L’IGAS a rendu au gouvernement son rapport sur la mise en oeuvre du tiers-payant généralisable et non obligatoire. L’inspection formule sept recommandations autour d’un calendrier prévisionnel de mise à disposition des outils (cf. encadré). Un comité de pilotage du tiers-payant, prévu par la loi, et présidé par la directrice de la sécurité sociale, a repris ses travaux le 18 janvier 2018.
La concertation avec les professionnels de santé, les représentants des usagers, les assurances maladie obligatoire et complémentaires et les éditeurs de logiciel, menée en vue de poser les bases d’un tiers-payant généralisable à tous les assurés, et conduite par la direction de la Sécurité sociale entre janvier et mars 2018, a produit ses conclusions. « Les professionnels de santé doivent pouvoir disposer des outils permettant, au choix du professionnel pour tout ou partie de sa patientèle, de pratiquer un tiers-payant intégral, (tant sur la part des dépenses prises en charge par le régime obligatoire que sur celles prises en charge par les complémentaires), de façon rapide, fiable et sécurisée », note le rapport que l’IGAS (1) a rendu public en mars dernier.Ce dernier confirme la volonté gouvernementale exprimée en octobre 2017, de rendre le tiers payant « généralisable sans être obligatoire avec une mise en oeuvre progressive sur la part obligatoire et complémentaire grâce à des outils simples et fiables d’utilisation, en commençant par les patients qui en ont le plus besoin, en sus de ceux qui en bénéficient déjà. » (2)
« La situation du mécanisme de tiers-payant, qui permet la dispense d’avance de frais pour l’assurance-maladie obligatoire (AMO) et complémentaire, est paradoxale, souligne l’IGAS. Reconnu comme facilitant l’accès aux soins, le tiers-payant est pleinement intégré dans la pratique de nombreux professionnels, mais de façon très différenciée entre pharmaciens, biologistes et auxiliaires médicaux d’une part, médecins et chirurgiens-dentistes d’autre part. » L’inspection confirme ainsi que si le tiers-payant est une pratique répandue dans les rangs des pharmaciens (99% des actes), il est loin de faire la règle du côté des actes médicaux, dont seulement 28% sont pratiqués en TP, hors cas d’obligation légale. En incluant ces derniers, le taux passe en 2017 à 85%. Si la montée en charge de la pratique se poursuit, encore faudra-t-il diminuer les taux de rejets et se rapprocher d’ici la fin 2020 de 100 % de tiers payant, souligne le rapport. De 2014 à 2017, la pratique du tiers-payant, obligatoire et volontaire, est passée pour l’ensemble des actes médicaux, médecins généralistes et spécialistes confondus, radiologues inclus, de 33 % des actes à 47 % des actes.
L’obligation légale de tiers-payant concerne à ce jour 5 cas (accidents du travail-maladies professionnelles, CMU complémentaire, aide à la complémentaire santé (ACS), soins en rapport avec une affection de longue durée (ALD), et maternité). Ensemble, ils représentent, en 2017, le tiers des actes, avec un taux de tiers-payant qui atteint 85 %, et qui continue de progresser vers la cible de 100 %. Mais le reste de la pratique médicale n’atteint que 28 % de tiers-payant. Pour faire sauter ce verrou, il faut rendre le tiers payant « aussi simple et fiable que possible », note l’Inspection. Il devra n’entraîner aucune charge administrative, de temps ou de procédure supplémentaire, mais surtout supprimer ou réduire fortement les charges, rejets et procédures actuels, non négligeables dans le contexte actuel. Soit autant de contraintes que les syndicats médicaux dénoncent depuis des années.
Si le tiers payant fonctionne désormais correctement sur la part obligatoire, l’organisation de ce dernier pour la part complémentaire demeure encore complexe et reste dans l’attente de nouveaux outils, que l’association Inter-AMC[1], qui regroupe les trois catégories d’assureurs complémentaires (mutuelles, sociétés privées et sociétés de prévoyance), doit encore mettre à disposition des professionnels. « La chaîne de valeur du tiers-payant apparaît en effet excessivement complexe, compte tenu de la multiplicité des professionnels de santé et des assureurs maladie, obligatoires, et surtout complémentaires, et des intermédiaires, éditeurs ou prestataires rémunérés s’intercalant entre eux (concentrateurs techniques, éditeurs, organismes de paiement pour le professionnel, organismes de tiers-payant, courtiers et délégataires de gestion pour les AMC) « , précise l’IGAS, qui passe en revue les bases proposées par les AMC et leurs lacunes.
