Pas de trève des confiseurs pour les docteurs

Pas de trève des confiseurs pour les docteurs
janvier 01 12:45 2015 Imprimer l'article

[singlepic id=1006 w=3000 h=220 float=left]Depuis le 23 décembre dernier, les médecins libéraux sont particulièrement remontés contre la ministre de la Santé, au point qu’un fort pourcentage de docteurs, généralistes et spécialistes, ont choisi de se mettre en grève entre les fêtes. Au centre de la contestation, la future loi de santé de Marisol Touraine, qui sera présentée au Parlement en mai prochain. En périphérie, un refus du tiers payant brandi comme un épouvantail dont ne veulent pas les plus libéraux des médecins.

Cette fin d’année n’aura pas été de tout repos pour la ministre de la Santé. Dès le 23 décembre, le syndicat des généralistes MG France, entre dans la danse et invite les médecins du 1er recours à fermer leur cabinet médicaux. Lancé dès le 2 octobre dernier, l’appel sera entendu par un nombre important de généralistes (de 40 à 80 % de fermetures selon les région) qui afficheront sur leur porte « médecine générale en danger » ou « médecin généraliste inquiet ». La colère est d’autant plus grande que Marisol Touraine fait la sourde oreille et joue la montre face au mécontentement croissant des praticiens libéraux. Tous mettent en cause la future loi de santé qui est censée apporter des réponses aux problèmes sanitaires du pays, mais qui prépare une nouvelle mise au pas de la médecine libérale et ne répond pas aux attentes des généralistes, qui veulent que le « virage ambulatoire » annoncé dans la stratégie nationale de santé de la ministre se concrétise par un réel investissement sur les soins primaires. Ce manque de considération et d’intérêt pour les médecins de la proximité se traduit au fil des années par une perte d’attractivité de la spécialité de médecine générale au détriment des autres spécialités. Les jeunes internes en formation préfèrent ainsi opter pour des spécialités plus rémunératrices et les jeunes praticiens, au moment de leur installation, se désintéressent de l’exercice libéral, peu attractif dans les conditions actuelles qui veulent que le généraliste français figure au nombre des médecins les plus mal payés d’Europe.

Choix de la justice sociale

Dans la hotte des grévistes de cette fin de décembre, on trouve ainsi des revendications concordantes, avec cependant des objectifs divergeant. Il en va ainsi de la question du tiers payant. Les généralistes de MG France, soucieux des inégalités sociales de santé qu’ils affrontent au quotidien, ont bien compris et reçu le message de la ministre de la Santé, pour qui le tiers payant doit permettre un meilleur accès aux soins d’une fraction non négligeable de la population (on parle à cet égard de 40 % des Français en difficulté pour accéder aux soins et faire l’avance des frais de consultation). Dans ce cadre, le niveau atteint par les dépassements d’honoraires des médecins en secteur 2 – 2,246 milliards en 2013 (1) – constitue un réel obstacle financier à l’accès aux soins que la ministre omet d’évoquer. Mais le syndicat des généralistes ne veut pas de l’usine à gaz actuelle où le médecin doit vérifier les droits de ses patients, et attendre sagement que l’assurance-maladie et les mutuelles remboursent leur part respectives, au risque de perdre de l’argent s’il ne contrôle par à posteriori les règlements. « Les conditions pratiques d’organisation de ce tiers payant, tel qu’il existe actuellement, ne nous conviennent pas, confie le Dr Claude Leicher, président de MG France, le 23 décembre dernier. Nos interlocuteurs sont 86 opérateurs qui gèrent 14 régimes obligatoires d’assurance‐maladie et 682 organismes assurant la prise en charge complémentaire. Ces chiffres sont issus d’un récent rapport de l’IGAS (1). Ces organismes ne communiquent pas toujours entre eux avec le même langage. Nous ne pouvons pas dans nos cabinets vérifier les droits de chaque assuré et le règlement de chacune de nos consultations. » Aussi son syndicat préconise-t-il depuis des mois, sans être réellement entendu, un payeur unique et un système simple, garanti, sans formalités supplémentaires ni difficulté de réalisation. Autant dire la quadrature du cercle dans les conditions actuelles de compétition entre les régimes obligatoires et complémentaires. Aussi pour ne pas se fâcher avec ses confrères, excédés par la paperasserie administrative et les contrôles de toutes sortes des caisses, qui confinent parfois au harcèlement, le syndicat des généralistes rejette toute forme d’obligation en matière de tiers payant, conscient que la généralisation de ce dernier sera menée d’ici 2017, échéance fixée par la ministre, sauf recul de dernière heure du gouvernement. Ce mois de janvier devrait réunir un groupe de travail pour fixer des « garanties » apportée aux médecins sur le tiers payant, que Marisol Touraine voit comme une « choix de la justice sociale ».

