by Jean Jacques Cristofari | 1 janvier 2012 16 h 42 min
[1]Doté d’une feuille de route pour le moins incertaine, le système de santé français aura en 2012 à faire face à de nouvelles zones de turbulences. Les Français, dont 19 % renoncent à certains soins, ont par avance fait connaître leurs inquiétudes. Mutuelles et associations de patients se mobilisent. L’année 2012 devrait placer le dossier de la protection sociale et de son financement en bonne place dans le débat public. Le chef de l’Etat l’a fait savoir lors de la présentation de ses voeux aux Français.
Le projet de loi de financement de la Sécu pour 2012, adopté par les députés de la majorité fin novembre contre l’avis du Sénat qui lui a opposé d’autres hypothèses de travail, ne tiendra pas ses promesses. Au premier chef desquelles celle de réduire progressivement le déficit annuel de l’ensemble des régimes obligatoires de base de la Sécu pour les faire passer de 20,1 milliards d’euros en 2011 à 8,9 milliards en 2015 (à lui seul, le régime déficit du régime général devrait passer de -18 milliards à 6,5 milliards d’euros). Un objectif louable, sauf qu’entre le moment des débats parlementaires sur la loi de financement et ce début d’année, la crise économique a creusé son sillon et la récession s’est (durablement !) installée rendant caduque les hypothèses initiales sur lesquelles s’est adossée la même loi (1). La montée du chômage à un niveau inégalé depuis une douzaine d’années (10 % de la population active) ne permettra donc pas d’engranger les 240 milliards d’euros de cotisations salariales effectives programmées pour le budget 2012 de la Sécu (sur 440 milliards de recettes totales pour l’ensemble des régimes de base).
[2]« La crise est grave, les circonstances sont exceptionnelles, les décisions doivent être à la mesure de cette gravité », a souligné le président de la République (photo) lors de la présentation de ses voeux aux Français, évoquant, parmi les trois sujets qu’il estime dominer le moment celui du financement de la protection sociale. Pour autant, la CSG ne sera pas augmentée, élections présidentielles oblige ! Cette fois, ce sont les importations en provenance des pays à bas coûts de main d’oeuvre qui devront payer la note : « Le financement de notre protection sociale ne peut plus reposer principalement sur le travail, si facilement délocalisable », a expliqué le chef de l’Etat. Il faut alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d’œuvre à bon marché. » Cette contribution passera-t-elle par une taxe sur ces importations (difficilement acceptable par l’OMC) ou par une hausse de TVA (dite sociale) sur les produits importés ? La réponse devrait nous être donnée lors du prochain sommet de l’emploi du gouvernement, prévu pour le 18 janvier prochain. Car il faudra bien pallier au manque de recettes assises sur les cotisations sociales, un manque que le projet de loi de la Sécu pour 2012 a estimé à 9 points de masse salariale du secteur privé entre 2008 et 2011, soit à environ 18 milliards d’euros (deux années de déficits de l’assurance-maladie !). Aussi pour garantir aux Français un « financement viable du haut niveau de protection sociale » (dixit la loi de financement), des actions nouvelles sont plus que jamais requises.
Un système qui menace d’exploser
Dans cette conjoncture pour le moins morose, les Français font savoir qu’ils sont de plus en plus nombreux à diminuer leur recours aux médecins, voire à renoncer à certains soins. Le mensuel Santé Magazine, qui a sondé nos compatriotes, annonce ainsi dans son édition de janvier que 74% des personnes interrogées déclarent consulter un médecin moins souvent ou se rendre exclusivement chez un médecin conventionné. 69% ont réduit la quantité de leurs médicaments et 43% disent se fournir dans des pharmacies moins chères. D’autres vont jusqu’à renoncer aux soins médicaux : 42% des Français ne se rendent plus chez le dentiste et 30% renoncent à consulter un ophtalmo. Au total, ils sont 19% à avoir limité les dépenses médicales pour des raisons de coût, alors qu’ils sont 93% à disposer d’une mutuelle santé. Ce sondage est à rapprocher de celui réalisé en octobre dernier par le Groupe Pasteur Mutualité, par lequel les Français font part de leurs inquiétudes concernant l’accès aux soins. Pour 89 % de la population, les soins dentaires sont jugés trop chers et pour 74 % les consultations des médecins spécialistes le sont également.
