Les officines en quête d’un nouveau modèle économique

by Jean Jacques Cristofari | 11 novembre 2019 20 h 52 min

Après quelques années de disette associées à des ventes de produits remboursables en croissance nulle, le monde officinal s’inquiète une nouvelle fois des baisses de prix inscrites dans la future loi de financement pour la Sécu en 2020, actuellement en discussion au Parlement. Pour pallier les baisses de chiffre d’affaires, les officines veulent investir de nouveaux champs d’activité et développer la part des honoraires dans leur rémunération. Etat des lieux.

Coopération Santé, en collaboration avec le syndicat des pharmaciens USPO, organise le 26 novembre un colloque sur le thème de « l’évolution de l’officine au service des patients »

L’officine a pris de plein fouet les baisses de prix des médicaments inscrites dans les dernières lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Pour 2018, ces baisses s’élèvent à 641 millions d’euros en prix fabricant HT. Cet « effet prix », estimé à – 3,6 % pour le marché du remboursable, est réparti à hauteur de 53 % sur les produits inscrits au répertoire des génériques et à 47 % sur les produits toujours brevetés. Car les médicaments génériques ont subi l’an passé des baisses de prix estimées à 337 millions d’euros.

Pour 2019, les baisses de prix programmées par la LFSS s’élèvent à 700 millions d’euros, en prix nets, pour les produits vendus par les officines. A ce montant s’ajoutent des économies associées à la maîtrise médicalisée (baisse des prescriptions des médecins contre rémunération sur objectifs de santé publique) et des modifications dans la structure de prescription des produits de santé (en faveur des génériques ou des produits biosimilaires).
Le PLFSS pour 2020 s’inscrit dans la continuité des loi de financement passées avec un nouveau train d’économies sur le médicament (920 millions de baisses de prix annoncées)

Un modèle économique en plein bouleversement

Depuis l’introduction des honoraires de dispensation en 2015, le modèle de rémunération officinale évolue d’une marge commerciale vers le paiement d’actes officinaux. La dernière évolution en date est intervenue au 1er janvier 2019 avec de nouveaux honoraires, notamment sur toute ordonnance délivrée. La part de rémunération déconnectée du prix des médicaments devraient bientôt atteindre 75 %.

Depuis le 1er janvier, les pharmacies d’officine ont été soumises à un nouvel arrêté de marge (1) avec des modifications qui portent sur la marge dégressive lissée (MDL), soit les montants perçus par boîte selon les prix de celle-ci : ainsi pour un médicament vendu à un prix inférieur à 1,91 euro, la marge est de 10 %. Pour un produit vendu entre 1,92 euro et 22,90 euros, elle est de 21,4 %. Pour une spécialité vendue entre 150 et 15 215 euros elle est de 6 %.

Les expérimentations sur les vaccinations, introduites en 2017 et généralisées en 2019, les bilans de médication démarrés en 2018, les entretiens pharmaceutiques (sur les anticoagulants oraux ou AVK, sur l’asthme, aide au sevrage tabagique, suivi nutritionnel), l’organisation du contrôle des ordonnances, les bilans de médication, la téléconsultation à l’officine, la participation à des protocoles de suivi et de parcours de soins au sein d’équipes pluriprofessionnelles, sont autant de services qui participent de l’élaboration du nouveau modèle économique de l’officine. Ils supposent une montée des compétences et une mutualisation des ressources dans l’officine et une réorganisation de cette dernière (logiciel de suivi patient, aménagement d’espaces de confidentialité, robots ou automates de dispensation.

Une économie encore fragile

Les années 2011 à 2016 ont été des années noires pour le réseau officinal, qui a vu son chiffre d’affaire stagner, voire régresser. Il ne s’est redressé que récemment, en 2018 et devrait remonter cette année.

