by Jean Jacques Cristofari | 27 septembre 2011 17 h 12 min
[singlepic id=300 w=320 h=240 float=left]Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 qui vient d’être présenté comporte de nombreuses mesures de réduction des dépenses, Gérard de Pouvourville, économiste de la santé et titulaire de la chaire ESSEC-Santé, nous propose quelques pistes de réflexion pour assurer le financement de nos systèmes de santé. Il estime que si les pays européens veulent maintenir un niveau de couverture sociale élevé, il est probable qu’ils seront obligés d’y consacrer une part de plus en plus importante de fonds publics, via les cotisations sociales ou l’impôt.
Quels défis majeurs auront à surmonter les systèmes de santé en Europe dans les années à venir ?
Gérard de Pouvourville : ?Les principaux défis financiers sont liés au fait que la demande de soins de santé et de services de santé augmente de façon relativement indépendante de la richesse nationale. Avec les systèmes de financement actuels, si les pays européens veulent répondre à cette demande et maintenir un niveau de couverture sociale élevé, il est donc probable qu’ils soient obligés d’y consacrer une part de plus en plus importante de fonds publics, qu’il s’agisse de cotisations sociales ou de l’impôt. Quelles sont les déterminants de cette demande ? Il y a bien sûr l’accroissement naturel de la population et, parallèlement, la part grandissante de personnes âgées dans cette population. Beaucoup de débats portent sur le poids du vieillissement et ce, pour deux raisons. Premièrement, en fonction des projections démographiques qui peuvent être faites, l’accroissement de la part des personnes âgées dans la population d’Europe de l’Ouest va se stabiliser dans certains pays et va finir par ne plus peser aussi lourd.
Deuxièmement, le renchérissement de la prise en charge liée au vieillissement de la population n’est pas dû au vieillissement en tant que tel mais aux progrès techniques. L’amélioration du dépistage des maladies chroniques permet ainsi de maintenir les patients en bon état de santé plus longtemps. On « paye » en quelque sorte l’addition d’une meilleure qualité des soins et d’une meilleure prise en charge des personnes âgées qui vont plutôt vieillir en meilleure santé dans les années à venir. C’est donc plutôt un phénomène de progrès médical qu’un simple phénomène d’augmentation numérique des classes d’âge les plus vieilles. Ce sont les tendances lourdes, mais on sait qu’il est extrêmement difficile de faire des projections technologiques sur vingt ans. De la même manière, si on investit dans une politique de prévention primaire qui va donc agir sur les facteurs de risque pour empêcher l’apparition d’une maladie, on en touchera les bénéfices seulement dans vingt ans en termes de réduction des dépenses pour un certain nombre de pathologies chroniques qui pèsent assez lourdement sur les dépenses de santé des pays d’Europe de l’Ouest aujourd’hui. Mais il est clair aujourd’hui qu’un investissement massif et efficace en prévention primaire changerait beaucoup la donne en matière d’évolution structurelle des dépenses de soins de santé en donnant la possibilité de se maintenir plus longtemps en bonne santé et donc avec une consommation de soins moindre.
Menace sur le maintien d’un haut degré de protection sociale
Le maintien d’un haut niveau de protection sociale dépend de la dynamique de la croissance de la zone Europe dans les années à venir. Si les taux de croissance restent aux niveaux très faibles que l’on connaît à l’heure actuelle, la possibilité de maintenir un niveau de couverture élevé est sérieusement compromise. Ce maintien se ferait obligatoirement au détriment d’autres dépenses collectives. Mais lesquelles ? Ce seront des choix politiques parce qu’on ne pourra plus se permettre de continuer à financer à la fois les déficits de l’assurance maladie et les déficits publics par l’emprunt. Il y a donc bien une menace potentielle sur le maintien d’un haut degré de protection sociale, notamment si l’Europe ne sort pas de cette forme de croissance molle.
La France aura-t-elle des problèmes spécifiques à résoudre ?
Il existe tout d’abord un problème spécifique aux pays dont les systèmes d’assurance sociale sont liés à des prélèvements sur les revenus du travail. La question qui se pose en permanence est celle du rôle joué par les prélèvements sociaux dans la compétitivité de la main d’œuvre française par opposition à un prélèvement par l’impôt. Toutefois, la France a été dans une direction où, progressivement, la part de l’impôt dans le financement de l’assurance maladie a été en croissance. Dans l’hypothèse d’une croissance longue qui repart, il est probable que cette tendance continue et atténue le côté pénalisant des cotisations sociales sur le travail.
Mieux organiser les soins de première ligne
Il est, en revanche un peu plus compliqué de répondre à cette question pour l’organisation du système de soins. Bien que tous les pays partent de situations historiques différentes, ils rencontrent tous les mêmes problèmes et s’acheminent plus ou moins vers les mêmes solutions. Tous sont plutôt à la recherche de solutions permettant une meilleure organisation des soins de première ligne et donc une organisation plus formalisée et plus coordonnée des soins de premier recours (médecine générale, certaines spécialités médicales, infirmières libérales, soins dentaires…). Cet objectif peut être atteint de deux façons. Il s’agit premièrement d’avoir une fonction de tri et de sélection afin de n’orienter les patients vers des soins de spécialité que dans les cas pertinents et adéquats et donc éviter des hospitalisations et des examens complémentaires inutiles. L’autre dimension des soins de première ligne relève de la prévention, et là tous les niveaux de prévention sont concernés, la prévention primaire comme la prévention secondaire qui vise à empêcher l’aggravation des maladies au long cours une fois qu’elles sont apparues.
Quelles mesures la France a-t-elle déjà prises dans cette direction ? Comment les jugez-vous ?
