by Jean Jacques Cristofari | 13 janvier 2019 17 h 17 min
Pas question d’augmenter les tarifs des assurances maladie complémentaires. Tel est le message que la ministre de la Santé a adressé aux organismes complémentaires dès l’ouverture des débats parlementaires sur le PLFSS pour 2019 et qu’elle a renouvelé fin 2018. Pour autant, les hypothèses de futurs surcoûts pour les assurés sont sur la table. La Cour des Comptes qui analyse, dans son dernier rapport, l’accès aux soins visuels par les assurés sociaux, préconise d’améliorer l’accessibilité financière à ces soins en généralisant le tiers payant pour les professionnels de la filière.
La mise en place de la réforme du « 100 % Santé » qui donnera lieu à la création d’offres en reste à charge zéro dans les domaines de l’optique, du dentaire et de l’audiologie, aura un impact financier certain. Par avance, le ministère de la Santé a estimé son impact à un milliard d’euros, partagé au trois quarts par l’Assurance-maladie, le quart restant incombant aux mutuelles et assurances privées.
Diverses études sur le sujet ont déjà souligné que la réforme entraînera immanquablement une hausse des primes. Celle publiée en octobre dernier par Santiane (1) avance que « du fait de la réforme, les niveaux de remboursement pris en charge par les complémentaires santé vont augmenter. » L’étude, menée conjointement avec des partenaires assureurs, avance même un chiffre : « d’ici à 2021, les remboursements vont augmenter de l’ordre de 7%, avec une forte disparité en fonction de l’âge des assurés. » Pour les moins de 60 ans, la hausse des prestations sera ainsi de 2,5 %. Elle passe à 9,5 % pour les plus de 60 ans. Impossible dans ce cadre d’absorber ces augmentations, plaide l’assureur. « Mécaniquement, ces coûts seront impactés sur leurs clients. Les assurés verront donc les tarifs de leurs complémentaires augmenter. » Pour un couple de séniors, la note supplémentaire pourrait s’élever à 200 euros par an, tandis que celle d’un coupe jeune sans enfant grimpera de 36 euros par an. Olivier Veran, rapporteur LREM du PLFSS ne partage pas cette analyse. (2)
Un comité de suivi de la réforme
« Le tarif des mutuelles dépend de l’évolution des dépenses qu’elles remboursent, souligne la Mutualité Française. Or, il est encore trop tôt pour mesurer précisément le coût de cette réforme pour les complémentaires santé, car il dépendra du taux de recours aux paniers « RAC zéro ». Aux yeux de la FNMF, les dépenses supplémentaires pour rembourser les prothèses dentaires et auditives pourraient être en partie compensées par une maitrise des coûts en optique.
« Mais il convient de rester prudent : les impacts pourront varier sensiblement en fonction de la spécificité des adhérents et de leur complémentaire ». Elle concède que l’impact sera plus important pour les séniors, couverts par des assurances individuelles et dont les besoins en prothèses auditives et dentaires sont plus importants. Au total, elle estime que la mise à niveau de ces contrats de base pourrait ainsi impliquer une hausse des remboursements, et donc des cotisations, de 4 à 5%, étalée sur trois années.
200 millions par an
Pour les salariés couverts par des contrats collectifs l’impact de la réforme devrait être plus faible. Sans préjuger de la suite, la FNMF précise qu’elle a souhaité la mise en place d’un comité de suivi de la réforme 100 % Santé. Placé sous la responsabilité de la ministre de la Santé, « ce comité doit permettre de piloter la mise en œuvre de la réforme d’ici le 1er janvier 2021, dans l’intérêt des Français. » En attendant ce déploiement, Didier Balsan, expert référent à la direction santé de la Mutualité française (3), estime que le RAC Zéro devrait coûter un peu moins de 200 millions d’euros aux complémentaires, sur la base du calcul suivant : 320 millions d’euros de plus pour le dentaire et + 269 millions pour les aides auditives (avec une augmentation de plus de 38 % des personnes équipées). En contrepartie, les complémentaires devraient faire des économies en optique, par le passage du plafonnement des montures de 150 à 100 euros (- 165 millions d’euros) et une économie de 280 millions d’euros si le recours à l’offre dite du « 100 % santé » était de l’ordre de 20 %. « Les engagements ont été pris : le coût de cette réforme va être absorbé par l’augmentation naturelle des coûts des complémentaires », a fait savoir de son côté Agnès Buzyn à l’Assemblée nationale, soulignant que c’est pour cette raison que cette réforme est mise en oeuvre de manière progressive sur trois ans.
