by Philippe Rollandin | 15 juin 2013 10 h 30 min
[singlepic id=767 w=280 h=180 float=left]Des médecins étrangers ou français formés à l’étranger de plus en plus nombreux, une réforme de l’enseignement supérieur qui permet aux facultés de médecine de contourner la sélection à l’issue de la première année de médecine et une libre circulation européenne : la démographie médicale est incontrôlable tant sur le plan quantitatif – le nombre de médecins – que qualitatif – la répartition par spécialité -. Le numerus clausus qui est censé être un outil de régulation est un échec. Il est urgent de le supprimer et de le remplacer par une stratégie d’achat de soins et de santé dans laquelle l’Etat et l’assurance-maladie conventionneraient le nombre de médecins en fonction des compétences nécessaires à la santé publique.
En révélant dans le dernier Atlas de la démographie médicale[1] que 7 762 médecins à diplôme étranger exercent sur le territoire français, que 46,8 % de ces médecins sont d’origine européenne (les autres viennent principalement des pays du Maghreb) et que le nombre de ces médecins non formés en France – représentant 7,8 % des effectifs – a progressé de 43 % entre 2008 et 2013, l’Ordre des Médecins a pointé du doigt l’inutilité et l’échec – en tant qu’outil de régulation de la démographie médicale – du numerus clausus.
Instauré dans les années 70, cette sélection à l’entrée des études médicales était censée empêcher la pléthore médicale qui se profilait à l’horizon 2 000. Ce principe régulateur a été appliqué avec une grande rigueur. De 10 000 au départ, le nombre d’étudiants admis à poursuivre leurs cursus médical au delà de la 1ère année a été régulièrement diminué pour atteindre le niveau plancher de 3 500 dans les années 90. Mais ce n’était pas suffisant pour ceux qui étaient hantés par le spectre d’une démographie médicale envahissante et qui, surtout, souhaitaient organiser une forme de pénurie pour pouvoir appliquer le principe selon lequel « ce qui est rare est cher » et disposer ainsi d’une arme dans les négociations tarifaires.
Un gâchis social et humain
C’est dans ce contexte qu’en 1995, dans le cadre de ses fameuses Ordonnances, Alain Juppé créera le MICA (Mécanisme d’incitation à la cessation d’activité[2]) qui proposait aux médecins une prime pour les inciter à prendre une retraite aussi anticipée que dorée. Plusieurs milliers de médecins profitèrent de l’aubaine avant que l’on s’avise, qu’en fait de pléthore, on s’orientait vers une pénurie médicale. Du coup, dès le début des années 2000, non seulement il est mis fin au « Micadeau » mais en plus on propose aux médecins de prolonger leur carrière et aux retraités de reprendre du service en leur donnant la possibilité de cumuler emploi et retraite dans des conditions avantageuses.
Parallèlement à ce rappel des troupes, le numerus clausus est relevé chaque année. Aujourd’hui, pour lutter contre la pénurie future, il est fixé à 8 500, soit à peu près le même niveau qu’au moment où il avait vocation à éviter la pléthore. Moralité, comme disait Pierre Dac, « la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » ! La principale caractéristique du numerus clausus est de provoquer un grand gâchis social et humain. Chaque année, 85 % d’étudiants – soit plusieurs dizaines de milliers – de première année se fracassent contre ce mur. La PACES – instaurée en 2010 – qui avait pour objectif d’installer des passerelles entre les différentes filières de santé n’a pas obtenu de meilleurs résultats. La réforme actuelle – dite loi Fiorasso – qui met en place une réorientation anticipée visant à dissuader, dès le premier semestre, 15 % des étudiants n’ayant manifestement pas le niveau de poursuivre ce cursus ne fera pas mieux. Ce mécanisme revient seulement à avancer l’effet guillotine du numérus clausus. La peine de mort avec exécution provisoire en quelque sorte.
