Compétitivité : faut-il supprimer la protection sociale ?

Compétitivité : faut-il supprimer la protection sociale ?
février 07 00:16 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=383 w=320 h=240 float=left]Réduire le coût du travail en transférant les cotisations sociales sur les salaires vers l’impôt, en particulier la TVA serait le remède miracle à la perte de compétitivité des entreprises et la clé de ré-industrialisation. Mais si ce qui est présenté comme une évidence cachait une idéologie visant à casser la protection sociale ? Démonstration.

Le transfert de la part patronale des cotisations familiales vers la TVA, décidée par Nicolas Sarkozy, suffira-t-elle à redonner de la compétitivité à nos entreprises en leur permettant, par la baisse du coût du travail, d’être plus concurrentielles et de redresser notre commerce extérieur qui affiche 75 milliards d’euros de déficit ? La plupart des économistes en doutent. Patrick Artus, économiste en chef de Natixis estime même que les entreprises « vont utiliser cette baisse de charges pour augmenter leurs marges bénéficiaires ».
En réalité, derrière cette antienne sur le coût du travail – obstacle à la performance économique – et la référence au modèle allemand –  se cache l’idéologie « libéralo-mondialiste » selon laquelle la protection sociale est une charge indue pesant sur les entreprises. Une approche qui sonne comme un défi à l’Histoire.

L’Etat, patron de la Sécu

En matière de protection sociale, il existe deux modèles : le Beveridge et le Bismarck. Le premier a été mis en place en Angleterre pendant et après la seconde guerre mondiale sur la base des propositions de l’économiste William Beveridge. Il repose sur le principe que la protection sociale – maladie, vieillesse, chômage – relève de la solidarité nationale et doit être organisée et financée par l’Etat. C’est ce qui explique, la création, Outre-manche, d’un système public de santé, le fameux National Health System (NHS).
Le second – conçu par le chancelier allemand Bismarck à la fin du XIXe siècle – repose sur le principe que les partenaires sociaux (patrons et ouvriers) doivent s’entendre pour organiser et financer la protection sociale. C’est l’origine des cotisations sociales imputées sur les salaires.
Le système français est une synthèse ou un mélange des deux. Créée au lendemain de la seconde guerre mondiale par le général de Gaulle sur la base du programme du Conseil national de la Résistance, la Sécurité sociale est au départ d’inspiration très bismarckienne. Gérée paritairement par les syndicats de salariés et le patronat, son financement est assuré par les cotisations sociales. Mais l’Etat exerce une forme de tutelle sur le système.
Au fil du temps, de la généralisation de l’assurance-maladie et des crises financières, l’Etat prend de plus en plus de place dans le pilotage de la Sécurité sociale au point d’en être aujourd’hui le véritable patron.
La réforme de 1996 – ordonnances Juppé sur la maladie, les retraites et la famille – et celle de 2005 sur l’assurance-maladie ont consacré la prise de pouvoir de l’Etat dans la citadelle Sécu.

Pousser la logique jusqu’au bout

La réforme des retraites de 2011 est l’œuvre de l’Etat, comme le président de la République ne cesse de le répéter. A l’assurance-maladie, le Conseil de l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance-maladie) – composé des partenaires sociaux – fait de la figuration. Le vrai pouvoir est détenu par le directeur général, haut fonctionnaire nommé par le gouvernement pour un mandat de 5 ans. L’actuel directeur, Frédérick Van Roekeghem (photo), en est à son deuxième quinquennat.[singlepic id=384 w=160 h=120 float=right]
En outre, les différentes branches de la Sécurité sociale – maladie, retraite, famille – reçoivent chaque année leur feuille de route à travers la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), votée par le Parlement. Ce texte  fixe le cadre financier, les mesures budgétaires et les dispositions organisationnelles de chacune des branches. Seul le financement assis sur les cotisations sociales maintient la fiction d’un système bismarckien alors qu’il est de fait « beveridegisé ».
Pourquoi en effet, ne pas pousser la logique jusqu’au bout et clarifier la situation en transférant le financement de la protection sociale sur la fiscalité, ce qui allégerait considérablement le coût du travail ?  Oui, mais sur quels impôts ? Le revenu, ce qui supposerait une augmentation sur les tranches supérieures ? L’impôt sur la fortune ? Un impôt à créer sur le capital ? La CSG ?
Les libéraux-mondialistes poussent des cris d’orfraies à cette perspective, brandissant la menace de l’expatriation des capitaux et des grandes fortunes en raison du taux de prélèvements obligatoires, déjà considéré comme excessif.

