Sécu : les complémentaires santé sur la sellette

Sécu : les complémentaires santé sur la sellette
octobre 18 23:57 2011 Imprimer l'article

[singlepic id=313 w=160 h=120 float=left]Les assureurs du régime complémentaire, mutuelles ou sociétés d’assurance, sont depuis quelques mois dans l’oeil du cyclone. En jeu, leur intervention dans le champ des dépenses non couvertes par le régime obligatoire, qui voudrait bien se débarrasser des « petits risques » et qui peine à mettre un peu d’ordre dans les dépassements d’honoraires qui se chiffrent à plus de 2 milliards d’euros. Quelles relations les industriels du médicament peuvent-ils entretenir avec un univers qui paye une part croissante de la note pharmaceutique des Français sans avoir aucun pouvoir sur les prix des produits remboursés ? L’Union des Annonceurs (UDA) a récemment tenté d’apporter un première réponse à une question.

Les remboursements de frais pour prothèses dentaires sont surtout de leur ressort. Les dépenses d’optique, lunettes ou lentilles de contact, également. Le régime obligatoire de l’assurance-maladie ne rembourse les premières qu’à hauteur de 10 % et les secondes pour 8 %. Pour payer l’ensemble des dépenses de santé de nos concitoyens, soit 215 milliards d’euros, les « complémentaires » – soit les mutuelles de la Mutualité Française, les sociétés d’assurances et les mutuelles d’assurances privées et enfin les instituts de prévoyance – apportent 13 % des recettes nécessaires, les consommateurs contribuant directement de leur poche à hauteur de 11 %, tandis que la Sécu à travers ses trois branches – régime général, MSA et indépendants – couvre la plus forte part, avec 76 %. Ces différents financeurs se partagent inégalement les dépenses : la sécurité sociale en couvre l’essentiel dans le secteur hospitalier (voire graphique ci-dessous), les assureurs complémentaires étant majoritairement présents dans la prise en charge des prothèses dentaires et doivent couvrir une part non négligeable des soins dentaires, de l’optique, des consultations médicales et enfin des médicaments.

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« Les trois types de sociétés qui forment la famille des complémentaires ont une histoire, des logiques et des sensibilités différentes », explique Claire Bodin, experte en assurance Santé et Prévoyance au sein de la société VA Conseil lors d’un atelier organisé à Paris par l’Union des Annonceurs (UDA), en partenariat avec FB-Ingénierie & Communication, sur « les relations entre laboratoires pharma et mutuelles. des partenariats inexplorés ». A la Mutualité, qui a son histoire, vit une proximité certaine avec le régime de base et s’inscrit dans une tradition de solidarité, l’experte oppose ainsi les sociétés et mutuelles d’assurance, qui assoient leur développement sur « la volonté d’innover, le savoir-faire de généralistes, la complémentarité de gamme et l’image financière ». Reste que tout ce petit monde a quelques difficultés à fonctionner de concert dans leur maison commune, l’UNOCAM ou Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, créée en 2005 sous forme d’une association 1901 (1) au sein de laquelle la toute puissante FNMF règne en maître. Le récent refus de l’UNOCAM d’accepter le secteur optionnel, pourtant inscrit dans la convention médicale signée en juillet dernier, au motif que les complémentaires ne sauraient accepter une nouvelle augmentation de taxe sur leur contrats (7 % au lieu de 3,5 % actuellement pour un rendement attendu de la mesure de 1,1 milliard en année pleine, ce qui entraînera une hausse moyenne des cotisations aux mutuelles de 4,2 %), illustre les difficultés de positionnement de leur maison commune. « La part des assurances privées en France est une des plus élevées d’Europe, poursuit Claire Bodin. Mais elles n’interviennent qu’en complément, car c’est bien le régime de base qui fixe les règles, reçoit les informations, effectue les contrôles ». Aussi faute de pouvoir assurer le pilotage complet des dépenses sur lesquelles elles interviennent de manière conséquente (optique, dentaire, audio-prothèses) ou de devenir le pilote dominant sur d’autres risques (médecine spécialisée ou médicaments remboursés à 35 %), les acteurs du régime complémentaire, explique encore Claire Bodin, ont élargi leurs offres en direction des assurés sociaux : vers le haut, par des services, des innovations, le remboursement du non-remboursable, comme vers le bas, par des contrats low cost (franchises, suppression des produits à 35%, suppression des forfaits chambre particulière). De nouvelles formules se sont ainsi développées, assises sur des plateformes d’information, une gestion du tiers payant ou du managed care, dans un univers qui sait qu’il lui faudra sans cesse innover pour pouvoir justifier d’une exception bien française. Une exception qui a, par ailleurs, son talon d’Achille, résumé par le député Yves Bur dans les Echos : « Le problème [des complémentaires santé] réside surtout dans les frais de gestion : ils représentent 18 % des cotisations pour les institutions de prévoyance, 21 % pour les mutuelles, 28 % pour les assurances. »

