Les contraceptifs comme révélateur du modèle actuel en santé ?

by Jean-Jacques Cristofari | 24 janvier 2013 14 h 41 min

[singlepic id=656 w=300 h=220 float=left]Les relations qu’entretiennent la médecine générale et les médecins généralistes avec les autres spécialités médicales témoignent d’une longue histoire dans laquelle l’idéologique et la sociologie des métiers sont déterminants. Dans une approche découpée du corps et des hiérarchies découlant des spécialisations, la prise en compte des aspects sociaux et économiques dans le domaine de la santé est variable selon l’idée que chacun se fait de l’importance de son rôle et de son autonomie professionnelle. La notion de liberté est un prétexte régulièrement mis en avant…

Les stratégies d’influences des professionnels comme du grand public sont devenues essentielles, compte-tenu du marché économique que représente la santé et du développement des supports de médiatisation. Elles le sont d’autant plus que leur encadrement officiel est limité, plus théorique et formel qu’opérationnel, les priorités restant le libre choix non organisé.

Un bruit de fond social

Le débat lié à la place « excessive » prise par les contraceptifs de 3ème et 4ème génération (CO 3 G) prescrits par les gynécologues, et de façon moindre par les généralistes souligne les contradictions sur des risques bien connus depuis plus de 10 ans.

Cela conduit à s’interroger sur certains des déterminants interdépendants et sous-jacents, en particulier :

  1. la volonté de modernité et le sentiment de participer aux progrès réels ou allégués et d’en faire bénéficier les femmes souhaitant une contraception. L’appellation même de « nouvelle génération » associe implicitement « nouveauté » et « amélioration ».
  2. la prescription par les gynécologues s’inscrit dans cette même logique disciplinaire et professionnelle, mais aussi dans les processus de différentiation hiérarchique largement décrits qui leur permettent de se distinguer des autres prescripteurs de rang présenté comme inférieur, entendu des généralistes.
  3. le constat du mimétisme prescriptif de nombre de généralistes, pour lesquels la communication médicale et sociale sert de levier pour « qu’ils fassent comme les spécialistes« , donne lieu à l’illusion d’une position comparable en utilisant les mêmes outils. Cette technique de référencement est essentielle dans la visite médicale promotionnelle.
  4. la place historique de la presse professionnelle et des congrès ad hoc dans la promotion organisée des classes thérapeutiques « nouvelles », dont le statut est validé a la fois par le pôle scientifique professionnel et le pôle politico-administratif en termes de remboursement et d’amélioration supposée du service médical rendu (ASMR).
  5. L’évolution de la solidarité collective et des conditions d’accès aux soins avec des glissements croisant des prescriptions remboursées vers des produits non remboursés. Cet aspect financier est retrouvé dans le clivage et l’écart grandissant entre les médecins à tarifs des remboursés par la sécurité et ceux des médecins à honoraires aux dépassements qualifiés d’abusifs.
  6. la compétition entre les régimes complémentaires, mutuelles et assurances pour assumer le remboursement de ces pilules de 3eme et 4eme génération, le plus souvent non prises en charge. Cette situation offre un axe de communication associant modernité, qualité de vie et confort, pour assurer le recrutement et la fidélisation d’adhérents.

Tous ces éléments sont directement liés au bruit de fond social dans lequel interfèrent :

  1. les discours majoritaires et le rôle des leaders d’opinion universitaires hospitaliers et spécialistes de deuxième ligne influents et sous influence, comme modèle de l’excellence et porteur les bonnes nouvelles du modèle positiviste de la science.
  2. les discours minoritaires et argumentés des professionnels et lanceurs d’alerte, en particulier de premier ligne, qui sont vécus comme des opposants aux discours majoritaires sur la nouveauté synonyme de progrès allégué quand ils rappellent la non pertinence et le risque des CO de 3eme et 4eme génération, et le bien fondé des 2eme génération mais aussi les alternatives à la contraception hormonale.
  3. les discours discrets et la grande tolérance des acteurs politiques et administratifs face aux pratiques prescriptives non conforme à la qualité et sécurité des soins. Parmi les facteurs explicatifs, la proximité entre pouvoir médical, politique et économique dont les effets jouent aussi au niveau des agences sanitaires françaises et européennes qui acceptent des produits à SMR insuffisant, qui seront ensuite remboursés.
  4. les discours ambivalents des patients, dont certaines associations demandent actuellement la multiplication des investigations avant prescription, laissant sous silence dans le même temps le rôle du tabagisme comme cofacteur de risque incontestable et prépondérant.