Convaincre les professionnels
Désormais un calendrier prévisionnel de déploiement des outils destinés à faciliter la pratique du tiers-payant intégral, pour l’ensemble des patients et pour les professionnels de santé qui le souhaiteraient, est arrêté. A cet effet, les outils développés par l’assurance maladie obligatoire sont déjà disponibles. Ils concernent la télétransmission des feuilles de soins, la vérification des droits en ligne ou encore les logiciels permettant de faciliter l’information sur la facturation et le virement bancaire. Et ceux développés par les assurances maladie complémentaires sous l’égide de l’association inter-AMC se déploieront cette année et en 2019. Médecins, auxiliaires médicaux, centres de santé et sages-femmes disposent des cahiers des charges du nouveau téléservice de droits complémentaires (IDB-CLC) et les adaptations aux autres professions restent à définir. « La mission propose d’intégrer les nouveaux téléservices ADRi et IDB-CLC au cahier des charges Sesam-Vitale et au label ASIP pour les maisons et centres de santé en 2018, afin d’accélérer la dynamique d’équipement des professionnels de santé », ajoutent les rapporteurs, qui précisent les solutions qui restent à construire selon un calendrier précis. Encore faudra-t-il au préalable que le professionnel de santé signe un contrat unique, disponible sur le portail de l’inter-AMC, et qui est commun à toutes les complémentaires santé, afin de d’utiliser de ces nouveaux outils. La signature de ce contrat déclenchera la garantie de paiement associée à un engagement de délai de remboursement. pour l’heure, les syndicats de médecins libéraux, CSMF en tête, ne semblent guère enclins à signer ce contrat.
Ce déploiement nécessitera également de remplir des conditions techniques. Ainsi, les assurances maladie complémentaires devront respecter la garantie de paiement annoncée et la qualité de service sur les réponses aux rejets. Toutes choses nécessaires au bon fonctionnement du système et à sa diffusion auprès des professionnels de santé. De même, les solutions logicielles proposées devront l’être à un coût modéré, tout en sachant que les professionnels de santé resteront libres du choix de leurs outils.
Pour la montée en charge de cette généralisation du tiers-payant, 2018 sera l’année des développements, tests et agréments des premiers éditeurs. Le rapport de l’IGAS indique qu’il faudra au moins deux ans pour convaincre les médecins et les autres professionnels de santé de la fiabilité des outils proposés. « Un très important travail préalable de pédagogie, de conviction et de démonstration reste à faire pour convaincre les professionnels de santé de développer leur pratique de tiers-payant dans une approche pragmatique », ajoute dans ce registre l’IGAS. L’ensemble de la démarche nécessitera « un pilotage et une gouvernance renforcée, des engagements des acteurs aux différents niveaux et une communication pédagogique auprès des professionnels et des assurés ».
La mission propose ainsi de pérenniser le comité de pilotage du tiers-payant et de structurer un tableau de bord partagé permettant de suivre la montée en charge. Elle recommande également de poursuivre en 2018 les groupes de travail profession par profession permettant une remontée des besoins et au-delà d’engager sur le long terme une rénovation des bases conventionnelles.
Dès la publication du rapport de l’IGAS, la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) a fait savoir que « le tiers payant doit rester « généralisable », donc possible mais non obligatoire ». La centrale confirme son attachement à un tiers payant avec l’AMO laissé à la discrétion du médecin. Elle maintient sa préférence pour une « possibilité de dispense d’avance de frais pour tout patient, sous la forme d’un paiement monétique à débit différé santé. » Enfin, elle demeure réservée sur la fiabilité des outils qui seront déployés fin 2019 pour le tiers-payant complémentaire, ainsi que sur leur coût. « MG France n’exprime pas d’opposition de principe au tiers-payant mais ne souhaite pas discuter de tiers-payant avec part complémentaire tant que les rejets des régimes obligatoires ne sont pas substantiellement réduits de leur niveau actuel d‘environ 1 % », précise l’IGAS dans son rapport.
Reste désormais à savoir si cette ligne d’opposition, constante depuis trois années, pourra résister à l’avenir aux avancées techniques que le comité de pilotage du tiers-payant entend déployer avec le soutien de l’Inter-AMC et des éditeurs de logiciels. France Assos Santé, ex-CISS, qui fédère l’ensemble des associations agréées de représentants des usagers, reste de son côté favorable à une obligation de tiers-payant. A noter également que la fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) qui rassemble un millier de MSP à ce jour, est également pour une pratique de tiers-payant généralisable et intégral pour l’ensemble de leur patientèle.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Rapport sur la mise en oeuvre du tiers-payant généralisable[2] », par Jean Debeaupuis et Clémence Marty-Chastan, Inspection générale des affaires sociales, mars 2018
(2) Selon la Ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, devant l’Assemblée Nationale, le 27 octobre 2017.