by Jean Jacques Cristofari | 3 février 2013 1 h 27 min
[singlepic id=666 w=300 h=220 float=left]Alors que la ministre de la Santé adopte un profil bas sur la cascade de problèmes sanitaires consécutifs aux prescriptions décennales de contraceptifs oraux, en portant le principe de précaution à des sommets inégalés, le tout nouveau président du LEEM, Hervé Gisserot (photo), avance ses « conditions-clés pour relever les défis de la mondialisation ». Et tandis que monte en puissance une nouvelle crise de confiance dans le médicament, largement entretenue par ses plus fervents Cassandre, l’industrie du médicament, dont les sociétés vont présenter bientôt leurs bilans et résultats sur 2012 , se prépare à vivre une nouvelle année de décroissance.
Après la sidérurgie, l’automobile, la pharma ? En décembre dernier, pour la première fois de sa longue histoire, le marché des produits pharmaceutiques vendus en officines et remboursés aux assurés sociaux aura plongé de – 6,2 %. Du jamais vu de mémoire d’apothicaire ! Les grippes et autres gastro-entérites enregistrées ces dernières semaines par l’Institut de Veille Sanitaire[1] n’y auront rien fait : en cumul sur les 12 mois de l’année écoulée le chiffre d’affaires du médicament remboursé aura, selon IMS, chuté de – 2,3 %, avec une baisse remarquée des prescriptions des médecins généralistes (- 6,3 %). A l’origine de cette effondrement, la diminution des prix des spécialités, inscrite dans la loi de financement de la Sécu pour 2012, et l’encouragement donné aux médecins de lever la plume sur leurs ordonnances contre une amélioration de leurs revenus (paiement à la performance[2] ou P4P). Mais également le formidable effort consenti par les pharmaciens d’officines dans les substitutions opérées en faveur des produits génériques, à l’issue d’une négociation menée avec l’assurance maladie en vue de réduire la note globale du médicament en contrepartie d’une modification de leur mode de rémunération (1).
La défiance s’installe
Dans ce contexte de décroissance générale des ventes de médicaments prescrits, faiblement compensées par la hausse des ventes de produits dits de conseil officinal ou de médication familiale (+ 2,2 %, à 5,3 milliards d’euros), l’industrie du médicament se prépare à faire face à des jours difficiles. « En ce début d’année 2013, le climat dans lequel évoluent les entreprises du médicament est une nouvelle fois marqué par de fortes interrogations sur la sécurité d’une catégorie de produits, et – par extension – sur la responsabilité des autorités de santé, des prescripteurs et des entreprises du médicament », explique Hervé Gisserot, le nouveau patron du syndicat professionnel de ces mêmes entreprises, le LEEM. Il est vrai que les accidents liés aux prises de médicaments[3] défraient la chronique en ce début d’année, et rares sont les jours sans de nouvelles annonces de la part du ministère de la Santé [4]ou l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM[5]), sur le déremboursement, la suspension ou l’arrêt d’autorisation de vente de tel ou tel produit. Un climat de méfiance qui s’alimente par ailleurs d’une défiance soigneusement entretenue par ceux qui se sont faits, au fil du temps, une réputation et une audience à jeter régulièrement la suspicion sur le médicament (2). « Nos médicaments sont des produits actifs, qui, à ce titre, sont aussi susceptibles de présenter des effets secondaires plus ou moins graves, rappelle à cet égard le patron du LEEM. Le risque est donc inhérent à la nature même de nos produits. »
Reste que les autorités de santé, françaises ou européennes, en charge des produits de santé, ont pour responsabilité première d’autoriser – ou pas – la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques et depuis 2005, d’en assurer un suivi rigoureux à travers des plans dits de « gestion des risques », qui préconisent une pharmacovigilance[6] accrue, ainsi que des études conduites sur la « vraie vie » des médicaments, études dénommées « pharmaco-épidémiologiques ». Malgré les impératifs imposés par l’Europe et son agence du médicament (EMA), ces dernières manquent toutefois encore cruellement pour éclairer la prescription des médecins comme les décisions des pouvoirs publics. La récente affaire de la pilule Diane [7]35 illustre parfaitement le propos (3).
Une politique du médicament[singlepic id=664 w=280 h=160 float=right]
Reste désormais pour l’immédiat, selon les voeux exprimés par Hervé Gisserot, à « reconstruire un message de vérité et de responsabilité autour des médicaments ». Ce qui, dans le contexte actuel, ne sera pas une mince affaire. La volonté clairement exprimée par le LEEM d’engager ses entreprises dans une pharmacovigilance [8]accrue de leurs produits participera de cette reconstruction. Il faudra également que les autorités en charge de la santé balayent devant leur porte en initiant une « politique du médicament » digne de ce nom et qui ne soit pas qu’économique. Une politique qui passe par la mise en place d’un solide enseignement initial à la pharmacopée, par une formation continue des praticiens qui intègre une « connaissance éclairée » du médicament dans toutes ses dimensions, mais aussi par une responsabilisation sans failles de la nouvelle ANSM. En particulier dans le poids que l’agence, dirigée par le Pr Maraninchi, accepte d’accorder aux « risques » que peuvent supporter les médicaments mis sur le marché. Des textes existent pour baliser sa route. Ils doivent être appliqués – et pour certains publiés sans délai ! – sans attendre que de nouveaux risques viennent définitivement contrarier les bénéfices que les patient et leurs médecins pensaient pouvoir tirer d’un « bon usage » des produits de santé. « Nous le savons tous, note encore Hervé Gisserot dans ses voeux à la presse : la confiance ne se décrète pas, elle se mérite. » Elle se conquiert aussi sans doute et pour regagner celle des patients déboussolés, il y aura fort à faire.
