Tiers payant généralisé : trois ans pour construire un outil pérenne et utile aux patients

Tiers payant généralisé : trois ans pour construire un outil pérenne et utile aux patients
février 26 10:26 2014 Imprimer l'article

[singlepic id=889 w=280 h=200 float=left]La ministre de la Santé a nommé un « Monsieur tiers payant » en la personne de Hubert Garrigue-Guyonnaud. Ce dernier sera chargé de procéder à la généralisation de la dispense d’avance de frais en médecine de ville d’ici 2017. Une loi sera présentée avant la fin du 1er semestre. A la veille de la concertation qui va commencer sur le sujet, les médecins libéraux ont fait savoir qu’il ne voulaient pas du tiers payant en l’état, sauf à le rendre techniquement rendre simple et garanti. L’IGAS, qui a rendu son rapport, décrit une situation à la fois « illisible et inéquitable ».

Annoncée lors de la présentation de sa Stratégie nationale de santé (SNS) par Marissol Touraine, la généralisation du tiers payant a fait l’objet en 2013 d’un rapport de l’IGAS (1), rendu public récemment, et qui rappelle que « depuis 40 ans, ce principe a été aménagé pour les actes les plus coûteux puis pour les ménages les plus modestes ». 35 % des actes de médecine de ville sont ainsi réglés en tiers payant et l’IGAS souligne en la matière que la situation actuelle est à la fois « illisible et inéquitable », « sans doctrine d’emploi en lien avec la politique de santé et sans cohérence d’ensemble ». D’emblée le ton est donné et l’IGAS considère que la réforme est justifiée sur le fond. L’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas y ont recours et sa généralisation à la médecine de ville en France aurait un double avantage : celui de « simplifier considérablement les formalités de l’ensemble des assurés » et cet autre de permettre un « meilleur accès aux soins pour les ménages pour lesquels l’avance de frais demeure un problème ». Le calendrier arrêté par la ministre prévoit un accès aux tiers payants pour tous les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS) avant la fin de l’année 2014 et une généralisation pour tous d’ici 2017.

Trois grands principes

Si la réforme est de l’avis de l’inspection générale « techniquement possible », encore faudra-t-il qu’elle réponde à trois grands principes : absence de risque de trésorerie, c’est-à-dire de délais de paiements excessifs ; absence de risque de perte financière en cas d’absence de droits du patient pour les actes dispensés ; enfin, absence de risque de charge administrative supplémentaire. Toutes choses qui doivent, de l’avis de l’IGAS, être maîtrisées par l’assurance obligatoire comme par les assurances complémentaires. Pour l’heure, le ministère de la Santé fait valoir que « la généralisation du tiers payant, recommandée par l’organisation mondiale de la santé (OMS), permettra une simplification considérable des formalités pour l’ensemble des assurés ainsi que pour les médecins. Elle contribuera également à un meilleur accès aux soins, en particulier pour les ménages pour lesquels l’avance de frais constitue un frein. »

Carte bleue contre tiers payant

« Les travaux pilotés par Hubert Garrigue-Guyonnaud, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, devront faire émerger dans les mois qui viennent les options stratégiques et techniques qui permettront de mettre en place un système simple et sécurisé, tant pour les médecins que pour les patients », précise encore le ministère de la Santé, tout en reconnaissant « l’ampleur du travail technique » qui devra être mené pour faire aboutir la réforme.
[singlepic id=891 w=260 h=180 float=left]Reste que dans les rangs des médecins libéraux, l’adhésion à ce projet est loin d’être la règle. Un sondage IFOP réalisé en janvier pour « le Quotidien du Médecin » rapporte que 69 % des praticiens estiment qu’il s’agit « plutôt d’une mauvaise chose ». La première centrale médicale dirigée par Michel Chassang (photo), la CSMF, s’oppose de son côté « à la généralisation d’une usine à gaz qui se fera aux dépens des médecins, car elle est techniquement impraticable » et lui préfère son « projet monétique à débit différé », présenté en novembre dernier. « Cette mesure simple, permet au patient de payer le médecin et de n’être débité de son compte que dès lors qu’il a été remboursé par l’assurance maladie et par sa complémentaire. Elle pourrait être opérationnelle rapidement et sans coût supplémentaire pour la collectivité publique », note la Confédération. L’UMESPE, branche des spécialistes de la CSMF, dans les rangs desquels se pratique de longue date le tiers-payant (cf.tableau ci-dessous), estime qu’une dispense intégrale d’avance de frais entraînera des « contraintes administratives chronophages et des pertes financières ».

