by Jean Jacques Cristofari | 7 juillet 2012 18 h 44 min
[1]Une nouvelle étude, réalisée par IMS à l’initiative du Think Tank du LIR (1), en collaboration avec la chaire ESSEC Santé, vient nourrir un débat récurrent dans notre pays, relatif à la consommation historiquement « excessive » de médicaments par nos concitoyens. Cette fois, l’état des lieux dressé sur huit classes thérapeutiques majeures confirme bien une nouvelle tendance : la France rentre dans le rang européen et ne fait plus figure de mauvais élève. Bonne nouvelle pour les finances de la Sécu. Mais il n’est pas certain que cela fasse l’affaire des industriels qui observent désormais une croissance en berne de leurs chiffres d’affaires et s’apprêtent, à l’instar du groupe Sanofi, à lancer de nouveaux plans de licenciements.
La nouvelle étude européenne sur la consommation de médicaments, menée en collaboration avec la Chaire ESSEC Santé, retrace 10 années de consommation de médicaments entre 2000 et 2011, en France et dans 6 autres pays européens : Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni. Réalisée à partir de données fournies par IMS Health, l’étude compare les volumes de consommation de médicaments dans huit classes thérapeutiques majeures : antibiotiques, anxiolytiques, anti-dépresseurs, anti-ulcéreux, hypolipémiants, anti-hypertenseurs, anti-diabétiques et anti-asthmatiques. La comparaison a été faite à partir des « doses quotidiennes définies » (Daily Defined Dose, DDD)de médicaments, un indicateur conçu par le Bureau de l’OMS dédié à la méthodologie d’étude statistique des médicaments.
La France dans la moyenne européenne
Les premiers résultats, note le LIR, permettent d’établir les constats suivants : nous arrivons bien au terme de l’exception française en matière de consommation de médicament : « la France affiche le taux d’évolution le plus faible et une modération relative de sa consommation de médicaments. » Deuxième constat : si en début de la décennie passée, la France est encore le pays le plus consommateur de médicaments de ces 8 classes thérapeutiques, elle se situe en 2011 dans la moyenne européenne. Troisième constat : si la France a en effet connu un niveau comparativement élevé de sa consommation en volume, par habitant, de ces médicaments, un rattrapage s’est progressivement opéré en Europe. Ce rattrapage a, de surcroît, conduit à une convergence des niveaux de prises en charge du diabète, du cholestérol, de l’hypertension artérielle (HTA) et de la dépression. Enfin, dernier constat : en 2000, la France se place, sur 7 de ces 8 classes, parmi les 3 pays les plus consommateurs. Depuis cette date, son rang a régulièrement baissé, et fait notable, elle ne figure plus parmi les 3 premiers que dans 2 de ces classes thérapeutiques.
L’étude analyse également les évolutions de la consommation par classe et pour 1 000 habitants sur les 12 années écoulées, de 2000 à 2011. Il en ressort que pour 5 des 8 classes analysées (anti-ulcéreux, antibiotiques, anti-dépresseurs, anti-hypertenseurs et hypolipémiants), la France présente le taux d’évolution le plus faible sur toute la période observée (cf. tableau ci-dessous). Elle reste certes au premier rang pour la classe des antibiotiques et dans la moyenne pour les anti-asthmatiques et les anxiolytiques, mais régresse nettement dans les cinq autres classes : anti-dépresseurs, anti-ulcéreux, hypolipémiants, anti-hypertenseurs, anti-diabétiques. Ainsi le taux de croissance français des anti-diabétiques est même le 2ème plus faible après l’Italie. Les prescriptions d’anxiolytiques décroissent sur la période, certes moins rapidement qu’en Allemagne, mais à un rythme comparable à celui de la Belgique et de l’Italie. Enfin, si les anti-asthmatiques connaissent une croissance relative la plus forte, cette dernière est cependant en cohérence avec celle des autres pays européens.