« Après une stabilisation de la marge en 2018, les pharmacies d’officine constatent une augmentation de leur rémunération au 1er trimestre 2019, et ce malgré une baisse d’activité importante au mois de mars 2019« , confirme de son côté l’USPO dans Officines Avenir de juin 2019. Fin juillet, le syndicat note que  » la rémunération augmente [sur les 6 premiers mois de 2019] de 20,5 millions d’euros ( +4,83 % ), soit plus du double de l’augmentation du nombre d’unités. Le modèle économique, pensé par l’avenant conventionnel n°11, a permis de déconnecter progressivement la rémunération de la pharmacie du prix et du volume du médicament. Les résultats sont positifs. »

La Fédération des Syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) estime de son côté que l’im­pact des me­sures ta­ri­faires arrêtées dans le PLFSS 2020 sur l’éco­no­mie des of­fi­cines est de 125 mil­lions d’eu­ros. En 2018, il était de 175 mil­lions d’eu­ros.

Reste que la récente progression du CA n’est pas homogène sur l’ensemble du réseau : les grosses officines (CA supérieur à 2,2 millions d’euros) progressant mieux (+ 3,2 %) que les petites (CA inférieur à 1,1 million, à + 1,5 %) et celles situées en centre commercial plus rapidement (+ 4,1 %) que celles situées en zone urbaine (+1,9 %) ou en zone rurale (+2,4 %). (2)

Selon l’étude annuelle menée par KPMG (2), le CA sur le médicament remboursable (TVA à 2,1 %) progresse de 2,4 %. Celui sur le « selfcare » (automédication, dispositifs médicaux, compléments alimentaires, avec une TVA de 5,5 et 10 %) progresse de + 1,2 %, mais de façon moins nette que l’exercice précédent. Enfin, le CA de la parapharmacie  (TVA à 20 %) décroche nettement ( + 0 ,9 %) par rapport à 2017 et 2016, qui ont enregistré des progressions à plus de 4 %.

Quelle rémunération pour le pharmacien ?

La marge, ou rémunération officinale, s’entend de la différence entre les ventes de tous les produits dans la pharmacie et ses achats. Elle tient compte de la marge administrée, mais aussi des autres éléments de rémunération, notamment les honoraires de dispensation, la coopération commerciale, les ristournes de groupements, les remises sur génériques et les rémunérations sur objectifs de santé publique.

En 2018, la marge moyenne HT est de 548,4 millions d’euros, en progression de 1,2 %. Elle progresse moins que le CA. Le taux moyen de marge brute commerciale s’établit ainsi à 32 % en 2018, un taux stable depuis 2014, même s’il accuse un léger recul par rapport à 2017 (32,3 %). Ce taux est par ailleurs variable selon le CA de l’officine ou sa position géographie. Ainsi, les officines situées en zone rurale ont tendance comme chaque année à avoir un taux de marge supérieur aux autres (32,8 %), en raison de leur structure de chiffre d’affaires. De même les officines en centre commercial (31,7 %).

Il faut noter que le taux de marge sur les ventes de médicaments remboursables est en recul à 31,6 %, à cause de l’impact défavorable sur le taux de marge de la forte progression des ventes de médicaments chers et vraisemblablement aussi du plafonnement de l’effet des remises génériques. Le selfcare – médicaments en accès libre – parvient à consolider son taux de marge à 33,1 %. La parapharmacie au sens large tire assez bien son épingle du jeu, grâce à un taux de marge en augmentation sensible à 32,6 %. La contribution à la marge globale de l’officine de ces deux dernières activités – à hauteur de 28,8 % – est en progression sur cette année. Elles représentent toujours une source de revenus complémentaires indispensables pour la pérennité de l’officine.

Selon les calculs du syndicat USPO, sur les neuf premiers mois de l’année, les officinaux enregistrent une hausse de leur rémunération de 1,58 point et de leur chiffre d’affaires de 2,03 points par rapport à la période de référence de 2018. Pour ce syndicat, après les baisses de 2018 (- 30,8 millions d’euros sur les 9 premiers mois) et de 2017 (-120 millions d’euros), la réforme de la rémunération contribue largement à redresser la barre.
La rémunération moyenne nette du pharmacien titulaire est de 57 000 euros en moyenne selon Fiducial, 55 000 euros selon KPMG et 46 000 euros pour CGP (surtout pour les officines en société).