Contournement organisé du numerus clausus
Mais, le comble est que cette réforme organise le contournement du numerus clausus. En effet, outre la réorientation précoce, cette loi prévoit la possibilité pour les facultés de médecine d’accueillir, dès la deuxième année de médecine, des étudiants ayant suivis d’autres licences. Plusieurs facultés ont déjà fait savoir qu’elles étaient prêtes à recevoir jusqu’à 30 % d’étudiants issus de ces filières. Les recalés du numerus clausus pour quelques points apprécieront…
Si on ajoute à cela que la démographie médicale actuelle se caractérise non par une pénurie générale, mais par une inégale répartition des médecins sur le territoire, des disciplines effectivement en crise démographique et un corps médical vieillissant, il apparait que le numerus clausus n’est pas un outil adapté à la gestion de la ressource médicale. Il relève, comme on l’a vu, d’une logique malthusienne et non régulatrice. Le vrai sujet n’est pas le nombre global de médecins, mais leur répartition par spécialité. Et, le problème ne se situe pas à l’issue du PCEM1 (fin de 1ère année), mais au niveau du 3ème cycle avec la répartition des postes d’internat.
Le rôle essentiel des généralistes
Résultant d’un marchandage entre spécialités et d’une évaluation des besoins des hôpitaux en internes, la carte des spécialistes en formation se préoccupe assez peu des besoins futurs en compétence médicale. Cette distorsion est particulièrement criante avec la filière médecine générale. Avec le parcours de soins, les médecins généralistes ont un rôle essentiel de porte d’entrée dans le système de soins et de références pour les patients. Ils l’auront davantage avec la médecine de parcours que le gouvernement veut développer. Or, un rapport récent a souligné la pauvreté de la filière médecine générale qui a un faible nombre d’enseignants et de maitres de stages…
L’enjeu n’est donc pas de réformer ou d’aménager le numerus clausus qui, à lire l’Atlas de la démographie médicale, est devenue une sorte de ligne Maginot. En 1940, les chars allemands avaient contourné cette ligne de défense en passant par les Ardennes belges. D’une certaine façon, les étudiants recalés du NC font la même chose. Ils sont plusieurs milliers à aller se former en Belgique et reviennent s’installer en France. Les seules différences sont que leurs intentions sont pacifiques et qu’ils prennent le Thalys et non des chars, ce qui est à la fois plus rapide, plus discret et… plus confortable.
Inverser le processus
Le véritable enjeu est de mettre en place une régulation quantitative et qualitative en se posant quelques questions simples. De combien de médecins aura-ton besoin et dans quelles spécialités ? L’exercice est complexe car il faut intégrer de nombreux paramètres pour anticiper l’offre médicale nécessaire dans le futur.
[singlepic id=762 w=220 h=140 float=left]Actuellement, la structure de l’offre médicale résulte des compétences disponibles. Il faut inverser le processus. Le nombre de médecins et leurs spécialités doivent être une résultante de la stratégie de santé et de l’anticipation des besoins médicaux. Ce changement de paradigme implique de positionner l’Etat et l’assurance-maladie en acheteurs de soins et de santé. Ce scénario suppose une sorte de conventionnement inversé. Actuellement, tout médecin répondant aux critères de formation et de compétences qu’il ait été formé en France ou ailleurs, – notamment en Union Européenne à l’intérieur de laquelle s’applique la liberté d’installation – peut demander à être conventionné. L’assurance-maladie et l’Etat ne maitrisent pas la structure de l’offre de soins.
C’est cette logique qu’il faut inverser. Devenue acheteur de soins, l’assurance-maladie conventionnerait les médecins en nombre et en spécialités correspondant aux besoins définis. Les médecins pourraient être conventionnés sur une partie seulement de leur activité ou pour une compétence spécifique. Les cabinets de groupe, les maisons de santé pluridisciplinaires et toute structure de santé pourraient répondre à des appels d’offres. Les médecins non retenus dans ce conventionnement inversé resteraient libres de s’installer, mais leur activité ne seraient pas prises en charge par l’assurance-maladie obligatoire.
Dans ce schéma-là, le numerus clausus n’a évidemment plus de sens. Les facultés de médecine pourraient pratiquer une sélection sur compétence et non sur.. guillotine. La sélection est un tabou dans l’Université qui se doit d’accueillir tout titulaire d’un baccalauréat. Mais, c’est aussi une hypocrisie. Entrés en force grâce à leur visa, nombre d’étudiants ne franchissent pas le cap de la licence qui, de fait, devient une sélection retardée. Par ailleurs, nul n’ignore que, dans certaines disciplines, l’économie et la gestion en particulier, des universités pratiquent une sélection non dite, en n’acceptant que des étudiants ayant eu une mention au bac ou sur dossier, voire sur épreuves.
Alors, en route pour le paradigme ?
Philippe Rollandin
Source URL: https://pharmanalyses.fr/demographie-medicale-un-nouveau-paradigme/
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