Affaire des contraceptifs oraux : où est passée la pharmacovigilance ?

Affaire des contraceptifs oraux : où est passée la pharmacovigilance ?
janvier 16 01:56 2013 Imprimer l'article

[singlepic id=648 w=300 h=220 float=left]L’affaire des risques sanitaires associés à la pilule dite de 3ème génération n’en finit pas de rebondir et chaque jour apporte son lot de nouvelles déclarations sur les cas d’effets indésirables graves déclarés aux autorités sanitaires, comme sur les décès dénombrés dans le temps dans les rangs des femmes auxquelles les pilules ont été prescrites. Il aura fallu une nouvelle crise sanitaire associée à un médicament pour que la question du système de pharmacovigilance en vigueur dans notre pays ressurgisse dans toute son acuité. Pour le LEEM, qui représente les industriels du médicament, « Il n’y a pas eu, en l’espèce, de défaillance du système de pharmacovigilance. » Un constat pour le moins discutable. Marissol Touraine, ministre de la Santé, a fait savoir lors de ses voeux à la presse, le 23 janvier, qu’il fallait « remettre à plat notre système de pharmacovigilance« .

« Tous les jours dans notre pays plus de cinq millions de femmes prennent une contraception orale et font confiance à leur médecin pour les conseiller et les orienter dans le meilleur choix pour elles, fait savoir le Pr Israël Nissand dans l’Express cette semaine. Parmi ces femmes, la moitié utilise des pilules de 3ème génération ». L’éminent gynécologue du CHU de Strasbourg souligne par ailleurs qu’en 27 ans, les autorités sanitaires ont officiellement enregistré 567 déclarations d’effets indésirables  (thrombose, phlébite, embolie pulmonaire…), auxquelles il ajoutera 13 décès, « dont 90% avaient une anomalie de la coagulation particulièrement difficile à détecter », soulignant encore que  » la contraception est un vrai médicament avec ses contre-indications et ses rares complications ». Le 14 janvier, l’AFP fait savoir de son côté qu' »au moins 47 accidents cardio-vasculaires graves, dont deux décès, potentiellement liés à la prise d’une pilule contraceptive ont été répertoriés en l’espace de 14 ans dans un CHU ». « Les 47 cas qui auraient dû faire l’objet d’un signalement (embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde ou accident vasculaire cérébral) ont été observés chez des femmes âgées de 15 à 25 ans et prenant des pilules de toutes générations », ajoute l’agence qui note encore : « Toutes ces femmes avaient été hospitalisées dans le CHU concerné [non identifié, NDLR] entre 1998 et 2012. La plupart d’entre elles avaient des facteurs de risques associés. » L’ANSM a confirmé à l’AFP avoir bien reçu le document et a reconnu qu’il confirmait l’existence d’une « très importante sous notification ». Nous voici au coeur d’un nouveau problème : celui qui a trait à l’incapacité de notre pays à se doter d’un système d’alerte efficace, c’est à dire d’une pharmacovigilance digne de ce nom !

Un problème caché sous le tapis

Car, poursuit l’AFP en citant une source médicale, en extrapolant les chiffres du CHU – qui couvre une région de 800.000 habitants – à l’ensemble de la population française, « on arrive à 3.000 ou 3.500 effets indésirables graves et environ 150 décès chez les femmes de 15 à 25 ans pour la période allant de 1998 à 2012. » Nous sommes ici loin des chiffres précités du Pr Nissand. De son côté, l’agence du médicament a recensé 567 déclarations d’accidents « thromboemboliques veineux » liées aux pilules au total depuis 1985 – dont 46% pour les pilules de 2ème génération sur le marché depuis les années 70 et 43 % pour celles de 3ème génération – avec un total de 13 décès. Ces quelques chiffres que les femmes découvrent soudainement avec effarement – en particulier celles qui ont recours à une contraception orale ou CO – sont certainement loin de la réalité. Mais faute d’un système organisé de remontées d’informations de la part des patients, des praticiens comme des laboratoires, vers les autorités sanitaires, les problèmes, une nouvelle fois auront été, selon la formule consacrée, « cachés sous le tapis ». Pour répondre par avance aux annonces et aux critiques qui surgissent chaque jour dans la presse, Marissol Touraine, a demandé à l’Agence de Sécurité du Médicament (ANSM) de « rendre publiques les données de pharmacovigilance » en appelant à une amélioration et une simplification du dispositif actuel, ce que l’IGAS (voir plus bas) préconisait il y a peu de temps ! Il n’est jamais trop tard pour bien faire !