Une rentabilité précaire

La performance commerciale et de gestion (PCG) des officines, calculée par KPMG, est considéré comme l’indicateur financier le plus pertinent de mesure de la rentabilité de l’officine et de son évolution. Il s’obtient à partir de la marge globale (ou rémunération officinale), de laquelle on soustrait les charges externes, les impôts et taxes (hors impôts sur les sociétés) et les frais de personnel (hors titulaire).
En 2018, ce PCG s’établit à 262,4 millions d’euros en 2018, en baisse de 0,2 % par rapport à 2017 où il progressait de 2,9 %.  » C’est la conséquence logique, malgré une augmentation faciale du chiffre d’affaires, d’une marge en faible évolution et surtout d’une progression des charges, principalement de personnel, plus importante que la marge « , note KPMG. Ce chiffre traduit le caractère précaire de la rentabilité des officines.
Du côté des petites officines (moins de 1,1 millions d’euros de CA), la PCG est en recul de 2,2 %. Les tailles intermédiaires sont également en recul (-0,3 %). Seules les officines de tailles importantes (plus de 2,2 millions de CA) progressent en moyenne de 0,4 %.

Au total, KPMG note que 52 % des pharmacies de son échantillon ont une évolution négative de la rentabilité.

Quelles orientations pour l’avenir ?

Le pharmacien d’officine ne peut plus avoir une attitude passive face aux contraintes et résultats précités. Il devra, souligne Les Echos Etudes (3), revoir le parcours de santé de ses patients en mettant à leur disposition des outils « web to store », en proposant du contenu informatif sur les thématiques de leur choix à travers leur site web et/ou sur les réseaux sociaux. La vitrine numérique de la pharmacie peut aussi être enrichie de services pour faciliter la visite en pharmacie.
En un mot une transformation digitale du métier de pharmacien pourra lui offrir de nouvelles opportunités en termes de business. Elle passera notamment par : les téléconsultations, la télé-expertise, la télé-pharmacie, le suivi de chimiothérapies orales, l’e-observance, l’évaluation de facteurs de risque, une dispensation adaptée, voire robotisée, le coaching santé, l’entretien pharmaceutique et le bilan de médication via une plate-forme dédiée etc., le tout en vue de fidéliser des patients par des services à valeur ajoutée. Le digital peut ainsi constituer un important levier de croissance et de création de valeur et ce, grâce au développement de services innovants. Mais il supposera également des investissements en termes de matériels comme de formation du personnel. L’adhésion à un groupement ou à une enseigne peut, à cet égard, faciliter la démarche d’une entrée raisonnée dans le digital.

Jean-Jacques Cristofari

(1) Cf. 2017-116 Calendrier détaillé de l’avenant n11 publié au JO avec le nouvel arrêté de marge

(2) Selon le cabinet KPMG « pharmacies, moyennes professionnelles 2019 ».

(3) « La pharmacie d’officine à l’ère du digital. L’innovation en pharmacie pour optimiser la relation patient et ré-enchanter l’expérience client », 2017

Démographie de la profession : repères

74 115 pharmaciens étaient inscrits à l’Ordre des Pharmaciens en 2018.

Sur ce nombre, 26 212 sont des titulaires d’officines (35 % du total). Leur nombre a baissé de 1,3 % par rapport à 2017. Il faut rattacher à ces derniers 23 853 adjoints d’officine (+ 0,7 %) et 2 647 adjoints intérimaires et 1 380 pharmaciens, titulaires ou adjoints qui exercent en outre-mer.
Ce qui nous amène à un total de 52 712 personnes travaillant dans une pharmacie d’officine en France métropolitaine.

La France compte 20 966 pharmacies d’officines en 2018. Le maillage territorial des officines reste équilibré et harmonieux. Pour 100 000 habitants, on recense en moyenne 32,4 officines. 226 officines ont fermé en 2018 (+ 17 % par rapport à 2017) et la France a vu disparaître 1 220 officines entre 2010 et 2018, soit 12,7 officines en moins par mois.

En 2008, la France comptait 36,2 officines pour 100 000 habitants. Le chiffre est tombé à 32,4 10 ans plus tard, alors que la population française est en constante augmentation sur la période.

 

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