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Le médicament, un poste stratégique[singlepic id=312 w=150 h=180 float=right]

« De manière générale, le marché des assurances volontaires est plus important dans les pays avec un système de protection sociale fondé sur l’assurance maladie obligatoire », explique de son côté Franck Droin (photo), conseil santé et président de Kadris. Aux yeux de ce spécialiste des systèmes de santé comparés qui parcourt volontiers le monde pour mieux les comprendre, « la taille du panier de soins public est un critère important pour le développement du secteur privé. Il peut être un axe de développement potentiel pour les assurances maladie volontaires ». Les médicaments, poste de dépenses soumis à des pressions croissantes dans tous les pays développés, pèsent à cet égard un poids de plus en plus important dans les remboursements des assurances maladie volontaires : « D’une part, l’augmentation de la consommation des ménages en médicaments en fait un poste à surveiller, note encore l’expert. De l’autre, la structure du marché des médicaments, les politiques publiques de (dé)remboursement et l’évolution de leur poids dans les prestations des assurances maladie volontaires en font un poste stratégique pour la croissance de ces assurances ». Les 1000 acteurs que compte au total l’Hexagone dans le domaine des complémentaires savent à quel point ce poste pèse sur leur compte d’exploitation (le médicament représente 27,7 % de l’ensemble des dépenses prises en charges par les complémentaires). « Le circuit administratif de mise sur le marché, comme la détermination du taux de remboursement et la fixation du prix des médicaments sont inadaptés », plaide à cet égard la Mutualité Française, pour qui « la diffusion de génériques notamment gagnerait en efficacité en impliquant de nouveaux acteurs, pharmaciens et financeurs complémentaires. » (2)

Laboratoires/mutuelles : un maigre bilan d’actions communes

Quelles modalités de collaborations seraient envisageables entre l’univers des complémentaires, co-financeurs et assureurs des dépenses de santé des Français, et celui des industries du médicaments ? « Plusieurs axes peuvent être envisagés », note Franck Droin, dont des actions au sein des entreprises (santé au travail, prévention), des actions d’accompagnement et de prévention pour les particuliers, la prise en charge d’un produit ou encore la réalisation d’accords prix/volume. Sur ce dernier point les obstacles juridiques et réglementaires actuels ne devraient guère offrir de possibilités aux deux parties prenantes. Reste que le bilan d’un possible partenariat est encore assez maigre à ce jour, compte tenu du poids des contraintes réglementaires et sans doute aussi des habitudes, les acteurs concernés se connaissant relativement mal ou peu. « L’intermédiation sera certainement le principal levier qui fera évoluer cette situation », conclut le conseil santé. Elle pourrait s’appuyer sur l’action des acheteurs de soins, des acteurs de la distribution voire de nouveaux intervenants dans le secteur de la santé, qui feront de l’info médiation entre assureurs et assurés. »

[singlepic id=314 w=160 h=120 float=left] »Il y a une méconnaissance réciproque de ces deux acteurs de leurs métiers, de leurs univers, de leurs relations avec leurs adhérents ou clients, de leurs modèles économiques, pratiques marketing-communication ou encore de leurs politiques de services… », note par ailleurs Florence Bernard (photo), présidente de FB Ingénierie et communication et experte du management de l’innovation et de la complexité.  » Dans l’approche one-to-one, les divergences d’intérêt entre les deux univers sont exacerbées. Pourtant, des besoins complémentaires existent par ailleurs (tiers de confiance, connaissance des professionnels de santé, approche « adhérents-patients…). Une approche plus globale est nécessaire dans le cadre d’un modèle coopératif et serviciel où les technologies de l’information et de la communication pourraient avoir un rôle essentiel dans la chaine de création de valeur », plaide l’analyste pour qui des pistes transversales de projets concrets existent en vue de cristalliser des partenariats coopératifs. Au nombre de ces dernières, elle cite volontiers l’exemple des Groupe de management Santé, tel Carte Blanche, le développement de politiques de services aux patients, l’accompagnement de ces derniers comme des professionnels de santé aux changements qui s’opèrent dans la sphère de la santé, notamment sur le terrain de la e-santé ou de la télésanté. Pour l’heure, de part et d’autre, dans les rangs des laboratoires et des complémentaires santé, on s’observe cependant, ne sachant réellement par quel bout commencer, conscient que le « client » final, l’usager de santé, est bien le même et qu’il y aura, à l’avenir certainement des partenariats à explorer.

Jean-Jacques Cristofari

(1) L’UNOCAM rassemble la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF), la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), le Centre Technique des Institutions de Prévoyance (CTIP), le Régime local d’Alsace-Moselle, le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance (GEMA) et la Fédération Nationale Indépendante des Mutuelles (FNIM). Ces six organisations représentent la totalité des OCAM, dans toute leur diversité.

(2)  » Les constats, le diagnostic sur notre système de santé », Orientations de la Mutualité Française, octobre 2011.

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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