Assurances-maladie obligatoire et complémentaire : l’heure du big bang !

Assurances-maladie obligatoire et complémentaire : l’heure du big bang !
février 18 15:39 2015 Imprimer l'article

[singlepic id=1017 w=300 h=220 float=left]Méga fusions dans le monde mutualiste, open data en santé et généralisation de la couverture santé complémentaire en entreprise. Tous les éléments d’une mutation de grande ampleur du système impliquant une gestion tripartite (Etat, AMO et AMC) de la protection santé des 66 millions de Français avec, à terme, une marginalisation de l’Assurance-maladie obligatoire sont en place. La prochaine étape pourrait être le conventionnement des médecins dans des réseaux de santé mutualistes. Explications.

Dans le monde mutualiste, l’heure est au mariage pour tous. Coup sur coup, le groupe Malakoff-Médéric et Mutuelle générale ont annoncé leur union tandis que la MGEN et Harmonie Mutuelle officialisaient leur rapprochement. Ces mariages d’un nouveau genre mettent en scène des poids de lourds de l’assurance-maladie complémentaire. Qu’on en juge :

– Malakoff-Médéric : n°2 en santé collective, avec 191 000 entreprises adhérentes et 3,7 millions de salariés assurés, auxquels il faut ajouter 1,3 million d’adhérents individuels.
– Mutuelle générale : 3e Mutuelle française, avec 1,370 million d’assurés.
– Harmonie Mutuelle : 4,5 millions d’assurés.
– MGEN,  (Mutuelle générale de l’Education nationale) : 3, 7 millions de fonctionnaires, et pas seulement de l’Education nationale. En outre, elle gère, par délégation de l’Assurance-maladie obligatoire et moyennant des frais de dossier, la part obligatoire des remboursements.

Pourquoi ces mégafusions, dignes des rapprochements opérés dans l’industrie pharmaceutique ou la finance ? S’agissant du secteur mutualiste, l’objectif n’est pas de créer de la valeur boursière pour se faire applaudir à la prochaine année générale par des actionnaires ravis de toucher de confortables dividendes. L’objectif est de pouvoir encaisser le choc et la mutation qui se profilent à court terme pour l’Assurance-maladie complémentaire et qui vont provoquer une sorte de big-bang dans l’univers de l’assurance santé.

Changement de modèle

Le choc, c’est l’Accord national interprofessionnel (ANI). Signé en 2013, par le Medef et plusieurs syndicats de salariés, cet accord organise la flexi-sécurité à la française. En échange d’un assouplissement des règles du marché du travail, notamment en matière de licenciement collectif, les entreprises ont accepté de renforcer les droits sociaux, en particulier les droits rechargeables au chômage et la généralisation de couverture santé complémentaire dans toutes les entreprises, de la TPE à la multinationale, au 1er janvier 2016.

Pour les complémentaires, c’est un changement total de modèle économique. Comme cela a été démontré dans nos colonnes, les mutuelles et les assureurs vont devoir changer de terrain de jeu. Fini le temps où pour appâter le chaland, il fallait se lancer dans une sorte de course à l’échalote, consistant à proposer toujours plus de prises en charge de dépassements, de prestations annexes (chambre individuelle, télévision, etc..), de pratiques plus ou moins médicales, comme les médecines douces ou encore l’homéopathie qui étaient autant de produits d’appel.

Les complémentaires vont devoir répondre à des appels d’offres lancés par les entreprises et les branches professionnelles pour la souscription des contrats responsables de groupe dont les obligations sont très contraignantes, puisque – grosso-modo – il s’agit de prendre en charge le ticket modérateur de tous les produits et services de santé en ambulatoire et à l’hôpital. Les obligations étant les mêmes pour tous et la sélection des assurés – individuels et collectifs –  interdite, la règle ne sera plus le toujours plus mais le toujours mieux consistant à proposer le contrat responsable au meilleur prix avec une meilleure qualité de services.

En outre, les mutuelles et les assureurs sont désormais soumis à des règles prudentielles et de solidité financière à l’image des banques, désormais sous la surveillance de l’Union bancaire et des obligations de la convention Bâle III.  Les mutuelles – petites et moyennes – ne peuvent pas assumer ces deux éléments que sont la capacité de gestion de contrats collectifs lourds et la solidité financière, ce qui est à l’origine du mouvement de concentration. Ainsi, comme dans la distribution, dans l’Assurance-maladie complémentaire, le petit commerce est durement concurrencé par les grandes surfaces, voire par les hypermarchés.