Les spécificités du système français

Du coté des praticiens soignants et prescripteurs il faut distinguer les « médecins  dépendants » de ceux qui sont des « patients dépendants ». Mais dans tous le cas, il y a volonté d’évitement d’un conflit médical frontal qui serait nuisible à leurs besoins et intérêts respectifs, d’autant que la non régulation actuelle du système de santé permet à chacun de définir ses priorités et de préférences d’exercice dans des niches choisies.

[singlepic id=657 w=260 h=180 float=left]Ces contextes expliquent pour une large part ce qui est qualifié de « spécificités du système français ». Le fait que les médecins hollandais prescrivent 80 % de contraception de 2eme génération devrait nous interroger. Coté Danois, les médecins initialement prescripteurs de 70% de CO 3G aient réduits de 50% leur perception de CO 3G suite au rappel de leur bon usage. Ces exemples nous montrent que l’objectif de pertinence, qualité et sécurité des soins est parfaitement accessible ailleurs.

Ces aspects, mis en lumière dans l’affaire des CO 3G, mobilisent les logiques de communication, de promotion, de vulgarisation des médicaments (et autres produits et services de santé non) qui sont les mêmes.  Notamment pour des produits qui visent les grands nombres et les grands volumes. Le champ des soins primaires et la médecine générale sont ainsi particulièrement exposés. Les médecins généralistes sont ainsi sous la double contrainte d’une tenaille professionnelle et profane, dans laquelle les solutions sont plus ou moins simples et confortables : entre soumission et séduction ou rébellion et autonomie.

De nombreux éléments de ce puzzle sont en cours de remaniement avec de changements à des niveaux différents : nécessité de justification des dépenses, clarté accrue sur les liens d’intérêts, crise économique de la presse médicale avec, au pire, la disparition de journaux spécialisés ou, au mieux, des changements de périodicité dans les parutions, évolution des stratégies d’influence, et point important développement en cours de l’expertise collective en médecine générale.

Une expertise en cours de création

Ce dernier aspect est essentiel, car une discipline en cours de constitution doit être d’autant plus attentive qu’elle souhaite devenir crédible et constituer, pour les soins primaires de médecine générale,  l’expertise universitaire et professionnelle dans son champ. Cette expertise dans les soins de premier recours vise non à se substituer à celle des spécialistes des autres spécialistes médicales, mais à prendre sa place naturelle, notamment quand il s’agit de traiter scientifiquement et médiatiquement des questions spécifiques de médecine générale et de soins primaires.

Reste que quel que soit les éléments positifs nouveaux, les aspects de régulation du système s’imposent. Le mythe de d’autorégulation et de la bonne volonté des acteurs a atteint ses limites. L’histoire de la sécurité routière et de l’évolution de la mortalité sur les routes nous a montré que le temps et les actions successives (contraignantes ou non) sur des facteurs techniques multiples n’empêchent pas de devoir influencer aussi les comportements des conducteurs. En matière de santé, les dommages les plus importants ne sont pas ceux liés aux risques médicamenteux, mais aux effets de la non organisation du système de santé et ses multiples impacts sur la protection sociale et la qualité des soins.

Jean Luc Gallais[singlepic id=658 w=160 h=120 float=right]

Directeur Conseil scientifique Société Française de Médecine Générale (SFMG[1]), spécialiste en médecine générale et en santé publique

Endnotes:
  1. SFMG: http://www.sfmg.org/accueil/

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