Médecine libérale : le coup de grâce de l’Ordre des médecins

by Jean-Jacques Cristofari | 5 juin 2012 10 h 15 min

[singlepic id=505 w=300 h=220 float=left]L’assurance-maladie, le ministère de la Santé, le Parti Socialiste, les Agences régionales de santé en ont rêvé : l’Ordre des Médecins l’a fait ! En proposant, pour lutter contre les déserts médicaux, que les jeunes médecins s’installent pour 5 ans dans la région où ils ont été formés et à des endroits qui leur seront suggérés, pour ne pas dire imposés, par les ARS, le Conseil national de l’Ordre des Médecins a enterré la liberté d’installation, un des piliers de la médecine libérale. Au-delà, il a sans doute porté le coup de grâce à cette dernière et, peut-être, lancé le débat sur la médecine de proximité du XXIème siècle.

Est-ce tout à fait un hasard si l’Ordre des médecins met cette proposition sur la table quelques jours après l’élection de François Hollande ? Se sent-il menacé comme en 1981 et donc obligé de donner des gages ? Son président, Michel Legmann (photo), [singlepic id=500 w=200 h=140 float=right]s’en défend vigoureusement. Mais, si on ajoute à cette proposition, celle sur l’encadrement des dépassements d’honoraires, la conclusion qui s’impose est que boulevard Haussmann, au siège de l’Ordre, on sait prendre le vent dans la bonne direction. Sur le fond, la proposition de l’Ordre va beaucoup plus loin que le Contrat d’exercice d’intérêt public que nous avons proposé dans ces colonnes[1], qui offre un choix de mode et de lieu d’exercice.

Des libertés grignotées

En enterrant sans fleur ni couronne la liberté d’installation, l’Ordre porte, en réalité, un coup de grâce à la médecine libérale à la française. En effet, celle-ci se définit légalement depuis les années 1920, par trois critères fondant l’indépendance du médecin :
–          La liberté de prescription,
–          La liberté des honoraires,
–          La liberté d’installation.
Au fil du temps et, particulièrement depuis l’avènement de la Sécurité sociale, les deux premières ont été grignotées au point de n’être plus que résiduelles.

[singlepic id=501 w=160 h=120 float=left]Les prescriptions des médecins sont très encadrées, tant dans leur volume que dans leur nature. Les recommandations de la HAS[2], les protocoles de soins, les accords de bon usage et les objectifs de la maitrise médicalisée[3] constituent autant de bornes à la liberté de prescription. A cela s’ajoute l’assurance-maladie qui surveille de près le profil de prescription des médecins et qui, au moindre dérapage, envoie un de ses délégués pour remettre le déviant dans le droit de chemin. Et si cela ne suffit pas, elle sort l’artillerie lourde de la convocation par le médecin conseil avec, in fine, une comparution devant la commission conventionnelle..
La liberté des honoraires a été largement écornée par le conventionnement auquel adhèrent 99 % des médecins. Elle ne subsiste plus que pour ceux qui ont opté pour le secteur II, mais ces médecins-là sont en liberté surveillée, en attendant que leurs honoraires soient encadrés et, à terme, supprimés.
Il ne reste plus comme marqueur de la médecine libérale que la liberté d’installation. Et voilà que cette liberté reçoit une torpille tirée de là où on ne l’attendait pas. Dans cette affaire, l’Ordre, c’est un peu M. Le Trouhadec saisi par la débauche.

Une liberté en peau de chagrin [singlepic id=502 w=160 h=120 float=right]

Au cours de son Histoire, l’institution ordinale s’est toujours opposée à tout ce qui pouvait remettre en cause la médecine libérale dans sa pureté de cristal. La création de la Sécurité sociale et la Convention médicale ont été, en leur temps, présentées comme le Diable incarné, parce que s’interposant entre le patient et son médecin. Cette position de gardien du temple s’est illustrée encore en 2011, avec l’opposition au paiement à la performance, parce que cette disposition conventionnelle tendrait à sacrifier l’éthique médicale sur l’autel de l’efficacité économique. Hippocrate reviens, ils sont devenus fous !

