by Jean Jacques Cristofari | 5 juillet 2016 14 h 01 min
[1]Les négociations Assurance-maladie/syndicats médicaux marquent le pas depuis quelques semaines. Alors que la CNAM annonce clairement qu’elle n’a pas de moyens pour revaloriser les actes des médecins libéraux, ces derniers, généralistes en tête, réclament au gouvernement des investissements conséquents. Les partenaires sociaux ont jusqu’à la fin août pour aboutir à la signature de la nouvelle convention.
Dans les coulisses de la convention médicale, un vieux sage de la rue Cambon, coutumier de l’exercice, se prépare déjà à jouer les arbitres. Ce dernier se nomme Bertrand Fragonard. Le magistrat à la Cour des Comptes a déjà présenté en février 2015 à la ministre de la Santé un règlement arbitral (RA) qui a fait suite à l’échec des précédentes négociations de 2014 entre médecins et Assurance-maladie sur un projet de texte qui concerne l’accord interprofessionnel sur les soins de proximité, relatif à l’exercice pluri-professionnel en maison ou centre de santé et aux modes de rémunérations associés. Ce règlement arbitral, applicable pour une durée de 5 ans, intervient dès lors que les partenaires sociaux échouent à s’entendre sur un texte conventionnel et permet d’éviter le vide juridique laissé par l’absence de signature. Caisses et syndicats doivent cependant engager de nouvelles négociations en vue d’un nouvel accord. Ce qui devrait être le cas pour cet ACI.
Pour l’heure, les 5 syndicats de médecins libéraux (CSMF, MG France, SML, FMF et BLOC) et les caisses d’assurance-maladie n’en sont pas encore là. Mais elles s’en rapprochent, tant les claquements de portes se sont multipliés au mois de juin. Ainsi, fin juin, la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF), le Syndicat des Médecins Libéraux (SML, médecins du secteur 2) et le BLOC (syndicat de chirurgiens) ont quitté brutalement la table des négociations. La séance du 29 juin a été annulée et la Sécurité sociale a annoncé qu’elle présentera une proposition chiffrée à tous les syndicats le 7 juillet, en vue d’une nouvelle rencontre le 13. Mais plus grand monde n’y croit réellement.
L’équité d’abord
« La CNAM reste dans sa logique comptable et ne semble pas vouloir une convention ambitieuse qui accompagne la médecine libérale pour réaliser le virage ambulatoire et sauvegarder le système de santé à la française », commente Jean-Paul Ortiz, le patron de la CSMF. Les 13 séances de négociations engagées depuis mars dernier ont certes permis de faire le point sur l’état des lieux de la médecine libérale, toutes spécialités confondues, mais cette dernière reste dans tous ses états, de la surprise à l’expectative. Plusieurs syndicats de spécialistes ont demandé quelle enveloppe financière la CNAM était prête à débloquer pour revaloriser les honoraires des actes cliniques et techniques ? Nicolas Revel, directeur de la CNAM et de l’UNCAM a fait la sourde oreille. La CSMF, sans la signature de laquelle le texte a peu de chance d’être adopté, a, par avance, proposé un « new deal pour une convention novatrice » en dix points (1) « sans spécialité perdante, ni baisse tarifaire ». « Seule une proposition de texte conventionnel avec éléments chiffrés permettra d’ouvrir enfin de véritables négociations conventionnelles », affirme son président.
[2]De leur côté, les médecins généralistes pourraient tirer leur épingle du jeu. Car l’alignement du tarif de la consultation des généralistes sur celui de toutes les autres spécialités (soit un passage de 23 à 25 euros) semble avoir été retenu par le Nicolas Revel. C’est du moins ce qu’il a fait savoir à Grenoble aux 500 syndicalistes réunis par MG France en congrès. « Il y a un argument auquel je suis sensible c’est l’équité tarifaire entre la médecine générale et les autres spécialités », a confié Nicolas Revel, en ajoutant : « Je n’ai pas dit oui aux 25 euros, mais le principe me parait pouvoir être examiné ». Il parait désormais difficile de faire l’impasse sur ce réajustement tarifaire qui mettra toutes les spécialités, médecine générale incluse, sur un pied d’égalité « Nous avons mis ce problème sur la table depuis 2007. Cela coûtera 500 millions d’euros, lui a répondu Claude Leicher, président de MG France. Le 1er choix que je vous propose c’est la médecine générale. Le 2è choix c’est l’équité, et derrière celle-ci, il y a l’équité des rémunérations. Car rapporté à l’heure de travail effectuée, l’écart est de 78 % entre médecins généralistes et les autres spécialistes. » C’est dire si le fossé s’est creusé au fil des années entre les uns et les autres, et avec lui la désaffection grandissante des jeunes médecins pour une médecine générale rendue peu attractive. » Le Directeur de la CNAM se trouve dans l’obligation d’effectuer une mission de rattrapage vis-à-vis des médecins généralistes dont le différentiel de revenus avec les autres spécialités médicales n’a jamais été aussi important « , note de son côté le collège des généralistes de la CSMF. » Le gouvernement, plutôt que d’investir sur les soins primaires, a préféré laisser les généralistes s’enfoncer dans le chaos avec une rémunération de misère pour leurs consultations qui sont pourtant de plus en plus longues et complexes. »
La France perdra un quart de ses généralistes d’ici 2025 a récemment noté l’Ordre des Médecins dans son dernier Atlas de la démographie médicale[3]. Près de 4000 généralistes libéraux devraient sortir du système de santé d’ici 2020. Il n’est pas un jour sans que les médias n’évoquent la question des déserts médicaux, en campagne comme en ville. Sans que les responsables politiques lui apportent une réponse à la hauteur des problèmes que cette désertification pose aux maires des communes concernés. Totalement déboussolés et inquiets pour leurs administrés, ces derniers se livrent à une « chasse aux médecins » qui emprunte toutes les voies possibles (chasseur de tête, gratuite des logements ou des cabinets médicaux, exonération de taxes sur la 1ère année etc.). Si la France manque de médecins, selon une formule bien connue, ses élus ne manquent pas d’idées pour les attirer chez eux !
