Claude Leicher (MG France): « Au gouvernement de se ressaisir du dossier du DMP »

Claude Leicher (MG France): «  Au gouvernement de se ressaisir du dossier du DMP »
septembre 10 14:30 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=547 w=320 h=240 float=left]Le Dossier médical personnel (DMP) devait être l’outil de « la cohérence du système de soins » et favoriser une meilleure coordination entre les professionnels de santé intervenant autour du malade. Créé en août 2004 par Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé du moment, il aura coûté depuis son lancement plus d’un demi milliard d’euros pour bénéficier à seulement 200 000 Français et ne pouvoir être ouvert que dans 142 hôpitaux. Son fiasco est quasi total, au point que certains acteurs s’interrogent sur sa pertinence et son maintien. La Cour des Comptes a publié à son sujet un rapport accablant, que son président, Didier Migaud, devait présenter aux députés ce 12 septembre. De son côté, Claude Leicher, président du syndicat des généralistes MG France, s’interroge sur l’utilité réelle d’un concept qu’il estime mauvais depuis le départ et invite publiquement le gouvernement à se ressaisir du dossier.

Le DMP vient d’être l’objet d’un rapport de la Cour des Comptes. Quelle est votre analyse de l’évolution de cet outil, qui lancé en 2004, n’est toujours pas opérationnel ?

Dr Claude Leicher : Depuis 2004, nous disons la même chose : on ne peut pas créer la fonction médecin traitant et créer la fonction dossier personnel d’un patient sans lier les deux. Or, aujourd’hui le DMP ne peut pas fonctionner parce qu’il n’est pas demandé au médecin traitant de s’en occuper. Si on veut avancer, il faut considérer que le médecin traitant a besoin d’un dossier « professionnel », qui doit être tenu par lui, et être utilisé à la demande du patient dans un parcours de santé, donc communiqué à d’autres personnes. Le dossier professionnel peut devenir le dossier du patient dès lors qu’il y a un accord entre le médecin traitant et le patient sur les éléments à communiquer ou non. Cela permet de retomber sur ses pieds en disant que la caractéristique du DMP par rapport au dossier professionnel du médecin, c’est que c’est le patient qui décide des éléments à y mettre, à enlever, voire à masquer.

Dès lors que faut-il faire dans le contexte actuel ?

On fait un seul dossier professionnel, cogéré par le médecin traitant et le patient, et c’est le patient qui décide des éléments à communiquer à d’autres professionnels de santé. On peut faire évoluer ce dossier pour le rendre « communiquant ». Là encore, il y a un filtre géré par le patient. On construit le dossier, puis on le rend communiquant. Sinon, cela voudrait dire que le médecin a un dossier professionnel et le patient a un DMP, et que les deux n’auraient rien à voir l’un avec l’autre. On ne peut pas demander à un médecin traitant de tenir deux dossiers.

La fonction de DMP n’apporte rien au médecin. Des professionnels ne peuvent pas s’investir dans un outil qui ne sert à rien. Le concept est mauvais depuis le départ. A la création du DMP, le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy a dit que le DMP était chargé d’apporter 3 à 5 milliards d’économies potentielles chaque année du fait de sa seule existence physique. C’était une illusion ! C’était une erreur de conception. Il s’est trompé. Il faut revenir sur cette erreur. On n’est pas obligés de remettre tous les compteurs à zéro, mais on remet le compteur du concept à zéro, on le confie au médecin traitant, choisi par le patient. Charge ensuite de s’entendre sur le filtre dont le patient est entièrement maître, quand le dossier sort de l’ordinateur du médecin traitant. Cela permet de respecter ce qu’ont demandé les usagers.

Comment pensez-vous qu’une affaire qui a coûté 500 millions d’euros puisse repartir désormais ?[singlepic id=548 w=200 h=120 float=right]

Sur les 500 millions dépensés, 220 millions sont propres au DMP. Ils n’ont pour l’instant servi à rien. On pourrait arrêter cette affaire et mettre l’argent sur la construction d’un dossier professionnel chez le médecin traitant. C’est ce que nous sommes est en train de faire dans la convention. Le dossier proposé dans la convention n’est pas le DMP, et ne vise pas à essayer de régler le problème du DMP. A travers les outils conventionnels, nous pouvons réfléchir à l’architecture technique mise en place pour le DMP, notamment dans le domaine de la prescription médicale électronique (PME), soit le dépôt dans un serveur sécurisé d’une prescription électronique, recueillie par le pharmacien et délivrée par lui. Cela nécessite de posséder l’identifiant du patient, d’avoir la capacité pour le médecin et le pharmacien à rentrer dedans.

Cela fonctionne déjà dans de nombreux pays en Europe. N’y a-t-il pas des leçons à tirer des expériences en cours ?

Certes, mais là où les architectures étaient centralisées, ils se sont arrêtés, parce que c’est très lourd et très risqué en termes de sécurité sur les données, et  surtout parce que ce n’est pas opérationnel. Nous voulons bien, une fois le dossier professionnel du médecin traitant construit, regarder avec l’Etat comment rendre tout ou partie du dossier « communiquant ».

Comment ?

Il peut l’être de deux façons : il ne faut pas mélanger la communication avec les messageries sécurisées. Quand un hôpital fait un compte-rendu, il ne suffit pas de dire qu’il faut le mettre dans le DMP et que le médecin ira chercher cette information. Cela ne fonctionne pas. Il faut donc créer une architecture de communication sécurisée séparée du problème du DMP. Nous attendons un décret qui permettrait de savoir quelle est cette architecture technique qui permettrait d’avoir un échange crypté. Il semble que la CPS – carte des professionnels de santé – soit prévue comme outil de cryptage. L’Etat ne faisant rien, il y a des initiatives privées qui se développent, avec un certain succès. Donc, faut-il ou pas une messagerie sécurisée via la CPS ? Ensuite, quelle est la réflexion sur les façons de rendre le dossier professionnel communiquant. Il faut d’abord créer le dossier et installer le filtre décidé par le patient.

Pour l’heure, nous n’y sommes pas ?

Pas du tout. Les gens chargés de la mise en œuvre (l’ASIP Santé) n’y sont pour rien, mais ce n’est pas le bon concept. Cela ne pourra pas marcher. J’appelle publiquement le gouvernement à se ressaisir du dossier. Ce sont les éléments de valorisation du parcours de santé. Au gouvernement de nous dire si c’est toujours bien l’axe politique souhaité.

Propos recueillis par J-J Cristofari

NB : pour en savoir plus sur le DMP

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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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