Xavier Bertrand, le ministre utile !

novembre 18 00:15 2010 Imprimer l'article

[singlepic id=68 w=320 h=240 float=left]L’ancien patron du parti présidentiel, l’UMP, Xavier Bertrand vient d’être nommé à la tête d’un grand ministère qui rassemble le Travail, l’Emploi et la Santé. Sur le premier volet de son ministère, il aura fort à faire pour diminuer le taux de chômage dans une France qui sort (trop) lentement et difficilement de la crise économique. Sur le second, la Santé, il est épaulé par Nora Berra, (à droite sur la photo) auparavant secrétaire d’Etat chargée des aînés, qui aura la délicate tâche de réconcilier le gouvernement avec les médecins libéraux tout en poursuivant la mise en oeuvre concrète de la nouvelle gouvernance du système de santé mise sur les rails par la loi HPST.

Retour vers le futur. Ministre de la Santé de 2005 à 2007 dans le gouvernement de Dominique de Villepin et ministre du Travail, de la Famille, des Relations sociales et de la Solidarité dans les premier et deuxième gouvernements Fillon de 2007 à 2009, Xavier Bertrand connaît le job, les jobs faut-il dire ! A la Santé, il aura magnifiquement bien assuré le service après-vente – tout comme il a en assuré la pré-commercialisation sous le ministère de Philippe Douste Blazy- de la loi du 13 août 2004 sur la réforme de l’assurance maladie, qui instaure le médecin traitant – qui remplace alors le médecin référent -. Une loi qui ambitionne de dégager 15 milliards d’euros d’économies et de ressources nouvelles pour parvenir à l’équilibre financier de l’assurance-maladie en…2007 ! On sait ce qu’il est advenu de ce bel objectif par la suite. Plus intéressantes sont les mesures additionnelles de cette loi – qui en accompagne une autre relative à la Santé publique, publiée quelques jours auparavant (le 9 août) – et qui concernent la création d’une franchise médicale de 1 euro, pour nous est-il alors expliqué « responsabiliser les malades ». Franchise qui en appellera d’autres les années suivantes.

D’autres dispositions vont instaurer la mise en place d’un dossier médical personnel (DMP), le développement de parcours de soins coordonnés autour d’un médecin traitant et l’amélioration des liens entre hôpitaux et médecine de ville. Toutes choses qui se retrouveront consolidées dans la récente loi HPST, adoptée en juillet 2009. Du DPM, outil qui aura absorbé autant d’argent que d’énergie et qui sera alors nommé « Orwell 2006 », il est alors dit et écrit qu’il sera le levier d’économies chiffrées à quelque 3,5 milliards d’euros, rendues possibles par une coordination des soins visant à mettre un patient vertueux sur les sentiers du parcours de soins bien balisé par le médecin traitant.

En quittant cette semaine son ministère, Roselyne Bachelot aura ainsi permis à son successeur de reprendre contact avec son passé et ainsi de renouer avec un dossier bâclé, mais qu’il avait eu à coeur de promouvoir pour le bien de la santé et l’efficience des deniers publics. « Une nouvelle étape, décisive, commence pour le dossier médical personnel, souligne ainsi Roselyne Bachelot en juillet dernier. Dès le mois de décembre prochain, le DMP sera lancé sur l’ensemble du territoire, et ce déploiement se poursuivra tout au long de l’année 2011″. Ainsi grâce à un DMP relooké et rénové, les patients pourront même disposer d’un accès direct à leur dossier personnel via l’Internet, accès qui sera déployé progressivement en 2011. La boucle sera bouclé et Xavier Bertrant pourra débuter son nouveau mandat ministériel sur de nouvelles bases en reprenant un chantier important là où il l’avait en quelque sorte laissé. Entre temps les coûts de sa mise en place auront explosé (1). Mais l’outil clé de la coordination des soins méritait bien ces investissements initiaux qui n’auront pas été perdus pour tout le monde.