La Cour des comptes en faveur du tiers payant pour les soins visuels
Il est difficile de cerner les dépenses des Français liées aux soins visuels, ni d’apprécier la part prise en charges par les assureurs complémentaires, confie la Cour des Comptes dans son dernier rapport (4). Elle estime le total des dépenses consacrées à ces soins à 9,6 milliards d’euros en 2016, partagés entres soins de ville (8 milliards) et soins hospitaliers (1,01 milliard), auxquels s’ajoutent le prix des molécules onéreuses pour la DMLA (583 millions). Sur la somme globale, la part remboursée par l’Assurance-maladie se monte à 2,9 milliards, soit 30 %, le solde se partageant entre les complémentaires et le reste à charge des assurés sociaux.
Vue du point de vue des financeurs des dépenses pour les soins visuels, la part des complémentaires s’est accrue avec le temps : de 60 % du total des dépenses en 2010, elle est passée à 74 % en 2016. Celle des ménages a diminué sur la période (de 35,4 % à 21,5 %) et celle de la CNAMTS est restée mineure et constante (autour de 4,4 %). Le prix moyen des équipements d’optique a légèrement diminué, de 0,3 % en 2015 et de 0,5 % en 2016, note la Cour des Comptes, qui estime que « la libéralisation progressive du marché de l’optique, le développement des réseaux de soins et l’instauration de plafonds a la prise en charge des dépenses d’optique dans le cadre des contrats responsables pèsent, encore insuffisamment, sur son évolution. »
Recours aux soins compliqué
Dans le registre des dépenses de ville, la Cour souligne que celles liées à l’ophtalmologie et à l’orthoptie ont augmenté en moyenne de + 3,4 % entre 2010 et 2016 pour atteindre 1,8 milliard d’euros, dont 1,7 milliard pour les seuls ophtalmologues. Une forte augmentation due à la croissance des actes, mais aussi aux dépassements d’honoraires laissés à la charge des assurés, dont le taux moyen s’est élevé à 54,3 % en 2017. Ces derniers représentaient 25,6 % des dépenses en 2016. Du côté des dépenses hospitalières, la note s’est élevée pour l’assurance-maladie à un milliard d’euros en 2016, dont 51 % pour les seuls établissements privés à caractère lucratif.
Avec une répartition très inégale sur l’Hexagone et des effectifs en chute, le recours aux soins ophtalmiques est de plus en plus compliqué pour les Français. Les délais d’attente ne cessent d’augmenter (87 jours en moyenne en 2017) et les refus de primo consultation se multiplient, ce qui a entraîné un bond des renoncements aux soins pour les lunettes ou les lentilles.
Une délégation d’actes restreinte
Si la délivrance d’équipements d’optique médicale a augmenté de 48 % entre 2008 et 2014, elle continue cependant à reposer pour l’essentiel sur les ophtalmologues, souligne encore la Cour des Comptes. Certes, des expérimentations ont été menées afin d’étendre le champ de compétences des orthoptistes. Elles ont porté sur des bilans visuels, certains actes comme le dépistage de la rétinopathie diabétique, mais, au cours de la période récente, moins de 1 % des bilans visuels ont été effectues par un orthoptiste. Si ce dernier peut depuis décembre 2016, effectuer des mesures de l’acuité visuelle ou de la réfraction, la mesure d’un bilan visuel est soumise à la présence d’un médecin dans la structure de soins. La loi de modernisation du système de santé de janvier 2016 prévoit la généralisation du « travail aidé » et des délégations d’actes aux orthoptistes, mais elle se heurte à des obstacles juridiques.
