Contrats d’accès aux soins : l’enjeu d’un amortisseur social

Contrats d’accès aux soins : l’enjeu d’un amortisseur social
mai 02 19:42 2013 Imprimer l'article

[singlepic id=727 w=300 h=220 float=left]Le contrat d’accès aux soins, qui vise à plafonner les dépassements d’honoraires des médecins en secteur 2 à compter de cet été, est un des amortisseurs sociaux que le gouvernement met en place pour amortir les effets de la crise économique. Ce nouveau secteur d’exercice pourrait aussi amorcer une négociation sur un nouveau contrat social avec les médecins. Explications.

Dans un récent communiqué de presse, la CSMF – plus exactement sa branche plateaux techniques – dresse la liste des raisons pour lesquelles les médecins de secteur II et ceux de secteur I concernés devraient s’engager dans le contrat d’accès aux soins, ce nouveau secteur d’exercice qui doit se mettre en place au 1er juillet et qui propose un deal aux médecins. En échange d’un plafonnement de leurs dépassements d’honoraires, les médecins bénéficieront d’avantages, notamment de la prise en charge, par l’assurance-maladie, d’une partie de leurs cotisations sociales sur les actes réalisés en tarifs opposables. Parmi toutes les raisons avancées pour faire ce choix, le principal syndicat de médecins indique que « dans le marasme économique dans lequel nous vivons actuellement, il parait illusoire d’espérer pouvoir augmenter la part de complément d’honoraires restant à la charge des patients ». Le poids de la liberté face au choc de la crise en quelque sorte. Volontairement ou non, la CSMF met le doigt sur le cœur du sujet.

Les indicateurs de la violence de la crise se multiplient. La récession guette avec une croissance attendue de 0,1 % en 2012, le nombre de chômeurs atteint des records, 6 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, la consommation s’effondre, etc.. En attendant que les outils qu’il a mis en place – pacte de compétitivité, banque publique d’investissement, loi sur la flexibilité de l’emploi, etc.. – produisent ses effets, François Hollande ne peut agir sur l’économie, contraint de sortir le pays de sa situation – léguée par ses prédécesseurs et singulièrement le dernier –  de ménage surendetté qui l’oblige à payer 50 milliards d’euros d’intérêts de la dette et à emprunter 500 millions d’euros par jour pour boucler les fins de mois de l’Etat.

L’attrait du tiers payant [singlepic id=734 w=260 h=180 float=right]

Pour limiter la casse, le Chef de l’Etat et le gouvernement avec lui n’ont pas d’autres solutions, à court terme, que de mettre en place des amortisseurs sociaux, comme les contrats d’avenir et les  contrats de génération, mais aussi en tentant l’exercice périlleux de réduire les déficits sociaux tout en préservant le modèle social. C’est ainsi que les allocations familiales resteront universelles, mais que leur montant sera modulé en fonction des revenus, que les retraites seront réformées, mais sans toucher aux plus modestes, que l’ONDAM sera resserré, mais qu’au 1er juillet, le seuil d’éligibilité à la CMU-C sera relevé. Ce qui permettra à 500 000 personnes de plus d’entrer dans ce régime et ainsi de bénéficier du tiers-payant et de la prise en charge intégrale de leurs soins pour lesquels les médecins ne pourront pas demander de dépassements d’honoraires.

Le Contrat d’accès aux soins est un de ces amortisseurs sociaux. C’est pour cette raison que le gouvernement a imposé cet accord. Toutes les études montrent que le principal obstacle à l’accès aux soins n’est pas l’éloignement d’une structure médicale – les fameux déserts médicaux – mais le coût des soins, par l’obligation faite d’avancer des frais et par le reste à charge, même après remboursement par les complémentaires. Pourquoi, tant de gens se précipitent-ils dans les services d’urgence des hôpitaux et dans leurs consultations ou celles des centres de santé ? Parce que ces structures pratiquent le tiers-payant et les tarifs opposables. Dans leurs cabinets médicaux, les médecins ne vivent pas dans une autre planète et ne peuvent pas ignorer ces réalités.

[singlepic id=732 w=260 h=180 float=left]Du grain à moudre

Mais l’erreur du gouvernement – et particulièrement de Marisol Touraine – a été de présenter l’encadrement des honoraires comme une sanction, de brandir l’avenant n°8 comme un trophée de guerre arraché à l’ennemi social – pour ne pas dire l’ennemi de classe – qui a rendu les armes sous la menace d’une arme de dissuasion massive : un amendement au Projet de loi de financement de la sécurité sociale qui aurait encadré et peut-être même supprimé le secteur II. Il eut été politiquement plus responsable de présenter cette négociation comme la recherche d’un compromis social, d’un donnant-donnant – ce qui est finalement le cas – mais le message a été totalement brouillé en raison de cette attitude vindicative et du catastrophique rapport de Dominique Laurent sur le secteur privé à l’hôpital.