Je pense que la France est partie dans la bonne direction avec les réformes visant à augmenter le degré d’organisation des soins de premier recours, avec l’encouragement à la création de maisons de santé pluriprofessionnelles et à la coordination entre les différents traitements de soins primaires, avec la meilleure prise en compte, depuis la loi de santé publique de 2002, de la prévention qu’elle soit primaire ou secondaire et l’encouragement de pratiques de prévention, de vaccination et de dépistage.
» On « tue » l’effort fait pour mettre l’accent sur la prévention primaire
L’ensemble de ces initiatives va dans le bon sens, mais la France, comme d’autres pays, est un peu empêtrée dans la situation financière actuelle qui se traduit, pour le moment, par la réalisation d’économies dans le court terme. Les décisions prises en matière d’économies, notamment avec le renchérissement de l’accès aux soins primaires par le biais des tickets modérateurs et des franchises, contribuent à décourager les patients de recourir aux soins primaires de façon préventive. En renchérissant le coût du soin primaire pour les patients, et finalement en se focalisant sur la prise en charge des pathologies déjà existantes, c’est-à-dire les maladies chroniques coûteuses et de longue durée, on « tue » l’effort fait pour mettre l’accent sur la prévention primaire. Récemment, l’hypertension sévère a été retirée de la liste des affections de longue durée (ALD) au prétexte un peu fallacieux qu’il ne s’agit pas d’une maladie mais d’un facteur de risque. Néanmoins, l’hypertension est le principal facteur de risque de l’accident vasculaire cérébral qui est tout de même la troisième cause de mortalité en France. Il y a donc dans la politique française actuelle une certaine contradiction entre cette recherche d’économies « de bout de chandelle » qui s’effectue au détriment des patients et qui finalement décourage le recours aux soins primaires. Nous payons aussi en France notre absence de culture de la prévention. C’est aussi un chantier à créer.
Quelles réformes la France devrait-elle mettre en œuvre pour garantir le financement de son système de santé à moyen terme ?
Si la croissance reste toujours aussi molle en Europe, il sera difficile de maintenir la couverture des dépenses de santé à son niveau actuel, à moins de faire des sacrifices sur d’autres dépenses publiques. Une part importante de l’assurance maladie est quasiment indexée sur la masse salariale privée et donc sur le chômage et une autre part est indexée sur l’impôt. Il est donc difficile, dans la situation actuelle, de dégager de nouvelles ressources pour financer le déficit de l’assurance maladie. Ce déficit pourrait d’ailleurs être considéré comme purement comptable, puisqu’en fait les recettes prévues pour l’assurance maladie ne sont pas suffisantes pour couvrir les dépenses de santé.
Des gisements d’économies existent à l’hôpital
Le deuxième aspect sur lequel il est possible d’intervenir est la modération de la croissance des dépenses de santé. Celle-ci est déjà intervenue et depuis quatre à cinq ans maintenant, nos dépenses de santé globales croissent à un rythme supérieur de 1 à 1,2 % à celui du PIB en volume. Depuis cinq ans, il y a donc une modération de la croissance relative des dépenses de santé par rapport au PIB et il faut continuer dans ce sens. Des gains d’efficience peuvent encore être réalisés au niveau du fonctionnement du système hospitalier et des investissements doivent probablement être consentis dans les soins primaires pour freiner la montée en puissance des pathologies chroniques telles que diabète, hypertension et cancer. Il s’agit notamment d’investissements dans l’organisation, dans l’éducation thérapeutique du patient et dans l’établissement de protocoles de suivi de pathologies chroniques. Au départ, il faut donc investir et probablement dépenser plus d’argent pour suivre les patients, parce que ceux-ci vont être suivis plus régulièrement que d’habitude. Prenons l’exemple du diabète pour lequel la mesure de l’hémoglobine glyquée doit être réalisée quatre fois par an. La moyenne de ce suivi chez les patients diabétiques est actuellement de deux par an. Si vous faites une surveillance correcte de cette mesure chez vos patients diabétiques, tout le monde va passer à quatre examens par an au lieu de deux. De la même manière, il y a quatre ou cinq ans, moins de 50 % des patients diabétiques subissaient un examen ophtalmologique chaque année pour dépister d’éventuelles rétinopathies. Sachant qu’il y a environ deux millions de diabétiques en France, ce sont un million de consultations d’ophtalmologie supplémentaires qui seront réalisées chaque année. Cette protocolisation de la prise en charge des pathologies chroniques peut donc conduire à un moment donné à un renchérissement du coût de leur prise en charge. Mais il sera possible à terme de toucher les dividendes de cet investissement dans les bonnes pratiques et la rentabilité de ces investissements peut tout à fait être évaluée.
La recherche d’une meilleure organisation des soins de premier recours que j’ai déjà mentionné précédemment est aussi essentielle. Je suis assez convaincu que l’hôpital français reste encore un poste de gains. Comparativement à d’autres pays, la France a beaucoup recours à l’hôpital et on peut donc encore gagner sur le fonctionnement du système hospitalier. Mais on ne gagnera sur le fonctionnement du système hospitalier qu’à condition d’avoir suffisamment investi en amont pour freiner ce recours à l’hébergement. On peut aussi espérer qu’un certain nombre d’innovations technologiques en matière de diagnostic ou de traitement permette de délivrer des traitements efficaces sans hospitalisation ou en raccourcissant la durée. C’est déjà le cas avec le développement de la chirurgie ambulatoire, mais la France est un peu en retard pour recueillir les effets des innovations technologiques en faveur d’un raccourcissement de la durée des séjours à l’hôpital.
Propos recueillis par Anne-Lise Berthier
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