[singlepic id=651 w=260 h=180 float=left] Tueurs silencieux

De leur côté, les représentants des entreprises de médicament (Leem) ont fait savoir qu’ils prenaient « acte des réponses apportées par la ministre de la Santé sur les inquiétudes relatives aux contraceptifs oraux de 3ème et de 4ème générations ». « Comme tout médicament, note l’organisation présidée depuis ce mois de janvier par Hervé Gisserot, (photo) les pilules contraceptives, qui constituent l’une des plus grandes avancées médicales de ces quarante dernières années, présentent des bénéfices thérapeutiques, mais également des effets indésirables. » Soit ! Encore faut-il pouvoir disposer d’un système qui soit de nature à les recenser efficacement et le plus complètement possible, sans dissimulation ni faux-semblant. Ce qui, malgré l’affaire du Médiator (1) ne semble pas encore réellement figurer parmi les priorités de notre nouvelle ANSM, en charge de la gouvernance des produits de santé. Toujours selon le LEEM, qui entend se dégager de toute responsabilité en la matière – et dégager sans doute également celle des laboratoires fabricants les pilules incriminées – « ces effets indésirables – en l’espèce, un risque de complications thrombo-emboliques veineuses –  sont connus de longue date, ils sont largement documentés, et figurent dans l’Autorisation de mise sur le marché (AMM), dans le Résumé des caractéristiques du produit (RCP) et dans la notice d’utilisation de ces contraceptifs ». Les médecins qui devaient donc connaître ces documents et ces risques savent aussi à quel point notamment l’association entre contraception orale et tabac peut être néfaste, voire funeste, pour les femmes, jeunes et moins jeunes. Pourquoi dès lors a-t-on laissé ces tueurs silencieux se vendre en officines ? Pourquoi aucun système d’alerte n’a-t-il été déclenché ces dernières années au plan national pour prévenir les femmes de la fréquence réelle des risques encourus ? Ces questions, et quelques autres, feront sans doute prochainement l’objet d’une commission d’enquête parlementaire que les diligents députés socialistes ne manqueront pas de lancer. A moins que…

Le système a failli !

« Ces risques ont été pris en compte par les autorités sanitaires, tant françaises qu’européennes, et ont donné lieu à des recommandations de prescription, ajoute le LEEM en affirmant qu' »il n’y a pas eu, en l’espèce,  de défaillance du système de pharmacovigilance. » Dans les faits, le système a totalement failli ! Car si le travail de remontée d’informations avait été correctement renseigné – et réalisé -, les cas les plus tragiques auraient été évités et les pilules des générations 3 et 4, placées désormais sous surveillance étroite – voire peut-être retirées demain ? – auraient été interdites de vente. On ne badine pas avec la santé publique et la question centrale ne doit plus être celle de « dérembourser ou pas », mais bien de laisser – ou pas – leur AMM à des produits qui peuvent présenter les risques que l’on connaît, alors même qu’il existe des alternatives à ces derniers. L’agence nationale de « sécurité » du médicament, née de l’affaire Mediator en 2011, aura ici failli grandement à la mission qui a présidé à sa création : celle précisément de renforcer par tous les moyens possibles la sécurité des produits de santé, en s’appuyant notamment sur la pharmacovigilance qui aura connu un déploiement encore trop timide. [singlepic id=649 w=240 h=120 float=left]En d’autres temps, les représentants du pouvoir en place auraient demandé la démission du patron de l’ANSM, le Pr. Dominique Maraninchi.

Il manque une culture de la déclaration

« Rien n’est fait pour faciliter la déclaration des effets indésirables en France », note de son côté le Dr Hubert Méchin, fondateur de la start-up “Drugee” qui propose une solution de pharmacovigilance en ligne, qui se veut l’interface entre les patients, les professionnels de santé et les laboratoires pharmaceutiques, mais qui peut également être utilisée par les autorités sanitaires. « Dix pays en Europe ont déjà un système de déclaration en ligne accessible aux professionnels de santé, mais également parfois aux patients,” ajoute le médecin. Les Bulgares, les Portugais, les Danois et d’autres ont un système de déclaration en ligne, il serait simple de le faire en France. Dans un pays fortement sensibilisé sur la sécurité et le transfert des données personnelles et de santé, l’opportunité de développer des systèmes ultra-sécurisés devrait se faire jour ». Les pays qui ont un système de déclaration électronique sont à ce jour  l’Estonie, le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, le Portugal et la Belgique. Pour autant, la France n’est pas vraiment entrée dans une culture de la déclaration facilitée par les professionnels de santé (médecins, pharmaciens et autres) et les patients eux-mêmes, qui sont au premier plan. Notre système de déclaration apparait compliqué, peu visible et peu lisible. Et pourtant il existe des moyens simples pour le rendre plus efficace” et l’IGAS les a déjà largement évoqué en 2011 (2). Il ne manque désormais qu’une volonté politique pour y parvenir et éviter que l’on ne sombre tous les deux ans dans de nouvelles affaires Mediator. Celle qui vient de surgir autour des contraceptifs oraux pourrait lui donner un nouvel élan.

Jean-Jacques Cristofari

(1) De 17 063 déclarations d’effets indésirables, tous médicaments confondus en 2000, la France est passée à 36 031 déclarations en 2011. Il se vend annuellement plus de 2 milliards de boites de médicaments en France.

(2) En 2011, dans la foulée de l’affaire Mediator, un rapport de l’IGAS  sur « la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament » souligne « la responsabilité de l’Agence chargée du médicament, incompréhensiblement tolérante à l’égard du Mediator et gravement défaillante dans les méthodes et l’organisation de son système de pharmacovigilance ». Il préconise clairement de « favoriser, de simplifier et de centraliser la notification des cas » et de « permettre une notification selon l’ensemble des modalités possibles (internet, fax, téléphone et voie postale). Enfin, l’IGAS souligne que « la réduction des délais entre la notification et la connaissance par l’AFSSAPS [devenue ANSM] d’un effet indésirable grave constitue également un objectif visant à mieux maîtriser la sécurité sanitaire au niveau national ». Un rapport qui vient de retrouver une totale actualité !!

NB : Le 31 janvier, quatre professeurs du CHU de Bordeaux ont lancé une appel dans le monde des Sciences sous le titre : « Pilule : « Arrêtons la surenchère et passons à l’action ». Dans la ligne du rapport de l’IGAS, ils demandent la mise en place d’un outil de détection automatisé des signaux en vue d’un système de surveillance renforcée des médicaments.

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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