by Jean Jacques Cristofari | 11 janvier 2011 21 h 15 min
[1]Le 1er janvier dernier est entré en vigueur outre-Rhin la loi dite « de financement durable et socialement équitable de l’assurance maladie obligatoire » ou loi de financement de l’assurance maladie légale. Cette nouvelle réforme de la santé allemande, pilotée par le libéral Philipp Rösler (photo) s’accompagne d’une autre loi qui affecte très directement la distribution des médicaments, dénommée « loi sur la restructuration du marché pharmaceutique ». Ces deux textes votés en 2011 visent à générer des économies dans un système de santé également en bute à un déficit croissant.
Depuis quelques jours, nos voisins allemands ont vu leur système de santé entrer dans une nouvelle ère. Dans un pays où la liberté des prix s’est toujours imposée comme le crédo de l’économie sociale de marché, la pharma vient de tourner une page de son histoire. Le très libéral Philipp Rösler, ministre de la santé du 2ème gouvernement d’Angela Merkel, issu des rangs du parti – le FDP – qui a fait alliance avec la démocratie chrétienne – la CDU – pour former la nouvelle coalition « noire/jaune » au pouvoir depuis octobre 2009, vient ainsi de mettre fin à la liberté des prix des médicaments au pays de Bismarck. Objectif de sa nouvelle règlementation, mettre un frein à une évolution explosive des dépenses de santé remboursées par l’assurance-maladie publique allemande. « La loi crée un nouvel équilibre entre l’innovation et l’accessibilité financière aux médicaments », commente le jeune ministre, pour qui la vraie valeur ajoutée d’une spécialité conditionnera à l’avenir son prix.
Adopté en novembre dernier, le texte est donc désormais entré en application et cette dernière ne fait pas, loin s’en faut le bonheur de toutes les parties prenantes de la santé en Allemagne. Pour autant, la nouvelle coalition n’a jamais fait mystère de sa volonté de réformer la santé en général et le secteur du médicament en particulier. Dès son arrivée à la tête de la Santé, le Dr Philip Rösler a ainsi fait savoir que le marché pharmaceutique devait être rendu plus concurrentiel, tout comme il devait davantage avantager les patients. En 2009, la note présentée aux caisses maladie a augmenté de 5,3 % pour les seules dépenses en médicaments par tête d’habitant, ce qui représente une hausse de 1,5 milliards d’euros. Le gouvernement a aussitôt fait savoir qu’il n’entendait pas laisser filer la facture, d’autant que le déficit général de l’assurance-maladie se creuse (voir plus bas). A ce constat s’en ajoute un deuxième relatif aux prix des médicaments : « un prix élevé ne signifie pas toujours que le médicament concerné apporte une réelle valeur ajouté aux patients », note encore le ministre. « Sans compter que les prix des médicaments innovants, qui apportent réellement d’importants avantages supplémentaires sont souvent très élevés. » Autant dire que le niveau des prix des produits pharmaceutiques est devenu la bête noire des autorités qui entendent renverser une tendance fortement inflationniste de ces mêmes produits.