[3]Sans compter que 2012 verra également le prix de leur mutuelles augmenter d’environ 5 %. La mesure a provoqué une forte mobilisation dans les rangs de la Mutualité Française qui, fin 2011, a réuni 700 000 signatures pour « témoigner du refus des Français face à l’aggravation des difficultés d’accès aux soins. » « Taxer les mutuelles « santé » est une erreur profonde à un moment où elles sont indispensables pour accéder aux soins », fait savoir fin décembre Etienne Caniard (photo), président de la FNMF qui se lance dans une série de débats publics sur l’ensemble du territoire. Le même président, la veille de la St Sylvestre se répand sur les ondes de France Inter : « Tout montre que le taux de renoncement aux soins augmente d’année en année », fait savoir Etienne Caniard, évoquant Médecins du Monde qui parle à cet égard de « crash sanitaire ». Et de préciser sur la situation financière de l’assurance-maladie : « Il y a 136 milliards d’euros de dettes cumulées à la CADES[4], que nous transmettons à nos enfants, 10 milliards de déficits annuels, un décrochage entre les prix, les honoraires réellement pratiqués par les médecins et les remboursements. Tous les ingrédients sont réunis pour avoir un système qui explose à plus ou moins court terme. »
Malades en ALD : des restes à charges supérieurs
[5]« Nous restons fondamentalement opposés à l’augmentation dans ces conditions de la taxe sur les organismes complémentaires dont la conséquence immédiate est la hausse de leurs tarifs qui pénalisera prioritairement les foyers à bas revenus pour qui le taux d’effort pour disposer d’une couverture complémentaire est le plus élevé », a par avance fait savoir dès novembre dernier le Collectif Interassociatif sur la Santé. Au yeux du CISS, la stratégie poursuivie par le gouvernement est « une non réponse aux besoins des usagers, a fortiori de ceux qui – ils sont 5 millions – ne disposent d’aucune complémentaire santé. » Ce d’autant que les mêmes usagers de la santé, selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (3), présidé par Denis Piveteau (photo), conseiller d’Etat, participent directement pour 9,4 % à l’ensemble de leur consommation de soins et biens médicaux (estimée à 175 milliards d’euros en 2010) quand 75,8 % sont financés directement par la Sécu. Ainsi, au fil du temps, les dépenses de santé directement financées par les ménages ont légèrement augmenté, pour s’élever en 2010 à 16,406 milliards d’euros, contre 16,354 milliards en 2005 (soit + 0,3 %). Ce qui, selon le Haut Conseil, correspond toutefois à une baisse moyenne de 0,2 % par personne, compte tenu de l’augmentation de la population (+ 0,5 %). Mais les personnes en ALD, dont le nombre augmente année après année – elles drainent 60 % des dépenses remboursées par l’assurance-maladie -, supportent un reste à charge supérieur à celui des personnes qui ne sont pas en ALD (respectivement 760 euros contre 450 euros, calculés sur la dépense présentée au remboursement, soit autour de 5 900 euros contre 1150 euros). L’assurance-maladie obligatoire a ainsi, résume l’HCAAM, « assuré une diminution massive de la dépense présentée au remboursement ». Cette stratégie de maîtrise de la dépense pourrait rapidement rencontrer ses limites. Mais il s’agit aussi d’un problème auquel devront aussi répondre les candidats à la présidentielle. Le dossier « maladie » devrait à cet égard jouer ces prochains mois un rôle aussi important que le dossier « chômage ». Les associations de patients l’ont par avance fait savoir.
Jean-Jacques Cristofari
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(1) Le texte de loi relatif au financement de la Sécurité sociale pour 2012 publié fin novembre dernier a finalement fixé les dépenses maladie de l’ensemble des régimes obligatoires de base de la Sécu à quelques 186,2 milliards d’euros, pour 180,4 milliards de recettes. C’est donc une nouvelle fois à un « trou » de 5,8 milliards d’euros (après – 11,4 milliards en 2011 et 11,6 milliards en 2010) auquel les assurés et les malades devront faire face cette année, sans compter un déficit de 7,8 milliards relatif à la branche vieillesse et un autre de 4,1 milliards pour le Fonds de Solidarité Vieillesse.
(2) Le 19 janvier à Marseille, puis le 1er février à Bordeaux et le 3 février à Saint-Quentin. A l’occasion du 10ème débat qui se déroulera le 8 février à Paris, la Mutualité Française invite les principaux candidats à la présidentielle de 2012, à débattre sur ses orientations « pour un système plus juste, plus efficace et pérenne ».
(3) Rapport annuel 2011 de l’HCAAM, « l’assurance maladie face à la crise, mieux évaluer la dépense publique d’assurance maladie », décembre 2011.
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Les désengagements de la Sécu depuis 2005 :
2005 : mise en place de la participation forfaitaire de 1 euro sur les actes médicaux et biologiques. Economies réalisées : 590 millions d’euros en 2010.
2007 : instauration de la participation forfaitaire de 18 euros sur les séjours et actes hospitaliers dont le tarif est supérieur à 91 euros ou au coefficient K50, participation rehaussée à 120 euros en 2011. Economies réalisées : 100 millions d’euros en 2010.
2007 : hausse du forfait journalier hospitalier de 3 euros. Economies réalisées : 260 millions d’euros.
2008 : mise en place des franchises sur les médicaments, les actes d’auxiliaires médicaux (50 centimes par boite ou acte) et les transports (2 euros) au nom de la « responsabilisation des assurés face à leur consommation de soins », le tout plafonné à 50 euros par an et par personne. Ces franchises ne sont pas remboursables par les contrats d’assurance complémentaire « responsables ». Economies réalisées : 868 millions d’euros en 2010.
2012 : modification du champ de remboursement à 100 % lié aux ALD. Abandon de la mesure dite de « 35 à 35 », soit du remboursement à 35 % de tous les médicaments inscrits à 35 %, qu’ils soient ou pas en lien avec l’ALD, avec pour conséquence la suppression de la prise en charge à 100 % systématique des transports ou de l’hypertension artérielle sévère. Economies réalisées : 107 millions en 2010.
2012 : Augmentation de la taxation des Mutuelles. Economies attendues : 1,2 milliard d’euros
(Source : Rapport annuel HCAAM[6], « L’assurance maladie face à la crise », décembre 2012).
Source URL: https://pharmanalyses.fr/entre-rigueur-et-recession-ou-va-la-sante-en-2012/
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