Le paradoxe de ce rapport est, qu’alors que les plus gros dépassements d’honoraires sont le fait des médecins ayant une activité privée à l’hôpital public, ils ne vont pas être concernés par l’encadrement. La conseillère d’Etat explique que la notoriété de ces « grands patrons » peut justifier le montant élevé de leurs honoraires. Il leur sera juste demandé d’être plus transparents. Ainsi, le secteur privé à l’hôpital public qui est déjà, en lui-même une aberration historique va devenir un ilot, une enclave de la liberté totale des honoraires, une sorte de Principauté de Monaco à l’intérieur même de l’hôpital qui par ailleurs retrouve le monopole des missions de service public.

Avec cet accord, Marisol Touraine a réussi une opération politico-médiatique, mais elle a raté une occasion majeure d’engager une négociation visant à établir avec les médecins un nouveau contrat social  pour lequel les sujets ne manquent pas. Et comme le disait le regretté André Bergeron, historique « patron » de FO : « Il y a du grain à moudre ».

Une approche 360° du patient[singlepic id=735 w=260 h=180 float=right]

Le rôle des médecins de ville est d’être aux avant-postes du système de santé, d’être le premier recours (au sens où ils sont la porte d’entrée dans le système de santé), c’est-à-dire le premier maillon d’une médecine de réseau comme l’a défini le Premier ministre.

Mais il faut s’entendre sur cette notion de premier maillon. Il ne s’agit pas de faire du médecin de ville un DAB, un distributeur automatique de billet pour l’hôpital ou pour des examens complémentaires. Le parcours de soins doit être médicalisé et le médecin traitant doit avoir une approche 360° de son patient : prévention, éducation sanitaire, conseils, soins, etc.. doivent être son pain quotidien. Cela semble une évidence, mais cet exercice suppose une profonde adaptation culturelle et organisationnelle, à commencer par celle de la rémunération des médecins. Il a déjà été démontré ici qu’à 23 euros le tarif unique de la consultation, les médecins sont condamnés à faire de l’abattage et à renoncer à la quintessence de leur métier : la clinique. On ne dira jamais assez l’enjeu stratégique d’une hiérarchisation des actes en fonction de leur valeur ajoutée médicale. Cette nomenclature des actes cliniques est la clé organisationnelle de la mutation du système. La clé technique est la circulation de l’information entre les professionnels de santé, à travers le DMP.

Nouvelle approche

A juste titre, Marisol Touraine a décidé de recentrer le Dossier médical personnel sur des publics cibles comme les malades chroniques et ceux atteints de pathologies lourdes. Cette nouvelle approche doit permettre l’avènement d’un nouveau paradigme : l’appropriation. Une des raisons du naufrage du DMP est qu’il a été conceptualisé et conçu en dehors des médecins et des partenaires sociaux et aussi parce que l’ambigüité sur son maitre d’œuvre – le médecin ou le patient ? – n’a pas été levé. Foin de démagogie. Si le dossier médical est bien celui du patient, le médecin traitant doit en être le dépositaire et le gestionnaire. A lui de déterminer la nature et la pertinence des informations sur la base évidemment d’un référentiel et d’un cahier des charges.

L’opportunité de cette mutation existe. Pourquoi les jeunes médecins ne veulent-ils plus s’installer en libéral ? Parce qu’ils refusent l’exercice isolé, la course à l’acte et l’illusion de la liberté que ce mode d’exercice est censé apporter. Bref, ils rejettent les fondements culturels et idéologiques de la médecine libérale traditionnelle. Sociologiquement, la profession est en plein bouleversement. Elles sont déjà 40 % et en 2020 – c’est-à-dire demain – les femmes seront majoritaires. Les attentes et les pratiques de cette nouvelle génération sont différentes et elle entraine, dans son sillage la « minorité » masculine.

[singlepic id=731 w=260 h=180 float=left]Un jeu gagnant-gagnant

Les médecins sont plus ouverts qu’on ne le pense aux évolutions. Ils sont plus de 90 % à avoir joué le jeu de la Rémunération sur objectif de santé publique (ROSP). Certains ont été enrôlés à l’insu de leur plein gré – l’adhésion au système était automatique sauf refus motivé – et la carotte financière n’est pas étrangère à ce succès. Mais, les résultats sont là. Selon le bilan de la première année dressé par la Caisse nationale d’assurance-maladie, l’informatisation des cabinets médicaux a fait un grand bond en avant et sur certains critères médicaux, les progrès sont significatifs.

La Caisse nationale d’assurance-maladie estime que les 282 millions d’euros investis dans cette opération sont largement rentables en terme d’amélioration de la qualité des soins et d’efficience du système. Beaucoup plus que ne l’aurait été une revalorisation d’1  euro de la consultation qui aurait coûté entre 300 et 400 millions d’euros et n’aurait eu d’autre effet qu’une augmentation du revenu des médecins. La ROSP est un jeu gagnant-gagnant. Le revenu des médecins progresse – 5612 euros en moyenne – et la santé publique aussi. Il y a, dans cette expérience, les bases d’un nouveau contrat social et il est regrettable que le gouvernement ne saisisse pas cette opportunité.

Philippe Rollandin

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