Pharmacovigilance : de nombreux progrès restent à accomplir !

by Jean-Jacques Cristofari | 5 juin 2013 0 h 22 min

[singlepic id=755 w=300 h=200 float=left]Alors que se tient le procès du Médiator, le Leem vient d’organiser une réunion d’information sur la sécurité des médicaments. Laboratoires pharmaceutiques, centres de pharmacovigilance, pharmaciens, médecins, patients, tous étaient représentés pour partager leur expérience en matière de pharmacovigilance, une discipline née de crises sanitaires de grande ampleur. Si la surveillance et le signalement des effets indésirables ont progressé, avec la déclaration de 46 288 effets indésirables graves en 2011 en France, des progrès restent à faire. Retour sur le système actuel, le rôle de chacun et les améliorations à apporter…

La pharmacovigilance (PV) concerne tous les médicaments ; elle consiste à recueillir les effets indésirables (EI) liés à la prise d’un médicament et à les analyser pour pouvoir prendre les mesures nécessaires à la sécurité des patients. Elle résulte d’un constat : les études cliniques, qui s’adressent à un nombre restreint de personnes et sont en général réalisées dans un cadre très surveillé, ne suffisent pas à identifier les effets indésirables. Après sa commercialisation, quand un médicament est prescrit plus largement, des EI non connus et inattendus peuvent ainsi apparaître : la pharmacovigilance sert à les identifier, les quantifier, les prévenir. Tous les effets indésirables, qu’ils soient graves ou non, attendus ou non, doivent désormais être notifiés. Professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, dentistes, sages-femmes…), patients et associations de patients (1), tout le monde peut déclarer des EI : la pharmacovigilance est devenue l’affaire de tous.

Déclaration des effets indésirables  

Concrètement, toute déclaration d’effets indésirables peut être adressée soit à l’ANSM, qui propose un portail internet dédié[1] et assure la mise en œuvre et la coordination du système national de pharmacovigilance, soit à l’entreprise qui commercialise le médicament, soit à un Centre Régional de Pharmacovigilance (CRPV).

[singlepic id=756 w=200 h=140 float=left]Comme le souligne Marie-Christine Perault-Pochat (photo), responsable du Centre Régional de Pharmacovigilance et d’Information sur les Médicaments de Poitiers, les 31 CRPV présents en France assurent un maillage territorial et une proximité avec les professionnels de santé et les patients, « ce qui permet d’avoir des notifications de qualité et de pouvoir identifier un signal qui émerge ». Les CRPV ont un vaste champ de missions : recueil des déclarations, enregistrement et évaluation des notifications, renseignement et information des professionnels de santé et patients, conseil et enquête. Une charge importante, à l’heure où les déclarations d’EI sont en forte augmentation (+13 % pour les CRPV entre 2010 et 2011)…

Les visiteurs médicaux remontent la moitié des cas

Les industriels jouent aussi un rôle important puisqu’ils peuvent recevoir les déclarations d’EI. Tous ont des lignes dédiées, ouvertes 7j/7, 24h/24, et doivent déclarer à l’ANSM l’ensemble des effets indésirables portés à leur connaissance, non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle internationale, au plus tard dans les 15 jours pour les effets graves et dans les 90 jours pour les effets non-graves. En 2011, 23140 cas graves d’EI ont été remontés par l’industrie (20620 un an plus tôt), soit près de la moitié du total (d’EI graves).

Muriel Malbezin, Présidente du Comité Sécurité et Bon Usage du Leem et Vice-Présidente Affaires Médicales des Laboratoires Janssen, explique que l’activité de pharmacovigilance est très encadrée et mondialisée dans les entreprises : « il existe une équipe dédiée de médecins, pharmaciens, scientifiques, dans chaque pays, qui forme l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise. C’est une formation certifiante, avec un examen » ; résultat, les visiteurs médicaux[2] (qui remontent environ la moitié des cas) comme l’ensemble des autres employés savent qu’ils sont tenus de déclarer toute information relative à la PV dans les 24 heures qui suivent leur prise de connaissance. Une veille est aussi effectuée par les laboratoires sur leur propre site internet, ainsi que sur les réseaux sociaux et les forums, afin de vérifier les informations qui circulent sur la sécurité du médicament (2). La littérature, nationale comme internationale, est également surveillée.