Divergences et convergences

« La confiance n’est pas au rendez-vous pour que les médecins libéraux s’engagent dans un tiers payant généralisé », martèle de son côté le président de la FMF, Jean-Paul Hamon qui confie que les médecins savent conserver le temps qu’il faut sous leur parapheur les chèques des familles en difficulté. La sacro-sainte règle du paiement direct à l’acte ne saurait ici souffrir d’exemption. Du côté de la branche généraliste de la CSMF, l’UNOF, présidée par Luc Duquesnel, dit « non au tiers payant obligatoire » et fait savoir que  » le médecin doit avoir la liberté d’appliquer ce tiers-payant quand cela est nécessaire pour favoriser l’accès aux soins » et que le même médecin « doit avoir l’assurance d’être réglé de l’intégralité du montant de ses actes, sans délai, sans aucune formalité administrative, ni coût supplémentaire. »

Une position qui n’est pas très éloignée de celle du syndicat des généralistes, MG France, qui se dit favorable au principe d’un tiers payant généralisé – et non obligatoire – en médecine générale, mais fait savoir qu’il s’opposera « à tout dispositif qui ne serait pas simple, complet et garanti ». [singlepic id=890 w=260 h=180 float=right]« Les médecins généralistes ont besoin d’un dispositif simple, en un seul flux, complet, sur les deux parts (régime obligatoire et régime complémentaire) sans autre démarche de la part du professionnel et, enfin, garanti sans vérification des droits en ligne », explique Claude Leicher (photo), président du syndicat des généralistes. Reste désormais au chef de projet nommé par la ministre de fixer l’ensemble des paramètres techniques de la réforme, soit selon l’IGAS, « un niveau « industriel » de déploiement du projet à l’échelle des 110 000 médecins libéraux et des quelque 500 millions de feuilles de soins émises annuellement. »

« Pour parvenir à l’objectif de généralisation du tiers payant, la ministre des affaires sociales et de la santé vient d’installer un comité d’orientation qui doit permettre « de construire la feuille de route opérationnelle, dans un calendrier exigeant, en accord avec les principaux acteurs du dossier » « , commente de son côté le Collectif Interassociatif pour la santé (CISS), qui se dit « gagné par l’émotion ». Car le comité dont font partie le ministère de la Santé, l’Asip, les caisses d’assurance-maladie obligatoire, les organismes d’assurance complémentaire, l’Union nationale des professions de santé (UNPS) et l’ensemble des syndicats représentatifs des médecins, ne compte étrangement aucun représentant des usagers ! « Pourtant la généralisation du tiers payant est une décision au nom de l’intérêt général, qui n’appelle donc pas de négociation en raison d’intérêts particuliers », ajoute le CISS. La vraie concertation peut commencer. 

Jean-Jacques Cristofari 

(1) « Rapport sur le tiers payant pour les consultations de médecine de ville », établi par Etienne Marie et Juliette Roger, IGAS, juillet 2013

Le tiers payant tel qu’il est pratiqué par spécialité médicale

Selon la CNAMTS, (Erasme national tous régimes, juillet à septembre 2012), au plan national, 45,3 % des médecins généralistes (hors Mode d’Exercice Particulier) et 55,4 % des spécialistes pratiquent le tiers-payant en ALD (hors Couverture maladie universelle complémentaire ou CMUC).
Sur la même  période, en nombre de décomptes (hors ménages modestes et ALD), le taux de tiers payant pratiqué par les généralistes au plan national est de 13,6 %. Il est de 30,3 % pour les spécialistes.

 

 

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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