by Jean-Jacques Cristofari | 13 avril 2016 19 h 51 min
[1]Les années 2012 à 2016, sous la gouvernance du pouvoir politique et des autorités sanitaires en place, ont incontestablement été les meilleures années pour spéculer sur les sociétés de distribution du médicament. La dérèglementation du secteur y aura sans nul doute atteint un niveau sans précédent par rapport aux obligations auxquelles la distribution du médicament est soumise depuis des décennies. 80 % des ventes en gros de médicaments sont aujourd’hui contrôlés par des groupes étrangers. Analyse
Les 4 premières années du mandat de François Hollande ont été très favorables à la libéralisation de la distribution du médicament en France. Le gouvernement socialiste a ainsi causé les plus grandes avancées libérales que la France a pu connaitre depuis 1962 :
Le gouvernement socialiste a neutralisé, à la faveur de la recherche d’économies sur les génériques, la distribution administrée des médicaments en gros. Les hauts fonctionnaires collaborent tous à la libéralisation. Ainsi, le rôle central du grossiste dans la distribution en gros, institué depuis 1962, disparait. Les achats et des ventes en gros ne sont plus tenus à des prix et à des formes administrées. L’avancée principale du quinquennat Hollande est, en la matière, idéologique : la finalité de la distribution en gros du médicament est le profit. Cette acceptation marque le préalable à l’intégration des grandes pharmacies du territoire au sein de sociétés cotées à New York à compter de 2018.
Les groupes se partageront 5000 grandes pharmacies de France, avec une capitalisation de l’ordre de 15 milliards d’euros et des plus-values possibles parmi les plus élevées au monde. En effet, depuis 2001, les gouvernements incitent la population française à se concentrer sur 12 grandes métropoles.
Fin du système administré des ventes de médicaments en gros
Les années Hollande ont été les plus propices pour créer de la richesse financière à New York avec l’achat et la revente d’actions de sociétés en gros de médicaments en France:
Le financement du candidat républicain, Marco Rubio, le plus opposé à Obamacare, par les dirigeants des fonds d’investissement qui possèdent les grossistes français, n’a fait que tousser en privé les parlementaires informés.
Suspension des obligations à finalité sanitaire et des règles de concurrence
La Direction Générale de la Santé accepte l’analyse nouvelle des grossistes-répartiteurs, passés sous pavillon étranger, qui veut que les obligations de service public ne sont pas…obligatoires ! L’absence de clarification écrite de la ministre de la Santé sur l’obligation de livrer dans les 24 heures vaut approbation de s’affranchir de l’obligation de livrer dans ces délais, ce qui entraîne des économies de chauffeurs, de carburant et de véhicules.
La Direction générale de la Santé (DGS) accepte aussi l’assouplissement de l’obligation de stocks d’avance. Un médicament en stock à Brest est considéré comme disponible à Lille. Cette analyse allège le coût de financement du stock. Les pharmaciens français et leurs clients ont appris depuis 2012 à s’habituer aux pénuries quotidiennes de médicaments. Ils l’acceptent plus facilement en échange de fortes remises. Certains pharmaciens réclament des remises en sachant bien qu’ils détournent le financement des stocks d’avance. Le gouvernement rejette la responsabilité des pénuries de médicaments sur les laboratoires, alors qu’il pourrait pointer l’insuffisance des stocks d’avance des grossistes.
Neutralisation des Parlementaires
La protection sociale représente en France plus de 600 milliards d’euros sur un PIB de 2000 milliards. Elle est la clé de voûte de la consommation en France et de la croissance des emplois. Les dépenses de santé sont régies par deux Codes juridiques (du commerce et de la Sécurité sociale), et par des dispositions réglementaires incompréhensibles, sauf à une poignée d’experts. L’activité de vente en gros de médicaments est historiquement aussi méconnue qu’invisible. Aucun parlementaire ne connait le coût pour la Sécurité sociale de la vente en gros des médicaments (princeps et génériques). Nul ne comprend les valeurs ajoutées de la chaîne de distribution dans la diversité des territoires.
La Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale n’a pris aucune position défavorable à l’encontre de la prise de contrôle des grossistes par des sociétés étrangères appartenant à des fonds d’investissements étrangers connus pour leurs exigences de profits élevés et de plus-values rapides. Ce silence vaut soutien. Depuis 2012, la présidente de cette Commission, la pharmacienne et parlementaire toulousaine, Catherine Lemorton se montre proche de la population à la télévision en attaquant régulièrement les laboratoires pharmaceutiques lors de débats à l’Assemblée nationale.