Un triangle noir inversé pour une surveillance renforcée[singlepic id=757 w=240 h=180 float=right]

Pour Isabelle Adenot (photo), Présidente du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP), la PV doit être assurée même s’il ne faut pas trop de contraintes, « qui risqueraient de freiner l’innovation ». Elle rappelle qu’il « n’y a pas de risque zéro pour le médicament ». Elle souligne également deux avancées en matière de surveillance du médicament : tout d’abord, les plans de gestion de risque (PGR), apparus en 2005, qui consistent à mettre en place des mesures de surveillance spécifique, dès la commercialisation d’une nouvelle substance active, pour rechercher les signaux qui pourraient conforter des suspicions d’EI. Ensuite, le triangle noir inversé, qui va faire son apparition à l’automne prochain : apposé sur la notice et dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), il signifiera que le médicament fait l’objet d’une surveillance renforcée. Dans le cadre des dispositions communautaires relatives à la sécurité des médicaments entrées en vigueur en 2012, l’Agence européenne du médicament (EMA) publiera en effet désormais, chaque mois, une liste de médicaments sous surveillance renforcée (103 médicaments en avril 2013) : l’inscription sur cette liste se justifie par un faible recul d’expérience, lié à une mise sur le marché récente ou à un manque de données sur le long terme.

Des points restent à améliorer

Pour autant, le système de pharmacovigilance n’est pas parfait…Loin s’en faut, si l’on se souvient de la récente affaire des pilules contraceptives [3]de 3ème et 4ème génération ! Si Isabelle Adenot précise que, tenus de déclarer les EI depuis 1995, les pharmaciens sont aujourd’hui à l’origine de 15 % des déclarations, elle regrette la complexité du processus. « Tout d’abord, il faut savoir quoi déclarer. Par exemple, faut-il déclarer des EI déjà connus ? » La Présidente du CNOP explique que les professionnels de santé continuent de penser que la PV ne concerne que ce qui est grave et inattendu, alors que la loi préconise de tout déclarer, y compris le mésusage, l’erreur médicamenteuse… D’où une sous-déclaration manifeste, dans les faits.

De même, Mme Adenot explique que l’Ordre des pharmaciens a dû commenter la fiche de déclaration que les professionnels de santé envoient aux CRPV pour expliquer aux pharmaciens comment procéder ; elle déplore enfin l’absence d’informatisation (envoi des fiches en mode papier) et de réponse des CRPV à leurs déclarations : « Ce n’est pas motivant, car nous sommes des professionnels de santé et nous aimerions savoir ce qui se passe ensuite »… Elle estime nécessaire d’améliorer la PV, en allégeant les contraintes, informatisant les processus et motivant davantage les professionnels de santé.

Les médecins réservés

Les médecins sont également réservés ; c’est du moins le cas de François Piette, Chef de Service de gériatrie de l’Hôpital Charles Foix à Ivry-sur-Seine, qui explique que les EI des médicaments chez les personnes âgées sont fréquents, du fait notamment de la poly-médication. Or, les informations contenues dans les dossiers d’AMM ne sont pas suffisantes sur cette population pour prescrire en toute sécurité. Il souhaiterait que « la population qui est dans les dossiers d’AMM soit représentative de la future population cible du médicament ». A défaut, il plaide pour des essais contrôlés après mise sur le marché, permettant d’évaluer le véritable bénéfice/risque, ou, au moins, pour des suivis de cohorte, même sans groupe témoin. En l’absence d’informations plus précises, il explique que des médecins appliquent le principe de précaution et ne prescrivent tout simplement pas le nouveau médicament à certaines catégories de population.