[singlepic id=1019 w=280 h=200 float=left]Trésor de guerre

La conséquence de cette généralisation de la couverture complémentaire est que les mutuelles et les assureurs vont devenir des assureurs santé à part entière alors que jusqu’à présent, ils n’étaient que des commerçants et des supplétifs de l’Assurance-maladie obligatoire. Ce nouveau rôle va les amener à apprendre un nouveau métier,… celui du gestionnaire du risque qui est le cœur de métier d’un assureur. Ce changement de paradigme – revendiqué depuis longtemps par la Mutualité française – suppose pour les assureurs de disposer de l’outil essentiel de la gestion du risque : les données de santé.  Or – et c’est la mutation –  l’open data en santé est en marche. Le projet de loi santé de Marisol Touraine va permettre aux complémentaires d’avoir accès à toutes les statistiques de santé que l’Assurance-maladie cachait comme un trésor de guerre.

Le texte prévoit la création d’un système national des données médico-administratives qui regroupera toutes les données issues des systèmes d’information des hôpitaux et de l’Assurance-maladie dans un but d’information mais aussi de définition  et d’évaluation des politiques de santé et de protection sociale. Les complémentaires vont donc enfin accéder à l’information qui est le chaînon manquant leur permettant d’être des gestionnaires de risques et de faire jeu égal avec l’Assurance-maladie obligatoire.

Le cheval de Troie du CAS[singlepic id=1018 w=200 h=120 float=right]

Ainsi, le cauchemar de Frédéric Van Roekeghem (photo) va se réaliser. Pendant 10 ans, le directeur général de la CNAM et de l’UNCAM a tout fait pour empêcher les complémentaires de participer aux négociations conventionnelles avec les médecins. Une opposition qui a atteint son paroxysme avec le Contrat d’accès aux soins (CAS). Les Mutuelles ont utilisé cette négociation sur l’encadrement des dépassements d’honoraires comme un cheval de Troie en proposant de financer à hauteur de 150 millions d’euros les dépassements à condition d’être coresponsables des contrats. Les négociations avaient échoué, à la discrète satisfaction de FVR. Mais Marisol Touraine lui a ordonné de reprendre et de conclure les négociations, faisant ainsi entrer le loup mutualiste dans la bergerie assurance-maladie.

Désormais, tout est en place pour la réalisation du big-bang qui est la cogestion de la couverture santé des 66 millions de Français par l’Assurance-maladie obligatoire et l’Assurance-maladie complémentaire et peut-être la substitution de la première par la seconde.  En effet, outre l’Open data, le projet de loi de Santé met l’AMC sur le même plan que l’AMO : « Le plan national de gestion du risque  est décliné dans chaque région sous la forme du plan pluriannuel régional de gestion du risque arrêté par le directeur général de l’agence régionale de santé après concertation avec les caisses locales d’assurance maladie et avec les organismes complémentaires d’assurance maladie ».

[singlepic id=1021 w=200 h=120 float=left]Cerise sur le gâteau

Par ailleurs, une loi de 2013 autorise les complémentaires à augmenter le niveau de remboursement de leurs adhérents s’ils consultent un professionnel de santé avec lequel une Convention a été conclue. Certes, ce conventionnement et ces réseaux mutualistes excluent les médecins mais pour combien de temps ?  Ce big-bang de l’Assurance-maladie justifie la constitution d’entités mutualistes puissantes comme les regroupements évoqués ci-dessus.

Dans cette affaire, le tiers-payant est la cerise sur le gâteau, une manière de boucler la boucle en consacrant, symboliquement, cette montée en puissance des complémentaires. Ce n’est pas un hasard si, au début du mois de février, les 3 familles de complémentaires – mutualité, assurance privée, prévoyance – ont annoncé la création d’une plate-forme commune permettant une gestion simple du tiers-payant…..Et pendant ce temps, la CNAM est bien silencieuse.

Les syndicats de médecins qui, tel le taureau dans l’arène, ont foncé tête baissée vers le chiffon rouge du tiers-payant que leur a tendu Marisol Touraine seraient bien inspirés de s’intéresser à la prise de pouvoir des complémentaires. Lorsque les médecins seront conventionnés dans des réseaux de soins mutualistes – sur le modèle des HMO américaines – il sera trop tard pour regretter de s’être trompés de combat.

Philippe Rollandin

 

 

 

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