« Oui, je propose que la Sécurité sociale se concentre sur les risques principaux » ! Le propos tenu par l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy lors d’un des débats de l’entre deux tours de la primaire de « Les Républicains » aura fait l’effet d’une bombe. Pour mettre un terme aux « déficits récurrents de l’assurance maladie », François Fillon choisit une option qui ressurgit comme un serpent de mer depuis une vingtaine d’années : transférer certaines dépenses de l’assurance maladie vers les assureurs complémentaires. L’Assurance-maladie obligatoire est ainsi invitée à se recentrer « sur les affections graves ou de longue durée », charge aux assurances complémentaires d’assurer « le reste, le panier de soins individuel ». Un « reste » dont on peine cependant à imaginer le contenu réel (petit rhume, légère entorse, mal de ventre après un repas trop arrosé, règles douloureuses… ?). Par ce partage des risques, les Français pourront bénéficier du « juste soin, au meilleur coût », une formule maintes fois rabâchée, qui ne précise ni la nature exacte du soin « juste », ni celle de la soutenabilité du coût (pour l’individu ou pour la collectivité ?). Cette « option » initiée par un programme santé d’avant primaires rejoint celle du « tournant libéral » défendu dans les années 1986 – 1988 par Jacques Chirac lors de la première cohabitation (1) et qui se poursuivra dans les années 90 par d’autres propositions de réforme de la Sécu (2) qui déboucheront sur les ordonnances Juppé dont ont sait le sort que lui ont fait les syndicats de salariés. Car vouloir passer le mistigri d’une branche de l’assurance maladie (l’obligatoire) aux autres (les complémentaires) résonne comme un air bien connu des précampagnes électorales de la droite.
Privatisation de la Sécu
« Il s’agit d’un thème récurrent à droite, commentera dans les Echos le Pr. Dominique Stoppa-Lyonnet, porte-parole santé de François Fillon et professeur de génétique à l’université Paris-Descartes : à la Sécurité sociale de payer le risque “lourd”, tandis que le marché peut se débrouiller avec le risque “léger”. Mais personne n’a jamais réussi à définir chacune de ces catégories – à part les affections de longue durée, par exemple le diabète, le cancer, l’insuffisance rénale sévère », tempère ce dernier. « Pour la complémentaire santé, la perspective d’un élargissement de leur marché est une bonne nouvelle », ajoute-t-il. Il suffit à cet égard de lire le dernier rapport de l’Autorité de la Concurrence sur les audioprothèses (3) ou cet autre de la même autorité sur les opticiens (4) pour s’en convaincre. Le « marché » des complémentaires à encore devant lui un boulevard de services à satisfaire, que la bonne vieille Sécu n’assure plus ! [2]La perspective tracée par François Fillon ouvre également la voie à une privatisation de cette institution septentenaire qu’est la Sécu, sur fond de couverture sociale amoindrie et de renchérissement des primes d’assurance complémentaire. Vraies bénéficiaires de cette « option », les entreprises pourraient ainsi voir la part patronale de leurs cotisations baisser, du fait du transfert de charges et donc de cotisations vers les complémentaires, et gagner ainsi en compétitivité, maître mot des discours politiques du moment. « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! », commente sans état d’âme dans Challenges Denis Kessler, ancien numéro deux du patronat, ancien président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) et actuel président de la SCOR, un géant de la réassurance. Car dans les coulisses, le MEDEF n’est pas non plus sans propositions sur le sujet.