Une normalisation par un juste usage
« Ces deux observations confirment l’existence d’une modération relative de la consommation par habitant en France par rapport aux autres grands pays européens », note le LIR qui estime que la France occupe désormais une position moyenne par rapport aux autres pays. « Les deux seules classes pour lesquelles la consommation française reste encore élevée sont les classes des antibiotiques et des anxiolytiques. » Deux « exceptions » bien françaises pour lesquelles l’assurance-maladie a déployé ces dernières années des efforts de communication tant en direction des médecins que des patients, sans qu’ils soient pour autant suivis vraiment d’effets. Le LIR voit dans cette évolution positive générale d’un « juste usage du médicament » le signe que la France s’est « normalisée »au sein de l’Union Européenne en matière de consommation de médicaments. L’organisation présidée par Denis Hello, Pdg d’Abbott France, entend s’appuyer sur ces résultats pour attirer « l’attention du gouvernement sur l’importance de considérer l’ensemble des paramètres qui permettra de garantir l’accès de tous les patients aux médicaments innovants »
Changement de modèle
Reste que l’étude du LIR ne vient que confirmer une tendance déjà clairement enregistrée dans les rangs des industriels du médicament : la croissance des ventes n’est désormais plus au rendez-vous et la récession s’est également installée dans la pharma, qui semblait pouvoir échapper à la crise du fait de l’explosion des maladies chroniques et du vieillissement de la population, en France comme partout en Europe. Le LEEM, syndicat professionnel des industriels de la branche, estime que cette décroissance ou « atonie » de la pharma est principalement « imputable à la diversité des outils de régulation mis en place, ces dernières années, par les pouvoirs publics ». Il énumère ainsi pêle-mêle les baisses de prix, l’essor des génériques, les référentiels de bon usage des médicaments, les contrats proposés aux médecins par l’assurance-maladie (dont le Capi ou le paiement à la performance), le durcissement des critères d’évaluation du médicament ou encore l’encadrement des prescriptions hospitalières…Mais cette baisse signe principalement la fin du « modèle blockbuster », assis sur les grandes molécules vendues mondialement par la pharma et désormais génériquées. Avec leur perte de brevet, ces mêmes molécules sont sorties des arcanes traditionnelles d’un marketing agressif essentiellement orienté sur les prescripteurs pour passer dans celles d’un marketing résolument focalisé sur les pharmaciens et principalement maîtrisé par les génériqueurs.
Sanofi donne le « la »[2]
Ce changement de modèle conduit ainsi le LEEM à noter dans son récent « bilan économique et emploi des entreprises du médicament[3] » que cette « évolution défavorable du chiffre d’affaires France (2) constitue un mauvais signal adressé aux investisseurs internationaux, et n’incite pas les groupes pharmaceutiques à renforcer leur présence sur le territoire, que ce soit en y installant des sites de production ou des centres de R&D ». « Avec la crise économique mondiale, le phénomène de concentration dans l’industrie du médicament, la fin des médicaments dits « blockbusters », et la concurrence nouvelle de pays émergents, le risque d’une aggravation de la situation dans les années à venir existe, tant dans les entreprises que chez leurs sous-traitants pharmaceutiques ». La branche pharma, qui emploie, fin 2011, 102 825 salariés, devrait voir ses effectifs allégés prochainement. Le LEEM prévoit à cet égard une baisse de 2 % en 2012, estimant que « faute de lisibilité durable en matière économique et fiscale, les entreprises peineront à maintenir le « noyau dur » de leurs effectifs internes, socle indispensable au déploiement, à l’extérieur des entreprises, des nombreux emplois induits par leurs activités. » Sans attendre la fin de l’année, Sanofi, 4ème groupe mondial, fait savoir à la veille des départs en vacances qu’il supprimera des emplois, entre 1 200 et 2 500 postes selon les syndicats. Des suppressions d’emplois que le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, a estimé « inacceptables », voir « intolérables » face aux milliards de profits affichés par la big pharma française. Un groupe qui sait que son salut passe désormais par l’Asie, et notamment la Chine, où il a investi depuis des années. Le président de la filiale française de Sanofi, Christian Lajoux (photo), également président du LEEM, a de son côté évoqué une « démarche stratégique », tandis que le Pdg du groupe, Chris Viehbacher a annoncé un nouveau plan d’économies de 2 milliards d’euros. Autant dire que les baisses de consommation de médicaments enregistrées en France ne vont pas favoriser de marche en arrière sur les plans de Sanofi.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Le LIR [4]représente seize filiales d’entreprises internationales de Recherche en santé : Abbott, Astrazeneca, Bayer Santé, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Janssen, Lilly France, Lundbeck, Merck Sante, MSD, Novartis, Novo Nordisk, Pfizer, Roche, Takeda. Etude du LIR[5] « 10 ans de consommation des médicaments en France »
[6](2) Fin mai IMS fait état d’une baisse de – 6% du marché ville au mois de mai, voire même de -6,3% pour les ventes sur prescriptions. « Le marché régresse à un rythme qui s’accélère. On a certes déjà connu récemment des mois de fortes baisses (- 3,6% en juin 2011 ou – 2,9% en octobre 2010), mais c’est la première fois que la barre des – 5% est franchie », souligne la lettre IMS PharmaNews
Source URL: https://pharmanalyses.fr/consommation-de-medicaments-la-france-se-normalise-la-pharma-licencie/
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