by Jean Jacques Cristofari | 3 mai 2011 17 h 40 min
[singlepic id=159 w=320 h=240 float=left]Au cours de la dernière décennie, les grandes sociétés pharmaceutiques ont poursuivi une stratégie agressive de fusions et d’acquisitions dans le but d’assurer leur développement. Mais une récente analyse de la société Burrill & Company souligne que cette approche, sinon fuite en avant, a été un échec : elle avance ainsi que les big pharma ont perdu quelque 1000 milliards de dollars au cours de la dernière décennie. Ajoutés aux dépenses de R&D en forte progression pour un ROI qui n’est pas au rendez-vous, la facture commence à être lourde pour la branche qui poursuit une sorte de fuite en avant dans sa conquête des marchés émergents[1], leur planche de salut du moment.
Le 31 décembre 2000, la capitalisation boursière combinée de 17 des acquéreurs les plus actifs de l’industrie du médicament était de 1 570 milliards de dollars, à l’exclusion de Johnson & Johnson. Au 31 décembre 2010, ce montant a chuté à 1 040 milliards de dollars, soit une perte de plus de 500 milliards de dollars en valeur de marché. Si l’on ajoute la valeur combinée des acquisitions de ces entreprises sur la période écoulée – soit un montant total de 425 milliards de dollars, à l’exclusion des opérations inférieures à 10 millions de dollars – ce sont près de 1 000 milliards de dollars qui ont ainsi été perdus au cours de la dernière décennie. L’analyse a été avancée par le rapport « Biotech 2011-Life Sciences : Regards sur le passé pour éclairer l’avenir[2] », de Burrill & Company.
Innover pour sortir de l’impasse
« Ces pertes de recettes qu’ont subi les plus importantes compagnies pharmaceutiques ne reflètent pas seulement l’impact de la concurrence des génériques, mais aussi l’échec de la R&D de produits innovants des big pharma pour remplacer ceux qui vont perdre leur brevet », commente G. Steven Burrill, CEO de la banque d’affaires Burrill & Company, de San Francisco. « Si l’industrie veut revenir au type de croissance dont elle jouissait auparavant, il lui faut innover pour sortir de son impasse actuelle », ajoute ce dernier. La banque rappelle volontiers que la productivité de la R&D de la branche pharmaceutique a fortement diminué ces dernières années.Une chute qui explique le faible nombre de nouvelles molécules innovantes mises sur le marché par nos big pharma. De plus, l’industrie continue de produire d’une année sur l’autre un nombre à peu près constant de nouveaux médicaments, alors même que ses investissements de recherche et développement sont en augmentation permanente (1). En parallèle à leur activité, des petites sociétés de biotechnologie ont contribué à mettre sur le marché des produits innovants à moindres coûts. Une raison pour laquelle les big pharma ne sont désormais plus sur le modèle classique des seules fusions défensives, consistant à se racheter mutuellement – comme récemment les fusions entre Pfizer et Wyeth ou de Merck et Schering-Plough -, mais sont davantage à la poursuite d’acquisitions de produits innovants et de sociétés de biotechnologie, à l’instar de la récente acquisition de Genzyme par sanofi-aventis. « Dans d’autres cas de figure, les big pharma cherchent à imiter les biotechs, en s’appuyant sur de nouveaux modèles de R&D qui créent des petites unités de recherche indépendantes et concentrées qui fonctionnent à l’image des biotechs », commentent encore les analystes de Burrill & Company. Une analyse largement partagée par ailleurs.
Le leader mondial cherche encore sa voie
« Comme le reconnaissent les experts, Pfizer, frappée par une panne d’innovations ainsi qu’une frénésie d’acquisitions et alliances au cours des dernières années [2], cherche encore sa voie », commente dans le même registre le Bulletin électronique [3]de lAmbassade de France à Washington. « Et celle qu’elle a prise en 2010 ressemble davantage à une déviation en attendant de rejoindre l’autoroute. Bref, une transition qui coûte pour l’instant plus chère que prévue ». Pour l’année en cours, le n°1 mondial du médicament annonce cependant qu’il occupera la cinquième place des dépenses de R&D parmi les 10 plus grandes sociétés pharmaceutiques (soit la position actuelle de J&J qui a dépensé 6,84 milliards en R&D en 2010), note encore le bulletin.
La réponse est du côté des biotech
Sur la feuille de route de la R&D des big pharmas, les autres groupes avancent des des approches différenciées, « mais avec plus de succès », note l’analyse du BE de l’Ambassade de France. GSK, par exemple, qui a dépensé 6,09 milliards de R&D en 2010, soutient un modèle intégré de la recherche mais se donne cinq ans pour confirmer cette hypothèse. En 2010, GSK a également pris des options drastiques et a fait une priorité de la réorganisation interne de sa recherche (création d’unités de performance de 6 personnes qui sont responsables d’aires thérapeutiques). Il a également abandonné des aires thérapeutiques (neurosciences, dépression, douleur), du personnel de recherche (-25%) et des partenaires CROs (le nombre est passé de 30 à 2).
Autre cas, celui d’Eli Lilly, qui a dépensé 4,88 milliards de dollars en R&D en 2010. La société considère que le modèle « intégré » de la recherche est le plus adapté. Il permet notamment de capter les apports extérieurs (académiques, industriels, CROS, biotechs, etc.). « Eli Lilly mise également beaucoup sur son nouveau système interne (« Chorus ») qui offre la possibilité de déterminer rapidement l’intérêt pharmaceutique de composés en phase exploratoire ou pré-exploratoire, à l’instar de son anticorps « Baff » qui est passé du stade de molécule à celui de preuve de concept en 24 mois pour un coût de 6,3 millions », commente le BE. « Chorus » a ainsi généré une économie comprise entre 150 et 170 millions lors de l’identification de 18 composés, dont 3 sont désormais en phase de preuve de concept. « L’impression qui se dégage de l’examen des rapports annuels et des activités de recherche des 10 grands groupes pharmaceutiques mondiaux est même paradoxale, concluent les analystes de Washington : comment se fait-il qu’en dépensant davantage mais en rationalisant à l’excès (abandon d’aires thérapeutiques, suppression d’emplois, alliances, externalisation, etc.), on ne voit pas émerger de meilleures perspectives et une prédictibilité accrue de la recherche pharmaceutique. » Sans doute parce que la réponse à la question se trouve désormais dans les rangs des sociétés de biotechnologie. Celles là même qui intéressent grandement les big pharma.
Jean-Jacques Cristofari
Référence : « Biotech 2011-Life Sciences: Regard sur le passé pour éclairer l’avenir[4] », de Burrill & Company, 25ème rapport annuel sur l’industrie de la biotechnologie.
(1) Les dépenses des grandes sociétés (AstraZeneca, Sanofi-Aventis, Bayer, GSK, Roche et Novartis) sont passées de 2 milliards en 1980 pour atteindre 43,3 milliards en 2006. En 2010, à périmètre constant, on est sans doute à plus de 50 milliards.
(2) La dernière en date concerne la production d’insuline pour le marché américain par Biocon, une société indienne.
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