucose et faciliter le traitement du diabète. Cette pathologie est également au cœur d’un partenariat entre le groupe français Sanofi et Google Life Sciences[4] dont l’objet est, selon les deux firmes, de développer une « collaboration permettant de combiner le leadership de Sanofi dans le domaine des traitements et des dispositifs médicaux dans le diabète, à l’expertise de Google en matière d’analyse de données, d’électronique miniaturisée et de puces de faible puissance ».
Nous sommes là au cœur de la révolution du Big Data en santé.
Si les progrès potentiels en termes de prévention, de traitement et d’observance sont considérables, il ne faut pas, pour autant, en ignorer les risques que l’on peut regrouper en 4 catégories :
1) L’hypocondrialité. Deux chercheurs de Harvard veulent mettre au point un tampon qui collecte et analyse le sang des femmes pendant leur cycle pour prévenir les maladies. Le champ de la connexion ne semble pas avoir de limite puisque, avant ces futurs tampons, il existe déjà des sous-vêtements – slips, boxers – connectés dont on n’ose pas imaginer les paramètres qui sont analysés. Le jour où tout le monde se baladera avec des capteurs aux poignets, sera habillé de vêtements bardés d’électrodes et de puces implantées qui mesureront, en temps réel, la tension artérielle, les pulsations cardiaques ou le nombre de pas effectués, l’Humanité sera hypocondriaque. En effet, aucun humain ne vit avec les paramètres optimisés de la bonne santé et ne respecte les règles d’hygiène de vie mais il l’ignore et cette ignorance est le gage de sa tranquillité. Les objets connectés vont signifier la fin de l’insouciance. La connaissance de ses faiblesses et de ses écarts va générer une angoisse de type hypocondriaque, ce qui suscitera une demande médicale infinie.
2) La normalité. L’émergence de ces métadonnées et leur analyse amèneront à déterminer des normes de bon équilibre, de bonne santé et d’hygiène de vie pouvant aller jusqu’à la création d’un certificat de qualité qui serait différent d’un pays à l’autre ou d’un continent à l’autre. Il existe, par exemple, la norme CE qui garantit – au moins en théorie – la qualité des marchandises vendues à l’intérieur de l’Union européenne. Il pourrait y avoir une norme CE garantissant la qualité humaine dans la zone européenne et, par exemple, tout candidat à l’immigration devrait être conforme à ces normes de qualités.
3) L’ubérité. Cette nouvelle médecine échappe aux médecins qui vont être réduit à l’état de poinçonneur des Lilas, « le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas, qui fait des trous, des petits trous, toujours des petits trous » comme le chantait Gainsbourg même si, en l’occurrence, il s’agira pour les médecins d’apposer des tampons, des petits tampons, toujours des petits tampons validant les diagnostics et les thérapeutiques établis par des robots. Le risque est réel. Le Pr. Guy Vallancien(1), connu pour ses approches visionnaires, auteur de « La médecine sans médecin » estime « qu’actuellement, on forme les étudiants en médecine à la médecine du XIXè siècle ».
4) L’intrusivité. L’information est un pouvoir, la méga-information est un pouvoir absolu entre les mains de celui qui la contrôle. Associé au séquençage génomique désormais banalisé, les métadonnées en santé vont permettre d’avoir une connaissance de l’épigénie, c’est-à-dire du facteur comportemental influant la santé. Il ne fait pas de doute que le rapprochement de la connaissance du génome et des paramètres physiologiques donne une information intime et intrusive sur les individus.
Une profonde mutation[5]
Les assureurs santé sont à l’affut de ce type d’information. Déjà, aux Etats-Unis, des compagnies proposent à leurs clients de faire séquencer leur génome pour leur proposer un contrat adapté à leur besoin. L’une d’entre elle va plus loin. John Hancock[6], un très important assureur basé à Chicago, a développé un programme dit Vitality[7] qui propose, à ceux qui y souscrivent, de faire varier leur cotisation de 15 % en plus en moins s’ils suivent et respectent un programme d’hygiène de vie portant sur l’alimentation et l’exercice physique. Le respect du programme est contrôlé par des capteurs. Les mauvais élèves, c’est-à-dire ceux qui ne respectent pas le programme ou ceux dont les indicateurs ne correspondent pas aux normes voient leur cotisation majorée. Une sorte de bonus-malus…
En France, s’ils n’ont pas le droit de lier leur couverture à une connaissance réelle de l’état de santé, ils sont à l’affut de toutes les opportunités comme le groupe Malakoff-Médéric[8], qui, dans le cadre de son programme Vigisanté[9], propose à ses assurés de lui transférer leurs données de santé recueillies par les objets connectés – bracelets-montres, casquettes, t-shirts intelligents ou autres capteurs – qui enregistrent le rythme cardiaque, la tension ou indiquent le nombre de pas parcourus. En échange de ces informations, l’assureur donne des conseils et fait, selon sa propre expression, du coaching santé. Une connexion qui lui donne les moyens de recueillir une masse considérable d’informations sur ses assurés qu’il pourra relier, le jour venu, à leur génome séquencé et avoir ainsi la capacité de lier les garanties du contrat au respect des conseils santé et du coaching comme son homologue américain…
Le Big data en santé ouvre la voie à une profonde mutation de l’assurance qui passe insensiblement d’une logique de mutualisation à une logique d’individualisation, ce qui permettra aux assureurs d’exclure les mauvais risques. Il est temps d’engager une réflexion sur le contrôle ou plutôt le non contrôle de l’utilisation de cette masse d’informations en santé.
Philippe Rollandin
Journaliste, consultant en communication et système de santé, auteur de « Le Monde cannibale, le défi démographique (Editions L’Harmattan,2015).
(1) La médecine sans médecin. Pr. Guy Vallancien –Ed Gallimard 2015
Source URL: https://pharmanalyses.fr/sante-connectee-les-liaisons-dangereuses-3-0/
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