Les patients et les professionnels de santé sont de plus en plus impliqués dans la pharmacovigilance, en France : depuis la loi Bertrand, ces derniers ne peuvent d’ailleurs plus être sanctionnés par leur hiérarchie en cas de déclaration d’EI. Un vrai changement culturel. A la rentrée prochaine, Marie-Christine Perault-Pochat ajoute que le cursus des médecins intègrera un module d’une trentaine d’heures à l’université, qui sera partie intégrante de la formation. Un rattrapage par rapport aux autres professionnels de santé. Il était temps…

Valérie Moulle

(1) Depuis juin 2011, patients et associations de patients peuvent déclarer directement un EI lié à un médicament, sans passer par un professionnel de santé.

(2) Voir sur ce sujet la démarche de Drugee,[4] un éditeur de web innovations créée en 2011 par le Dr Hubert Méchin, qui développe des services innovants dans le domaine des vigilances sanitaires

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LEEM : « Les portails « fléchés » pharmacovigilance et dédiés patients ne sont pas encore en place »

Les laboratoires pharmaceutiques vont-ils mettre à disposition des patients et professionnels de santé des outils facilitant la collecte des effets indésirables sur leur site institutionnel ? Muriel Bazin, Présidente du Comité Sécurité et Bon Usage du Leem et Vice-Présidente Affaires Médicales chez Janssen répond :

« Dans les recommandations de l’ANSM concernant internet (aujourd’hui à l’état de draft), il est spécifié que les laboratoires peuvent permettre aux patients et professionnels de santé de déclarer des cas de pharmacovigilance via leur site, mais qu’ils doivent en complément faire un lien avec la page correspondante sur le site de l’ANSM. A ce jour, pour les firmes qui disposent d’un site internet, sur le formulaire mis à disposition sur la page « nous contacter » du site institutionnel, toute personne peut déclarer un cas de pharmacovigilance. Certains laboratoires ont implémenté des outils spécifiques pour la déclaration du cas PV par le professionnel de santé et il est possible que cela soit étendu ensuite aux patients mais; à ma connaissance; ces portails « fléchés » pharmacovigilance et dédiés patients ne sont pas encore en place ».

(1) Depuis juin 2011, patients et associations de patients peuvent déclarer directement un EI lié à un médicament, sans passer par un professionnel de santé.

(2) Voir sur ce sujet la démarche de Drugee, un éditeur de web innovations créée en 2011 qui développe des services innovants dans le domaine des vigilances sanitaires :

http://www.drugee.com/site/front-office/index.php[5]

http://pharmanalyses.fr/affaire-des-contraceptifs-oraux-ou-est-passee-la-pharmacovigilance/[6]

 

Endnotes:
  1. portail internet dédié: http://ansm.sante.fr/Activites/Pharmacovigilance/Organisation-de-la-pharmacovigilance-nationale/%28offset%29/0
  2. les visiteurs médicaux: http://pharmanalyses.fr/promotion-du-medicament-le-visiteur-medical-reste-un-vecteur-essentiel-2/
  3. récente affaire des pilules contraceptives : http://pharmanalyses.fr/affaire-des-contraceptifs-oraux-ou-est-passee-la-pharmacovigilance/
  4. Drugee,: http://www.drugee.com/site/front-office/index.php
  5. http://www.drugee.com/site/front-office/index.php: http://www.drugee.com/site/front-office/index.php
  6. http://pharmanalyses.fr/affaire-des-contraceptifs-oraux-ou-est-passee-la-pharmacovigilance/: http://pharmanalyses.fr/affaire-des-contraceptifs-oraux-ou-est-passee-la-pharmacovigilance/

Source URL: https://pharmanalyses.fr/pharmacovigilance-de-nombreux-progres-restent-a-accomplir/