Et soudain, cette même institution à laquelle on ne demandait rien, se réveille et abat la dernière table de la loi libérale. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elle a pris conscience que le fruit était mur et a considéré que, pour une fois, il était préférable d’anticiper le mouvement de la vie plutôt que d’essayer de l’arrêter. Celui-ci est déjà en marche : entre les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) qui déterminent l’emplacement des hôpitaux et des cliniques – où exercent chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens – et bientôt les maisons de santé pluridisciplinaires, la liberté d’installation est déjà une liberté en peau de chagrin.

Ces évolutions montrent que la médecine libérale traditionnelle vit sans doute ces dernières années. On a déjà souligné ici que moins de 10 % des nouvelles générations de médecins s’installent en libéral[4], contre 90 % jusqu’aux années 90, que les autres préfèrent le salariat, le remplacement, le vagabondage de maison de santé en maison de santé. On a aussi souligné que la demande sociale à l’égard du médecin de ville n’est plus la même. Il n’est plus là seulement pour consulter et prescrire, mais conseiller, orienter, accompagner, prendre en charge globalement et la course à l’acte n’est plus adaptée à ces nouvelles missions. Le médecin est aussi un acteur économique public, au sens où il engage l’argent des contribuables et des assurés sociaux. Il exerce sous le contrôle de la collectivité.

[singlepic id=503 w=180 h=140 float=left]Le mythe du bon médecin de famille

Les médecins eux-mêmes – ceux qui sont installés – ne sont plus les mêmes. Le mythe du bon médecin de famille disponible 24 h sur 24, 365 jours par an pour ses patients a vécu. Il a fallu structurer la permanence de soins à grand coups de centres 15, de médecins régulateurs et de médecins effecteurs, rémunérés différemment, selon qu’ils interviennent avant ou après minuit, et malgré ces carottes[5], les Ordres départementaux ont du mal à remplir leurs tableaux de garde. Des structures, comme SOS-médecins, ont trouvé leur place parce que les médecins généralistes veulent fermer leur cabinet à une heure décente et prendre des congés comme les bienheureux salariés abonnés aux 35 heures et aux RTT.

L’époque des moines-médecins est terminée. C’est sans doute regrettable mais comme disait le Général de Gaulle[singlepic id=504 w=160 h=120 float=right], « on peut toujours avoir la nostalgie du temps de la marine à voile et de la lampe à huile, mais il faut bien prendre en compte les réalités ». L’autre évolution sociologique majeure est la féminisation du corps médical. Dans moins de 5 ans, plus de la moitié des médecins seront des femmes et cela n’est pas sans conséquence sur l’évolution des attentes et des pratiques médicales. L’enjeu des prochaines années est d’inventer les règles de la médecine de proximité du XXIème siècle, qui ne pourront pas être celles de la médecine libérale des XIXème et XXème. Si son intervention sur la liberté d’installer a permis de prendre conscience de cet enjeu, il sera beaucoup pardonné à M. Le Trouhadec pour son moment d’égarement !

Philippe Rollandin

Endnotes:
  1. que nous avons proposé dans ces colonnes: http://pharmanalyses.fr/medecine-liberale-il-faut-un-changement-total-de-cap/
  2. recommandations de la HAS: http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_5233/recommandations-de-bonne-pratique?cid=c_5233
  3. objectifs de la maitrise médicalisée: http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/obj-res4_6_pqe_maladie.pdf
  4. médecins s’installent en libéral: http://www.conseil-national.medecin.fr/article/atlas-de-la-demographie-medicale-francaise-2011-les-jeunes-medecins-invitent-leurs-confreres-s%E2%80%99insta-1087
  5. ces carottes: http://www.ameli.fr/professionnels-de-sante/medecins/gerer-votre-activite/la-permanence-des-soins.php

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