La fin du régime discrétionnaire des prix
Aussi, les industriels du médicaments doivent-ils désormais, pour toute nouvelle molécule mise sur le marché, prouver qu’elle apporte une service médical supplémentaire aux malades. Un Comité mixte fédéral décidera en conséquence de la nature des avantages supplémentaires apportés par le nouveau médicament et dans quelles circonstances ce dernier peut être prescrit. Les spécialités qui n’apportent pas de réelle valeur ajoutée nouvelle tombent d’office dans le régime des « prix de référence » -plafonnés -, qui détermine leur niveau de remboursement par les caisses. Et si la nouvelle spécialité n’a pas d’équivalent sur le marché, le fabricant doit alors s’accorder avec les caisses d’assurance-maladie sur son niveau de remboursement, niveau qui ne peut en aucun cas conduire à accepter un coût plus élevé par rapport à un traitement analogue. Quant aux produits qui apportent une réelle valeur ajoutée, leur prix sera basé sur une évaluation de cette dernière. Kafka vient ainsi d’entrer au royaume de Bismarck et les voix s’élèvent de toute part sur l’émergence d’une nouvelle bureaucratie dans la santé . La nouvelle réglementation applicable aux médicament est pour sa part censée apporter des économies de l’ordre de 2 milliards d’euros, souligne encore le gouvernement Merkel. « C’est la fin du régime discrétionnaire des prix laissé au libre arbitre des fabricants », note le ministre Rösler qui prône de longue date un renforcement des règles de la concurrence entre fabricants et caisses maladie. Les uns comme les autres sont ainsi invités à continuer « à négocier pendant un an après le lancement d’un prix de remboursement d’un nouveau médicament ». A ce train de nouvelles mesures s’ajoute celles déjà en vigueur dans le secteur du médicament et relatives notamment aux rabais que le fabricant doit consentir aux caisses maladies pour ses produits non soumis aux prix de référence. Des rabais obligatoires qui ont été portés à 16 % du prix fabricant en août dernier. Sans compter le blocage des prix des médicaments qui restera en vigueur jusqu’en 2013. Début janvier, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi a entraîné de sérieuses prises de bec entre le monde officinal et les 169 caisses d’assurance-maladie allemande légales, le premier accusant les autres de ne pas avoir informé les assurés sociaux de leurs droits en matière de prise en charge des médicaments.
Jean-Jacques Cristofari
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La santé cherche des gisements d’économie
En 2011, l’assurance-maladie légale qui couvre 79 millions d’Allemands se trouvera face à un déficit d’ores est déjà programmé à 9 milliards d’euros pour des dépenses totales de santé qui devraient atteindre les 179 milliards d’euros. Pour couvrir ce déficit, employeurs et salariés y seront de leur poche (3 milliards d’euros chacun via des augmentations de cotisations sociales, dont le taux global est porté à 15,5 %), ainsi que les prestataires de soins et produits de santé (médecins, hôpitaux, industriels du médicament) pour 3 autres milliards d’euros. Les caisses sont priées de limiter leurs dépenses ainsi que leurs coûts de gestion. A cet ensemble d’économies s’ajoutera une subvention fiscale supplémentaire apportée au Fonds de Santé de l’ordre de 2 milliards d’euros, engagée par la réforme initiale de la Santé.
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La pharma allemande à un tournant
[singlepic id=94 w=320 h=240 float=left]« Le marché pharmaceutique, du fait des décisions politiques adoptées avec la loi, se trouve devant sa plus grande césure », déclare le 1er janvier dernier Cornelia Yzer (photo), directrice générale du VFA (1) qui rassemble les filiales des big pharma opérant en Allemagne. « Les modalités de remboursement de médicaments innovants seront influencées par les futures négociations fondées sur la valeur », ajoute cette dernière, considérant que la première évaluation [des nouvelles spécialités] formera la base des négociations à venir. « Elle sera un point charnière pour mesurer le prix et la qualité des soins ». « Les sociétés pharmaceutiques de recherche se tiennent prêtes à mettre à disposition de l’Allemagne leur expérience internationale de l’évaluation des médicaments afin que le projet de réforme sur l’évaluation précoce puisse avancer dans la pratique (…) Avec la négociation sur les taux de remboursement des caisses d’assurance-maladie et les premiers instruments d’évaluation de la valeur ajoutée apportée par les médicaments, des instruments de régulation seront importés d’autres pays », poursuit la directrice qui considère que de nouvelles règles pour le marché pharmaceutique offrent également la chance d’abolir des règles usuelles. « Une chance dont doivent aussi se saisir les politiques », conclut Cornelia Yzer.
(1) Le VFA,[2] qui est l’équivalent du LIR[3] en France, représente les intérêts de 45 big pharma internationales présentes en Allemagne à travers une centaine de filiales. Celles-ci pèsent deux tiers du marché pharmaceutique allemand, emploient 90 000 salariés, dont plus de 17 000 dans la recherche.
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