Aux USA, une présidente de la Commission Santé, par ailleurs propriétaire de pharmacies, doit publier le taux des remises et des avoirs accordées à son officine par ses fournisseurs depuis son élection. Mme Lemorton déclare de son côté à la télévision, au cours d’une enquête d’Elise Lucet sur le sujet, qu’elle ignore les pratiques de son associée au sein de leur officine commune !
Tolérance des fraudes et adaptation des lois aux pratiques frauduleuses
Le ministère de l’Economie et l’Autorité de la Concurrence tolèrent des pratiques illégales dont ils ont connaissance. Depuis 2012, l’article de la loi qui plafonne les remises des vendeurs en gros aux pharmaciens n’est plus appliqué. Comme les remises maximales sur les génériques dépassaient 50 % au lieu de 17 %, la loi a augmenté en 2014 le montant des remises maximales à 40 %[6]. Le ministère de l’Economie a demandé aux Directions régionales de la concurrence et des fraudes, de ne pas sanctionner les remises illégales sur les princeps déjà constatées…. puisque la loi va les entériner en 2017 !
La Sécurité sociale sait que les déclarations annuelles des remises accordées aux pharmaciens par des fournisseurs ne sont pas sincères. Ces remises sont soumises à une taxe créée en 2013. Cette taxe sur les remises n’est pas sans doute pas payée. Il est probable que l’URSSAF chargé du recouvrement n’a mené aucun contrôle.
Impotence des tutelles.
Quatre années n’auront pas suffi pour relever l’Agence du médicament (Afssaps, devenue ANSM) après l’affaire Mediator du laboratoire Servier, qui a révélé un système organisé de corruption d’élus, d’experts de l’Agence du Médicament et de médecins. L’ANSM[7] est informée des risques sanitaires encourus par les problèmes vécus dans les rangs des grossistes répartiteurs : refus de livraison des petites pharmacies, pas de livraison quotidienne, manque de stocks, transport des médicaments par containeurs à 50° etc. Elle souligne à cet égard sur son site internet que « des ruptures d’approvisionnement peuvent survenir dans la chaîne de distribution (sans que la fabrication du médicament soit impactée). Elles ont un impact local ou régional et sont gérées par les laboratoires pharmaceutiques en lien avec les différents intervenants locaux concernés. » Elle rappelle également que l’article 4 du décret du 28 septembre 2012 modifie l’article R. 5124-48-1 du Code de santé publique « afin d’instaurer une obligation pour les exploitants d’approvisionner tous les établissements autorisés au titre d’une activité de grossistes répartiteurs afin de leur permettre de remplir leurs obligations de service public et de manière à couvrir les besoins des patients en France. » Il y donc bien une obligation de service public ! Mais est-ce une obligation de résultat ou de moyen ?
Enfin, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a pour objectif de pratiquer une inspection par an d’un seul grossiste. Cette inspection dure une seule journée. Elle est effectuée par un pharmacien dédié au contrôle d’officine et non de logisticien d’envergure régionale ou nationale. Pour autant, pas une fraude n’a été vue ou sanctionnée en 4 ans !
Des discussions portant sur la réalisation d’inspections sérieuses sont en cours depuis trois ans entre les multiples tutelles sanitaires : le ministère de la Santé voudrait que l’Agence fasse elle-même les contrôles de grossistes. L’ANSM demande plus de moyens et les Agences régionales de Santé (ARS) estiment que la distribution des médicaments ne fait pas partie de leurs priorités. Or, l’Agence du médicament retirerait leur agrément à la plupart des grossistes si elle vérifiait effectivement le respect des obligations de service public.
Depuis 2012, quatre tutelles ont cessé d’exercer les contrôle, rappel à l’ordre et sanctions : il s’agir de la Sécurité sociale, de la Direction Générale de la Santé, des Agences régionales de santé, des directions de la Concurrence du ministère de l’Economie. Ainsi, le quinquennat de François Hollande ne coûtera rien en frais d’avocats aux vendeurs/distributeurs en gros de médicaments. L’absence de contrôle conduit à l’inexistence de contentieux. Aucune autorité ne fait appliquer les règles. Le marché est dérèglementé de fait. La loi est bafouée.
Une distribution contractuelle des médicaments en gros à la place d’une organisation administrée
La mutation vécue sur ce quinquennat vers une distribution libérale du médicament a également eu lieu en s’appuyant sur un transfert par les grossistes de leur activité de service public vers leurs filiales de dépositaires de laboratoires. Ce dernier agissent pour ordre et compte des laboratoires pharmaceutiques en tant que logisticiens. L’avantage est que ces filiales n’ont pas d’obligation de service public (stocks d’avance, livraison dans les 24 heures, etc.).