Déconcentrer la gestion du risque maladie
Il y a peu de temps l’Institut Montaigne, proche de LR, publiait un rapport invitant les responsables politiques à « réanimer le système de santé » (5). Quelques années plus tôt, en mai 2010, le think tank libéral, proche de Fillon et de LR, publiait une note sous le titre « Sauver l’assurance maladie universelle » (6). Il y suggérait de « repenser la couverture du risque santé en distinguant ce qui relève de la solidarité nationale de ce qui relève d’une logique plus assurantielle » par le biais d’une « déconcentration de la gestion du risque maladie au niveau d’entités d’assurance en concurrence, afin de faire évoluer notre système par l’intégration d’innovations organisationnelles et technologiques à même de maintenir un haut niveau de qualité dans la dispensation des soins. » Derrière le mot « déconcentration » se profile celui de la séparation des risques entre « risques lourds » et « petits risques » (voir à ce sujet l’excellent article de J-L Gallais[3] paru dans Panorama du médecin en novembre 1985), avec une redistribution des cartes entre régime obligatoire et assurances complémentaires chargées de rembourser un « panier de soins » qu’il reste à définir (soins courants, dentaires et optiques au premier chef). Ainsi les organismes complémentaires qui ont versé au total 26,0 milliards d’euros de prestations en soins et biens médicaux en 2015 (dont 40,3 % des soins et prothèses dentaires) et financent 13,3 % de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM), pourraient voir leur rôle et leur influence gagner du terrain. Les hypothèses de travail et les options de réforme de la Sécu sont sur la table, même si face à une levée de bouclier soudaine, le candidat Fillon a annoncé faire marche arrière sur son option initiale. Car elles devront encore passer l’épreuve des urnes. Pour l’heure, un récent sondage Ondoxa pour le Parisien du 4 décembre montre que les Français sont majoritairement contre l’idée d’augmenter la prise en charge des frais de santé par les mutuelles (58 %) et de ne rembourser que les médicaments pour les maladies le plus graves (89 %). 69 % jugent cependant qu’il est « urgent » de réformer le système de santé en profondeur.
Une agence de régulation et de contrôle
A la veille de la trêve des confiseurs, ayant pris acte des critiques, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a annoncé dans le Figaro ce qu’il veut pour la Sécu (7). Dans sa tribune, il souligne que « les modalités de la «généralisation» des complémentaires santé aux seuls salariés ont conduit, dans de nombreux cas, à diminuer les garanties offertes (…) et à une augmentation des cotisations ». Ce qui est confirmé par un récent rapport (cf. « Les contrats responsables mis à mal par les contrats d’accès aux soins[4] »). « L’Assurance-maladie obligatoire et universelle, pilier de la solidarité, doit rester le pivot dans le parcours de soins dont le médecin généraliste est l’acteur clé », confirme François Fillon qui annonce vouloir placer l’Assurance-maladie obligatoire et les organismes complémentaires « sous le pilotage d’une agence de régulation et de contrôle » « J’entends faire en sorte que tous les Français puissent bénéficier d’une protection complémentaire appropriée sur la base de contrats homogènes », poursuit ce dernier, omettant de préciser que les assureurs complémentaires vivent sous le régime de la concurrence et du droit européen et qu’il lui sera difficile de mettre tous les assureurs au pas. Quant à la « responsabilisation » des assurés, elle devra passer « notamment par l’abandon de la généralisation du tiers payant », leitmotiv de la droite qui se met ici à la remorque de la fraction la plus libérale sur corps médical, celle-là même dont une fraction importante de ses membres bénéficie dans les faits largement du tiers payant[5] ! A la veille des fêtes de Noël, le débat engagé sur le thème « il faut sauver le soldat Sécu » est loin d’être clos !
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Nous ne pouvons néanmoins retarder l’ouverture d’une large discussion, risque par risque et régime par régime, dont l’objectif devrait être de réintroduire, dans une organisation devenue de plus en plus bureaucratique, contrairement aux intentions de ses fondateurs, un supplément de liberté et de responsabilité », déclare Jacques Chirac à propos de la Sécu, le 9 avril 1986 dans son discours d’investiture devant l’Assemblée nationale.
(2) Le programme présenté par Jacques Chirac, en avril 1995, indique: « Réforme du financement de la protection sociale, en distinguant les dépenses de solidarité, transférées à l’impôt, des dépenses d’assurance, financées par les cotisations.
(3) « Quelles pistes pour améliorer la concurrence dans le secteur des audioprothèses en France? », Document de consultation publique sur le fonctionnement de la concurrence dans le secteur des audioprothèses, juillet 2016
(4) Décision n° 16-D-12 du 9 juin 2016 relative à des pratiques mises en oeuvre par Carte Blanche Partenaires dans le secteur de l’optique, juin 2016.
(5) cf. Viamedis News, juin 2016, Réformer la santé dans un système à bout de souffle[6].
(6) « Sauver l’assurance maladie universelle, pistes de réflexion et de réformes pour les prochaines années »[7]
(7) François Fillon : « Ce que je veux pour la Sécurité sociale »[8]