Le modèle français a dédaigné l’industrie manufacturière

Conclusion : la protection sociale ne pouvant plus être financée ni par les cotisations sociales pour cause de compétitivité, ni par l’impôt pour cause de prélèvements obligatoires, il n’y a plus qu’une solution : la supprimer… Chacun serait libre de capitaliser pour sa retraite et de souscrire une assurance santé. Bref, le modèle américain, celui-là même qui laisse 17 % de la population, soit 45 millions de personnes dans l’impossibilité d’avoir une couverture maladie. Une situation que la réforme Obama, a très sensiblement modifié au grand dam des Républicains libéraux qui ont accusé le Président d’être un « dangereux socialiste français » !
Cette chasse au coût de la protection sociale ne résiste pas à l’analyse et à la comparaison avec les autres pays européens, l’Allemagne en particulier où les cotisations sociales pèsent aussi sur les salaires.
Si notre partenaire allemand triomphe à l’exportation, ce n’est pas en raison du relatif différentiel de coût salarial avec la France apparu ces dernières années mais pour des raisons structurelles. Tant qu’à copier le modèle allemand, autant le copier dans ce qu’il a de plus pertinent et qui s’appelle le capitalisme rhénan.

[singlepic id=381 w=240 h=200 float=left]L’Allemagne est un pays historiquement industriel. En 1949, au moment de la création de la République fédérale, la priorité était la reconstitution de l’outil industriel détruit par la guerre. Le nouvel Etat et le système bancaire se mettent au service de l’industrie : détermination de filières industrielles prioritaires, appui des grands groupes aux petites et moyennes entreprises, partenariat banques-entreprises pour  développer un tissu de petites et surtout de moyennes entreprises. Là est la clé du capitalisme rhénan. Les banques accompagnent les entreprises dans leur développement. Pour les banques allemandes, l’entreprise – petite et moyenne – est une chance. En France, pour les banques, l’entreprise est un risque. Le capitalisme rhénan a permis de créer un tissu de petites et moyennes entreprises industrielles, spécialisées et performantes dans leur domaine. Dans le même temps, le modèle français, d’inspiration étatique, a choisi de développer des grands groupes internationaux dans quelques domaines qui sont effectivement puissants et performants. Mais il a dédaigné l’industrie manufacturière et n’a pas construit ce tissu industriel qui fait la force du modèle allemand. L’industrie n’était pas considérée comme une activité assez noble. Ce n’est pas un hasard si le concept d’industrie sans usine est né à Paris et pas à Berlin.

Une industrie sous-capitalisée

On en paye aujourd’hui le prix. La plus grand faiblesse de l’industrie française est la sous-capitalisation, l’absence de partenariat banque-entreprise, une non politique industrielle, le crédit-crunch et pas le coût, ni la durée du travail comparés à ce qu’ils sont en Allemagne. Les ouvriers, cadres et ingénieurs allemands ne sont pas des chinois travaillant 18 h par jour, 365 jours par an dans des ateliers insalubres pour des salaires de misère et la durée du travail, en Allemagne, est inférieure à celle de la France, malgré les 35 heures. D’ailleurs, les Mercedes et les BMW fabriquées à Stuttgart et à Munich se vendent comme des petits pains alors que les Renault, fabriquées en Roumanie et en Turquie ne cessent de perdre des parts de marché. De quoi désespérer définitivement Billancourt qui est d’ailleurs fermé depuis pas mal d’années.

L’Europe, l’idiot du village global[singlepic id=382 w=240 h=200 float=right]

La proposition avancée, à la fois par François Hollande et Nicolas Sarkozy, de créer une banque publique d’investissement ciblée sur les entreprises innovantes petites et moyennes et sur des filières industrielles est peut être l’amorce de la création d’un capitalisme rhénan à la française. C’est sur ce genre d’approche qu’il faut se concentrer plutôt que de désigner la protection sociale comme le bouc émissaire de tous nos maux pour complaire aux tenants de l’idéologie libéralo-mondialiste dont il faut comprendre les ressorts.
Cette idéologie est fondée sur l’idée que le capital humain – c’est-à-dire le travail – est une marchandise comme une autre et qu’elle doit être mise en concurrence comme les autres. Le travailleur occidental, avec son gros salaire et sa protection sociale, est hors marché. Il doit donc s’adapter ou disparaitre. Cela s’appelle les délocalisations.

Pourquoi pas ? Sauf que la mondialisation ne se joue pas partout avec les mêmes règles du jeu. Au nom de la libre concurrence, l’Europe a ouvert grand ses frontières alors que d’autres grands ensembles économiques comme les Etats-Unis ou la Chine sont restés extraordinairement protectionnistes. La réponse à cette situation n’est pas la démondialisation, mais une mondialisation équilibrée dans laquelle tout le monde jouerait avec les mêmes règles du jeu commerciales, sociales, environnementales, réglementaires. Il serait temps que, dans la mondialisation, l’Europe cesse, selon l’expression d’Hubert Vedrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères, d’être« l’idiot du village global ».
A cette condition, le débat sur la compétitivité et le coût du travail – qui est un vrai débat – gagnerait en intelligence ce qu’il perdrait en idéologie.

Philippe Rollandin

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