La promesse faite par le candidat Emmanuel Macron d’améliorer la couverture sanitaire des Français en prenant notamment en charge à 100 % les frais des soins dentaires, d’optique et de l’audition, vient d’être confirmée par le Premier ministre, Edouard Philippe, lors de son intervention à l’Assemblée nationale le 4 juillet. Il n’a cependant pas précisé comment les régimes obligatoires et les assureurs complémentaires seront mis à contribution ?
La nouvelle ministre des Solidarités et de la Santé, le Pr. Agnès Buzin, a désormais sur la table de son ministère la feuille de route qui lui a été assignée par son patron, le premier ministre Edouard Philippe, qui en a dressé les grandes lignes dans sa déclaration de politique générale. Sur cette feuille est inscrit que l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) sera fixé à 2,3 %, en moyenne annuelle, pour la période 2018-2022. Un taux qui engagera des économies estimées à 15 milliards d’euros. Les dépassements d’honoraires des médecins seront traités via les contrats responsables et les négociations conventionnelles, dès lors que ces dernières reprendront. « Il faudra commencer par évaluer les dispositions conventionnelles existantes d’incitation à la modération tarifaire et leur effet sur les restes à charge et l’accès aux soins », a indiqué Agnès Buzyn le 5 juillet dans une interview au Quotidien du Médecin.
Nouvelles passes d’armes
Mais le texte remis à la ministre de la Santé ne dit pas grand chose sur les trois offres types que devront proposer les organismes complémentaires à leurs assurés pour faciliter les comparaisons, malgré un renforcement de la lisibilité des contrats. « Concernant le « zéro RAC » sur l’optique, l’audio et le dentaire, Agnès Buzyn avance la définition d’un panier de soins indispensables à tarifs opposables, avec des plafonds et une redéfinition du partage assurance obligatoire (AMO) – assurance complémentaire (AMC)», indique de son côté la revue Espace Social Européen.
Ainsi, lentement mais sûrement la question du partage des risques entre AMO et AMC s’invite à nouveau dans le débat public et il est à parier qu’elle provoquera de nouvelles passes d’armes. Enfin, autre caillou dans le jardin du gouvernement, le tiers payant sera « généralisable » et non plus généralisé, sans que l’on sache vraiment ce que l’on peut mettre derrière le terme « généralisable » ? A qui, pour qui et dans quel délai ? demeure pour l’heure encore une question non résolue. « Les patients sont très en attente du tiers payant généralisé, mais je ne souhaite pas mettre en œuvre une telle réforme contre l’adhésion des professionnels qui seraient chargés de l’appliquer, c’est pourquoi nous allons regarder de façon pragmatique ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas », poursuit la ministre de la Santé, prudente. Car elle a pris bonne note de l’opposition du corps médical à un tiers payant qui ressemble davantage à une usine à gaz qu’à un réel service rendu aux assurés sociaux, les opérateurs de l’assurance complémentaire n’ayant toujours pas mis vraiment en place les outils qui permettent de régler les tickets modérateurs aux médecins.
Priorité à la prévention
Seule certitude la priorité sera donnée à la prévention, qui sera renforcée à travers la mise en place d’une stratégie nationale de santé. Car Emmanuel Macron en a bien fait de la prévention l’alfa et l’oméga de sa politique de santé : les économies qui pourront être dégagées grâce à une prévention efficace tomberont dans l’escarcelle de la prise en charge à 100 % des soins et prestations précités. « La nouvelle stratégie nationale de santé (SNS) va intégrer cette révolution de la prévention que le Président de la République appelle de ses vœux, commente Agnès Buzyn. Mais nous devons prendre le temps de la discuter avec les partenaires, tout en conservant un calendrier ambitieux : la stratégie nationale de santé sera finalisée d’ici à la fin de l’année, ce qui laissera le temps aux agences régionales de santé de produire leurs projets régionaux de santé jusqu’à fin avril 2018. » Autant dire qu’il est urgent de ne pas se presser !
Plus de 10 milliards d’euros pour couvrir à 100 %
Reste désormais à connaître les offres qui seront proposées aux assurés ainsi que le vrai coût de la réduction à zéro de ces restes à charge ? Rappelons que la participation financière des ménages équivaut à leur reste à charge, « c’est-à-dire à ce qu’ils doivent réellement payer une fois déduits les remboursements effectués par les organismes de Sécurité sociale de base et les organismes complémentaires », comme le souligne « Vie Publique ». En 2013, le reste à charge total des Français était estimé à 16,5 milliards d’euros, soit 8,8 % de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Sur ce montant quelle part revient aux soins et prestations dentaires, d’optiques ou pour l’audition non couverts par la Sécu ou les complémentaires ?
En octobre 2016, l’Observatoire citoyen des restes à charge en santé (composé du Collectif interassociatif sur la Santé (CISS), du magazine 60 Millions de consommateurs et de la société Santéclair) s’est penché sur le poids de ces RAC dans le budget des assurés (1), en particulier ceux souffrant d’une affection de longue durée. Mais il n’a pas été en mesure de fournir une évaluation globale des coûts supportés par tous les assurés pour l’optique, le dentaire et l’audition.
Sur les seuls soins dentaires, une étude plus ancienne du même Observatoire (2) estime la facture des RAC pour ces soins à 6 milliards d’euros après remboursement par l’Assurance maladie et avant remboursement par les complémentaires santé. Mais ici encore aucun coût global n’est fourni pour pouvoir appréhender ce que représente la facture des RAC dentaires pour les assurés, qu’il faudra faire couvrir par les organismes complémentaires.
Enfin, plus récemment, les Echos Etudes (3) se sont penchés sur le marché de l’optique lunetterie, qu’ils estiment à 6,732 milliards d’euros en 2016. Les verres correcteurs, avec 38,9 millions d’unités vendues, représentent à eux seuls 4 milliards d’euros, avec des prix orientés à la baisse sous l’effet des marques distributeurs. Les dépenses du secteur de l’audioprothèse, aux prix libres et présentées au remboursement de l’Assurance-maladie se sont, pour leur part, élevées à près d’un milliard d’euros en 2015, toujours selon les Echos Etudes.
Ces quelques chiffres laissent percevoir que le montant qu’il faudra réintégrer d’ici 2022 dans les prises en charge AMO-AMC devrait dépasser les 10 milliards d’euros. Une somme qui ne devrait pas être sans effet sur le montant des cotisations – obligatoires ou complémentaires – des assurés. Le quinquennat aura fort à faire pour faire passer cette autre « révolution » – sur les restes à charge – que le candidat président n’avait pas inscrite dans son livre « Révolution ». Elle est envisagée pour 2022. Un horizon suffisamment lointain pour se donner le temps de définir et de négocier les offres qui sera possible de présenter aux assurés sociaux. Avec quels ajustements au niveau des cotisations ? C’est toute la question.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Les frais cachés des affections longue durée », octobre 2016
(2) « Soins dentaires : des dérives inacceptables », 25 nov 2013
(3) « Les marchés et la distribution de l’optique et de l’audioprothèse en France », Les Echos Etudes, avril 2017
NB : Le tiers payant « généralisable » constitue le 2è cailloux dans la chaussure du gouvernement. La ministre de la Santé récemment annoncé « suspendre » sine die la généralisation du tiers payant prévue le 1er novembre par l’ancien gouvernement de François Hollande et lance une mission IGAs sur le sujet en vue de « trouver une solution technique afin que le tiers payant ne représente pas de la paperasserie supplémentaire alors même que les médecins ont besoin de retrouver du temps médical »