Signes d’essoufflements
Plus largement, le président du LEEM vient nous rappeler que son secteur industriel est entré en récession en 2012 : » Un recul historique, imputable notamment au durcissement des politiques de régulation, et qui intervient pour les entreprises dans un contexte de mutation de leur modèle de recherche et de globalisation sans précédent de leur activité », indique encore Hervé Gisserot. Les résultats que présenteront les big pharma sur l’exercice 2012 nous diront prochainement ce qu’il en est réellement de cette « mutation » et d’une « globalisation » dont l’effet principal est de conduire les sociétés à migrer progressivement leurs activités de production ou de recherche vers l’Asie ou l’Amérique Latine. Pour l’heure, les représentants de la pharma française avancent que l’emploi marque déjà « de réels signes d’essoufflement » dans leurs entreprises. Après les jobs dans la visite médicale, fortement réduits, voici à présent que des menacent planent sur la production et la recherche en France. Le temps où l’ex-patron du LEEM, Christian Lajoux en l’occurence (prédécesseur d’Hervé Gisserot), se félicitait d’une France qui était la première plateforme européenne de production du médicament semble déjà bien loin. Quant à la recherche sur le médicament[9], nous voici aussi, en termes de recrutement des patients, rétrogradé à la 4ème place mondiale. Ici aussi, malgré tous les efforts déployés par les sociétés de recherche sous contrat[10], la recherche clinique, du fait de la globalisation, bat de plus en plus de l’aile dans l’Hexagone. Et si l’Etat peut parfois être facilitateur, désormais il ne peut plus grand chose pour une branche pourtant stratégique, mais qui ne figure déjà plus vraiment sur sa feuille de route. Car un oeil rivé sur la ligne des 3 % de déficit budgétaire, il observe de l’autre celle des bénéfices que devraient prochainement annoncer les big pharma. Hervé Gisserot plaide des mesures de bon sens pour ne pas enfoncer davantage ses entreprises dans la récession, dont celle, ambitieuse, de « repenser ensemble la distribution du soin en France ». Mais la politique « industrielle » qu’il appelle aussi de ses voeux, en développant les axes d’un « contrat de mandature » (voir ci dessous), a peu de chances d’être réellement mise en oeuvre. La branche pharmaceutique, comme la santé, est désormais prisonnière de logiques étatiques, comptables et budgétaires, qui ne lui laisseront que peu de marges de développement sur le Vieux Continent. Son salut, plus que jamais, passe par les marchés émergents. Elle le sait et s’y est déjà préparée.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Une rémunération qui comprendra à l’avenir un honoraire de dispensation pouvant peser à terme jusqu’à 25 % de leur marge globale (c’est à dire de leurs revenus bruts), qui est de quelque 5,5 milliards d’euros.
(2) La revue Prescrire en fait de longue date son fond de commerce. Elle vient une nouvelle fois de publier sa « liste des principaux médicaments à écarter des soins et retirer du marché », dans son édition de février 2013 sous le titre : « Pour mieux soigner : des médicaments à écarter ».
(3) « Nous n’avons pas le dispositif adéquat, a expliqué Marissol Touraine sur France Info le 4 février. L’objectif que je fixe c’est de pouvoir mieux anticiper, mieux informer, mieux prendre en compte les données de pharmacovigilance », à savoir de surveillance des produits de santé. » « Il faut s’assurer que les événements qui renvoient à des accidents ou à des effets secondaires problématiques remontent bien aux autorités sanitaires, a ajouté la ministre. Aujourd’hui nous n’avons pas la certitude que tous les événements à risque remontent en direction des autorités sanitaires ». Le même jour, le directeur de l’ANSM, Dominique Maraninchi, bottant en touche sur les responsabilités écrasantes de son agence, a critiqué sur France Info les « ambiguïtés » des laboratoires pharmaceutiques, estimant que les notices étaient « trop compliquées », protégeant les laboratoires, mais « n’informant pas assez les médecins prescripteurs ». (Source : AFP)
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[singlepic id=665 w=300 h=220 float=left]Les objectifs du LEEM pour 2013 : les grands axes de son « contrat de mandature »
– Encourager le développement de filières d’excellence en capitalisant sur les atouts compétitifs de la France (dans les vaccins, l’oncologie, les maladies rares ou encore les thérapies cellulaires). imaginer des dispositifs de soutien aux TPE.
– Soutenir les exportations : l’industrie du médicament demeure l’un des principaux soutiens aux exportations françaises dans le monde.
– Accompagner les mutations des emplois dans le secteur : anticiper les compétences dont l’industrie du médicament aura besoin dans les années à venir, et assurer dans les meilleures conditions la reconversion des salariés et leur ouvrir de nouvelles perspectives.
– Conforter les activités de recherche et développement en France, en prenant le plus rapidement possible les décisions qui s’imposent pour soutenir la recherche clinique.
– Doter le secteur d’un cadre économique et fiscal compétitif. Les entreprises du médicament s’acquittent de 11 taxes spécifiques, en plus des taxes communes aux autres secteurs, et nous avons la pression fiscale la plus élevée d’Europe.
Source URL: https://pharmanalyses.fr/nouvel-avis-de-tempete-sur-lindustrie-du-medicament-le-leem-veut-un-contrat-de-mandature/
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