Peser sur les coûts
« L’état de la santé visuelle de la population française appelle la mise en oeuvre d’une politique d’ensemble, conclut la rue Cambon, qui conjugue prévention accrue, amélioration de la qualité des prises en charge, maitrise renforcée des couts et amélioration de l’accès aux soins grâce a une redéfinition des périmètres respectifs d’intervention des professionnels de la filière visuelle. »
La mise en place d’offres sans reste à charge devra être proposée aux patients d’ici 2020 et chaque opticien devra proposer 17 modèles différents de monture pour les adultes (10 pour les enfants). Ces offres devront couvrir tous les troubles visuels et des prix limites de vente des lunettes. « L’impact du « reste a charge zéro » sur leurs cotisations et primes [des assurances complémentaires] dépendra de l’évolution globale du volume des ventes et, en son sein, de la portée de la substitution des offres sans reste à charge et à « reste à charge maitrisé » aux offres plus coûteuses qu’elles prennent en charge », souligne la Cour. Celle-ci invite ainsi à « peser plus fortement sur les coûts lies aux consultations ophtalmologiques et aux équipements optiques pris en charge par l’assurance maladie et par les assurances complémentaires. »
Dans son collimateur figure les dépassements d’honoraires des praticiens, qui peuvent depuis août 2016, bénéficier de l’option de « pratique tarifaire avancée » (2), à laquelle seulement 516 ophtalmologues ont souscrit. Sans compter que les pouvoirs publics ont plafonné les prises en charge de dépassements d’honoraires par les assurances complémentaires dans le cadre des contrats responsables.
Les réseaux encadrent les tarifs
Enfin, la Cour analyse d’un œil très favorable le développement des réseaux de soins en optique, qui représentent en 2016 plus du tiers du marché total de l’optique et couvrent 70 % des bénéficiaires d’une complémentaire. « Les réseaux de soins encadrent les tarifs, harmonisent l’offre et facilitent le contrôle de la qualité des produits et des pratiques, ainsi que la lutte contre la fraude », souligne la rue Cambon.
A ses yeux, le futur reste à charge zéro devrait faire chuter les prix des autres offres à prix libres, de 150 euros à 100 euros du plafond de prise en charge, dans le cadre des contrats responsables. Une mesure qui, selon la Cour, « devrait contribuer à modérer l’évolution des tarifs des assurances complémentaires. »
« Améliorer l’accessibilité financière à l’optique médicale et plus largement aux soins visuels impliquerait de généraliser le tiers payant pour les professionnels de la filière visuelle, y compris pour la part relevant des assurances maladie complémentaires, que le magasin d’optique soit ou non affilié à leurs réseaux », conclut la Cour des Comptes.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Reste à charge zéro : le comparateur Santiane.fr alerte sur les hausses de tarifs des complémentaires santé ».
(2) 100 % santé : La réaction d’Olivier Véran[1] à l’étude de Santiane
(3) Analyse avancées lors d’une matinée sur le reste à charge zéro par le Collège des économistes de la santé, le 14 novembre dernier, dans les locaux de la Mutualité française
(4) « Soins visuels : une prise en charge à réorganiser », Chap. VII, Rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, Cour des Comptes, octobre 2018
(2) En contrepartie d’une prime valorisant son activité réalisée a tarif opposable, chaque médecin qui y adhère s’engage sur un taux moyen d’activité à tarif opposable et sur un taux moyen de dépassement qui ne peut excéder 100 %
Source URL: http://pharmanalyses.fr/reste-a-charge-zero-sans-hausse-des-tarifs-des-mutuelles/
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