Vu la confusion des textes, les grossistes français proposent principalement aux pharmaciens des ventes économiquement illégales (remise exorbitante en échange de livraison quand le médicament est disponible). Lentement mais sûrement, l’offre de médicaments en gros sous l’empire d’une distribution administrée, dont le grossiste est la clé de voute depuis 1962, a disparu sous la présidence Hollande.
La dérèglementation a commencé sous le précédent quinquennat avec l’acceptation par le ministère de la Santé d’une rémunération du grossiste par le laboratoire pour les ventes de génériques. En droit, le grossiste français doit être rémunéré par la sécurité sociale via le pharmacien qui lui achète le médicament remboursé. La rémunération du grossiste par le laboratoire crée un système parallèle de distribution contractuelle. Cette commission sur les ventes de génériques est insuffisante pour financer les obligations de service public. Plus les ventes de génériques augmentent, moins il y a de sécurité sanitaire en France, car les grossistes n’en ont plus les moyens. Le rapport de l’IGAS[8] consacré à la question en 2014 est très clair à ce sujet (2)
L’actuel quinquennat permet aux pharmaciens de garder pour eux toute économie sur les achats de médicaments au lieu de la reverser à la Sécurité sociale. C’est pourquoi, les laboratoires peuvent concurrencer les grossistes ou leur faire accepter des conditions contraires au droit dans la vente de médicaments.
L’adoption du générique en France a posé les bases idéologiques et pratiques d’une transition sur 15 ans d’un système de distribution visant la sécurité sanitaire du public vers un système normal visant le profit. Il est inéluctable que les actionnaires des vendeurs en gros et des pharmacies en France soient des fonds d’investissement américains.
Vente des médicaments au détail
La libéralisation du secteur de la vente en gros ouvre des perspectives de profits pour nos fonds d’investissements étrangers au niveau du détail. Il leur est théoriquement possible d’acheter les 5000 plus grandes pharmacies en France sur les 22 000 existantes. Dans les 10 ans, 7000 petites pharmacies (moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires) auront fermé sous le poids des charges fixes dues aux contraintes administratives, sous l’effet de la désertification du monde rural ou faute de repreneurs dans les quartiers dangereux.
La création de valeur financière pour les actionnaires de Mc Kesson, de Wallgreen et de Toyota sur la France se fera à deux niveaux
Le ministre français de l’Economie a déjà tenté, sans succès, d’autoriser l’ouverture du capital des pharmacies en 2014. Les leaders syndicaux du monde officinal et leur Ordre s’y s’opposent, mais ils sont âgés de plus de 55 ans, comme 10 000 pharmaciens d’officine. Qui va leur proposer davantage qu’un groupe américain ? Vu la dérèglementation, les banques prêtent déjà moins et les jeunes pharmaciens ne veulent plus s’endetter pour devenir propriétaires d’officines, en travaillant beaucoup pour amortir leurs emprunts.
Pascal Perez
Formules Economiques Locales[9]
(1) « Walgreens Boots Alliance est aujourd’hui la première entreprise au monde de bien-être et de santé en pharmacie », souligne le site internet de Alliance Healthcare.[10] Cette nouvelle entreprise mondiale couvre plus de 25 pays avec plus de 12 800 points de vente, plus de 370 000 salariés et plus de 340 centres de distribution pharmaceutique, desservant plus de 180 000 pharmacies et autres centres de santé. »
(2) « L’équilibre économique de la répartition a en effet été profondément déstabilisé par le développement des médicaments génériques. Parce que leur distribution était structurellement moins rentable – diminution des marges de la répartition (baisse des prix) et augmentation des coûts (augmentation du nombre de références et baisse des quantités distribuées par référence) – les grossistes-répartiteurs ont d’abord laissé ce segment d’activité aux ventes directes. Puis, leur modèle économique impliquant une maximisation des flux pour rentabiliser les frais fixes et les laboratoires en concurrence entre eux souhaitant offrir le plus grand service possible aux officines, un modèle de distribution ad hoc, hors cadre réglementaire, a été développé par les acteurs », souligne le rapport de l’IGAS de 2014, qui ajoute plus loin : « Le médicament générique a donc modifié la répartition de la valeur sur la chaîne de distribution du médicament au bénéfice des officines et au détriment des grossistes-répartiteurs ».(« La distribution en gros du médicament en ville » IGAS, juin 2014.)
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