D’un plan à l’autre
« Les causes de la chute démographique en médecine générale ne sont pas à chercher plus loin », plaide Claude Leicher qui a récemment présenté son « Plan Marshall [4]» (2) pour les soins primaires, chiffré à 2,4 milliards d’euros.[5] Face à ce dernier, la CSMF a présenté son « new deal » pour 1,5 milliard pour. Des chiffres qui peuvent donner le vertige face aux milliards de déficit engrangés par la Sécu depuis une décennie, mais qu’il faut mettre en perspective avec les 2 milliards d’euros que la ministre de la Santé a déjà accordé aux hôpitaux publics. Aussi, faute de réponse de la part de la rue Ségur, les généralistes de MG France ont-ils choisi de s’adresser directement au président de la République. Le syndicat réclame désormais un fonds d’investissement pour les soins primaires, en vue de « permettre la création d’un forfait structure afin de doter les cabinets de médecine générale des moyens humains et matériels qui leur permettront de répondre aux attentes et aux besoins de santé d’une population qui aspire à être soignée à domicile. » Coût de l’opération qui pourrait passer par la loi de financement de la Sécu pour 2017, 500 millions d’euros. Ce « forfait structure », imaginé de longue date par MG France et dont le principe a été présenté à la table des négociations avec l’Assurance-maladie, a reçu l’assentiment de tous les syndicats. Reste que face à toutes les factures présentées à la CNAM par les médecins, s’oppose le plan d’économies que cette dernière entend mettre en œuvre en 2017. Soit 1,42 milliard d’euros de réductions de dépenses pour l’année prochaine – le double de l’objectif qu’elle s’était fixée pour 2016 -, dans un contexte où l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) n’a jamais été aussi bas (1,75 %). L’amélioration des prescriptions devrait ainsi rapporter 430 millions, le recours aux médicaments biosimilaires et la promotion des génériques 230 millions de plus. Le « virage ambulatoire » (réduction des durées de séjour à l’hôpital) devrait générer 390 millions et une réduction des arrêts de travail 100 millions d’euros supplémentaires. Sans omettre les transports sanitaires (4 milliards de dépenses en 2015, en hausse de 3,7 %) qui seront l’objet de contrôles « renforcés ». Une fois encore, selon un exercice rompu, l’Assurance-maladie présente avant les débats budgétaires de la rentrée son « plan » d’économies pour être assurée de passer sous les fourches caudines des députés.
La future convention devra être signée par des syndicats rassemblant au moins 30 % des voix pour chaque collège (généraliste, spécialiste et chirurgiens) pour être validée, faute de quoi les médecins syndicalistes verront le retour de Bertrand Fragonard et de son règlement arbitral. La CSMF, centrale pluri-catégorielle leader, et MG France, premier syndicat chez les généralistes, sont les plus susceptibles de signer. Ils ont jusqu’au 26 août pour boucler le marathon conventionnel. Jusque là des réunions bilatérales entre l’Assurance maladie et chaque syndicat devraient se poursuivre. Avec leur lot de surprises. D’aucuns ont évoqué le retour d’une convention spécifique à la médecine générale, qui a bien besoin qu’on la sorte des impasses où l’absence de décisions politiques l’a enfermé depuis des années. Mais celle-ci ne fait pas l’affaire de Nicolas Revel, qui souhaite élargir le champ des adhésions au contrat d’accès aux soins signé par les médecins en honoraires libres. Début juillet, si la voie est encore étroite pour permettre aux négociations d’aboutir, la messe semblait pourtant bien dite !
J-J Cristofari
(1) « Négociations conventionnelles, un new deal s’impose »[6], CSMF 15 juin 2016
(2) « Il faut un nouveau modèle économique pour les médecins généralistes »[7], MG France, 25 mai
Source URL: https://pharmanalyses.fr/convention-medicale-les-medecins-reclament-une-remise-a-niveau/
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