Reste que dans le camp des syndicats pluricatégoriels de spécialistes, la musique n’est pas du tout la même. De la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) au Syndicxat des médecins libéraux (SML) en passant par la Fédération des médecins de France (FMF) et quelques autres pigeons de l’UFML, le tiers payant est unanimement refusé. Pas question de voir se développer dans les cabinets médicaux une mesure, qui de l’avis de la CSMF, sera « inutile en matière d’accès aux soins, coûteuse et irréalisable sur le plan technique. » Une mesure que pourtant un nombre important de spécialités médicales pratique depuis des années sans états d’âme excessifs. La même Confédération préconisait il y a encore quelques mois le recours à la carte de paiement électronique ou la mise en sommeil des chèques des assurés sociaux les plus démunis. Pas question donc de sursoir au sacré saint paiement à l’acte. Mais ce refus traduit surtout une inquiétude récurrente dans les rangs des médecins libéraux : celle « d’impacter de manière irrémédiable le statut professionnel des médecins libéraux. » Pour le premier syndicat de médecins libéraux, cette généralisation du tiers payant aura pour effet de voir les praticiens « directement rémunérés par les caisses ». L’horreur économique absolue ! Etrange vision du monde de la santé, si l’on sait que les honoraires des praticiens sont financés par les cotisations des assurés sociaux qui « mandatent » en quelque sorte les divers assureurs (obligatoires et complémentaires) pour les payer. Le tiers payant, en vigueur dans un grand nombre de pays n’a jamais tué la médecine libérale. Il a surtout supprimé une avance de frais que les techniques modernes de règlement à distance auraient dû instaurer depuis longtemps. Mais ce que craignent surtout les farouches opposants à cette généralisation, c’est qu’elle rende plus transparente les pratiques tarifaires des praticiens du secteur à honoraires libres et sans doute aussi qu’à terme le système du tiers payant s’applique à tous les docteurs. Ce qui signifierait aussi la fin du paiement à l’acte, considéré par la plupart des économistes comme un mode de rémunération inflationniste et « mal adapté aux soins primaires » (2)

Augmenter les honoraires

Un autre sujet est également sur toutes les lèvres dans le mouvement de mécontentement des médecins. Il s’agit de leurs honoraires et en particulier de ceux des généralistes, qui n’ont plus évolué depuis 4 ans. Pour MG France, la valeur de la lettre clé du généraliste, la consultation, à 23 euros, traduit « une discrimination tarifaire par rapport aux autres spécialités médicales’ . Car, contrairement à ses confrères spécialistes, le médecin généraliste, devenu un spécialiste parmi d’autres et pour 94 % en secteur 1, ne bénéficie pas de la même valeur de consultation (23 euros contre 25 à 28 euros). Ce différentiel est dû aux syndicats de spécialistes qui ont, dans le passé, refusé de signé un avenant conventionnel ouvrant la voie à une égalité de traitement entre spécialités. Aujourd’hui, la chose semble être entendue jusque dans les rangs de la CSMF qui appelle également à une revalorisation tarifaire de la consultation de base C et Cs à 25 euros. Soit deux euros supplémentaires qui pourraient bien constituer l’amorce d’un signe de reconnaissance de l’utilité et de l’importance des acteurs des soins primaires.

Reste que la ministre de la Santé refuse toujours ces dernières semaines toute augmentation d’honoraires aux médecins libéraux, au motif qu’ils ont reçu, via les forfaits et autres ROSP (3) quelque 7 000 euros par an depuis 2012, alors même qu’elle vient d’accorder aux médecins urgentistes le paiement de leurs heures supplémentaires (90 millions d’euros que devront payer les hôpitaux !). Deux euros d’augmentation sur le C équivalent à quelque 600 millions d’euros dans un budget lourdement en déficit (6 milliards en 2014) et qui cherche des gisements d’économie. Une récente mission conjointe de l’IGF et de l’IGAS propose à cet égard de mettre de l’ordre dans la gestion des régimes obligatoires et complémentaires pour espérer pouvoir dégager 2 milliards d’économies par an d’ici 2020. Soit 12 milliards d’euros ou l’équivalent de deux années de déficit de l’assurance-maladie. Les médecins en grève pourraient trouver dans ce rapport quelques nouvelles raisons d’espérer pour l’avenir

La relance du mouvement de contestation le 6 janvier prochain – par MG France, accompagné par la FMF et le SML – donnera le ton de l’année nouvelle. Son succès ou son échec – espéré par Marisol Touraine – conditionnera la suite des relations entre le monde libéral et la ministre de la Santé. Cette dernière s’est située dans le déni du mouvement durant cette trêve des confiseurs. Les docteurs en colère pourraient rapidement la ramener au principe de réalité. Le bras de fer de la période des fêtes pourrait ainsi prochainement se transformer en « guérilla » administrative des médecins libéraux contre les caisses maladie.

Jean-Jacques Cristofari

(1) La répartition entre spécialités s’effectue comme suit : 926,3 millions pour les médecins spécialistes et  247,7 millions pour les généralistes, selon les derniers chiffres de l’observatoire des dépassements de la CNAM (Source SNIR-PS, France, tous régimes). Les généralistes du secteur 1 (honoraires conventionnels bloqués) et ne pratiquant pas d’exercice particulier sont les plus faibles dépasseurs, avec 119,9 millions d’euros en 2013 (soit 5 % de l’ensemble des dépassements d’honoraires en 2013).
(2) Selon l’économiste Jean de Kervasdoué. « Le revenu des profession de santé », éditions Economica 2014
(3) Rémunération sur objectif de santé publique, Si l’on se réfère au revenu moyen estimé par la CNAMTS, la ROSP moyenne correspond à une augmentation de 6,4 % du revenu des médecins généralistes en 2012.

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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