Renouer les liens avec le monde libéral

Le 2ème chantier qui attend Xavier Bertrand concerne la reconquête d’un monde médical libéral, en guerre ouverte depuis des mois, pour ne pas dire années, avec son prédécesseur au ministère de la Santé. Une reconquête qui a également des accents électoraux, car 2012 n’est pas loin et le pouvoir en place sait le prix à payer d’un divorce trop durable avec les praticiens de santé du monde libéral. Le nouveau ministre de la Santé avait en son temps – les années qui ont suivi le départ de Philippe Douste Blazy et la mise en place de la réforme de 2005 – renoué patiemment les fils avec les praticiens. Il a ainsi fait revenir parmi les « libéraux de santé » du CNPS (2) son aile médicale, la CSMF (3), dans le giron d’un processus conventionnel que cette dernière avait boudée huit années durant avec autant de constance que de détermination. Mais si la pomme de discorde s’éloigne de la table, elle laisse cependant derrière elle quelques pépins que les mêmes médecins libéraux de la Confédération, comme de leurs alliés du SML (syndicat des médecins libéraux), ont encore du mal à avaler. Il s’agit de la loi Hôpitaux, patients, santé et territoires (HPST) qui se propose de réorganiser l’offre de soins sur les territoires de santé nouvellement découpés par les Agences régionales de santé créées par la loi, et de rendre opposables aux médecins les futurs schémas régionaux d’organisation sanitaire ambulatoire. Une affaire qui risque de faire grand bruit, ce d’autant que les mêmes syndicats (CSMF et SML) tiennent désormais, à peu d’exceptions près, le haut du pavé, c’est à dire le pouvoir, dans les Unions régionales des professions de santé (URPS). A cette pierre d’achoppement s’en ajoute une autre, qui concerne cette fois le contrat conventionnel entre syndicats de médecins et assurance-maladie, objet pour l’heure d’un réglement arbitral minimal qui a laissé en rase campagne un « secteur optionnel » qui se proposait de réguler les dépassements d’honoraires, qui coûtent bon an mal quelque 2,5 milliards d’euros en restes à charge aux assurés sociaux. Un dossier que le directeur de l’UNCAM, Philippe van Roeckeghem, se propose cette semaine de remettre sur la table des négociations avec les médecins, dès que ces dernières seront ouvertes, c’est à dire en janvier prochain. « On n’épiloguera pas sur le départ de Roselyne Bachelot du Ministère de la Santé, fait-on savoir à la CSMF à l’issue du remaniement mionistériel. Elle laissera le nom à une loi que nous avons combattue et qui n’a pas encore donnée tous ses effets néfastes. Le nouveau Ministre de la Santé va devoir donner rapidement des signes de bonne volonté aux médecins libéraux. Il fut le dernier à apporter une revalorisation avant de se plier au discours dominant de la réalité économique. La médecine générale libérale attend depuis longtemps. Elle demande confiance et franchise. Et surtout un respect à la hauteur du travail quotidien de chacun de ses membres. Les premiers signes pourront venir de la capacité du nouveau ministre à faire disparaître du paysage toutes les mesures vexatoires de la loi de celle qui l’a précédée ». On ne peut être plus clair !

Réguler la répartition des médecins

Plus largement, le nouveau ministre de la Santé et sa secrétaire d’Etat, Nora Berra – qui, à peine installée, a maille à partir avec son curriculum vitae (4)- auront fort à faire pour résoudre l’épineuse question des déserts médicaux et des difficultés d’accès à un médecin traitant, généraliste en tête, qu’éprouve et que va éprouver un nombre croissant de Français. Sans tarder, le Collectif Inter associatif sur la Santé (CISS), présidé par Christian Saout, a porté le dossier sur la place publique en avançant que si « ni les aides financières ni les contraintes réglementaires n’offrent d’issues », il fallait en passer par « la recherche d’une autre voie pour réguler naturellement la répartition des médecins sur le territoire », notamment par celle du « développement de la primauté de la rémunération au forfait ». Soit en d’autres termes, de la mise en place d’une rémunération à la capitation à la française, par laquelle « on incitera les médecins à choisir de s’installer en fonction des populations puisque c’est la patientèle qui va garantir le socle de la rémunération et non plus le nombre d’actes. » Autant dire que la proposition, si elle devait retenir l’attention du nouveau ministre, ouvrirait la voie à de belles batailles avec le monde libéral qui n’aspire plus qu’à une chose : celle de voir ses activités à l’acte être enfin revalorisées ! La chose est par avance acquise pour la consultation du généraliste qui gagnera un euro de plus en janvier (à 23 euros), pour un coût global de 350 millions d’euros pour l’assurance-maladie. Il n’est pas sûr, faute de recettes, que les autres actes techniques de spécialités puissent profiter des mêmes largesses.

Jean-Jacques Cristofari

(1) l’IGAS dans son rapport de décembre 2007, écrivait « la mission considère que le coût global de 1,1 milliard d’euros sur cinq ans estimé par le GIP-DMP est de trois à dix fois moindre que celui des chantiers similaires à l’étranger ». L’attribution définitive du marché de l’hébergement du futur dossier médical personnel (DMP) a été confirmée par l’agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip santé). Lors du lancement de l’appel d’offre, en octobre 2009, la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, a évoqué « un budget de l’ordre de 90 millions d’euros » pour la montée en puissance du DMP courant 2010.

(2) Centre national des professions de santé, qui a aussitôt fait savoir que « les libéraux de santé attendent un changement de cap profond qui passe par la réparation des mesures injustement pénalisantes, et le retour d’une logique de construction basée sur le dialogue et le respect. » « L’attente des libéraux de santé est forte et ne doit pas être, à nouveau, déçue. Des actes concrets sont plus que jamais attendus. C’est essentiel pour espérer rétablir la confiance », rappelle le CNPS cette semaine sur son site Internet.

(3) Confédération des syndicats médicaux français, présidée par le Dr Michel Chassang (également président du CNPS) qui a également fait savoir que son syndicat « attend des actes concrets et une reprise du dialogue indispensables pour rendre la confiance, aujourd’hui perdue, aux médecins libéraux. »

(4) Nora Berra a travaillé entre 1999 et 2001 pour Boehringer Ingelheim, de 2001 à 2006 pour Bristol-Myers Squibb (BMS) et de 2006 à 2009 chez Sanofi Pasteur. L’entourage de la secrétaire d’Etat a dû dès son arrivée repousser des accusations de conflit d’intérêts, venues du Parti communiste et de l’association de lutte contre le sida Act Up. Le député socialiste et toulousain Gérard Bapt a appelé le 18 novembre à la démission de la secrétaire d’Etat à la Santé en raison de ses propos sur l’affaire du Mediator et de ses liens avec les laboratoires pharmaceutiques. « Je ne pense pas qu’un brevet d’incompétence sur les sujets dont on a la charge soit la meilleure garantie pour répondre aux attentes des Français, qui plus est sur un sujet d’une telle importance », lui a répondu Nora Berra.

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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