Réforme du médicament : tout ça pour ça ?

Réforme du médicament : tout ça pour ça ?
janvier 06 18:18 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=347 w=320 h=240 float=left]A la suite du scandale du Médiator fin 2010, le ministre de la santé Xavier Bertrand a annoncé en août 2011 une grande réforme du système d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et de la pharmacovigilance. Elaborée, concertée, discutée, amendée tout au long de l’année écoulée, cette réforme a été votée par le Parlement en décembre pour donner lieu à la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, publiée en fin d’année.

Ce texte repose sur le principe de la transparence. Les médecins-experts travaillant pour l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) – rebaptisée au passage Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) – devront déclarer et actualiser régulièrement tous leurs liens d’intérêts passés et présents avec les laboratoires pharmaceutiques. Des mécanismes de prévention des conflits d’intérêt ainsi qu’une meilleure information des professionnels de santé sont prévus. Faut-il attendre des miracles de cette réforme qui est l’aboutissement d’un processus reposant sur une hypocrisie et sur un mensonge ?

Des labos à la fois généreux et menaçants

L’hypocrisie est d’avoir fait semblant de découvrir, à l’occasion de l’affaire du Médiator, les liens d’intérêt et les conflits inhérents entre les experts et les laboratoires pharmaceutiques ainsi que l’influence politico-financière de ces mêmes laboratoires, alors que ces deux éléments sont des marqueurs du système. En effet, tout médecin chercheur est obligé de se tourner vers les entreprises pharmaceutiques pour développer des travaux de recherche que l’université et l’hôpital ne peuvent pas financer. Les laboratoires répondent à ces demandes et soutiennent les médecins, soit directement à travers des conventions, soit indirectement par des subventions ou par le financement de congrès scientifiques auxquels les « experts » sont invités par les mêmes labos. Grâce à ce système d’intérêts bien compris, certains médecins deviennent des références dans leur spécialité et des experts (des « key opinion leaders« ) pour évaluer les médicaments auprès de l’AFSSAPS… La boucle est ainsi bouclée.

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Les laboratoires savent se montrer à la fois généreux et menaçants avec les politiques de tout bord. Généreux au moment des élections. Menaçants si un de leur médicament court le risque d’être retiré du marché. Dans le genre, le groupe Servier dirigé par le Dr Jacques Servier (photo), est un cas d’école, recueillant dans ses bureaux et ses centres de recherche tout politique en difficulté, mais n’hésitant pas à brandir le chantage à l’emploi en cas de menace sur un des ses produits. Au plus fort de la crise du Médiator, il n’a pas hésité à rappeler que s’il est installé à Neuilly-sur-Seine, c’est parce que cette charmante banlieue parisienne est à quelques encablures de l’Elysée, de Matignon et de l’Assemblée Nationale.

La réforme Bertrand (1) constitue un progrès mais la transparence sur les liens d’intérêts ne signifie pas la disparition des liens d’intérêts. Un système indépendant d’autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance supposerait que la puissance publique finance elle-même les expertises, les recherches et la surveillance des médicaments au lieu de les faire financer – même indirectement – par les laboratoires pharmaceutiques. L’indépendance des médecins dans leurs recherches serait plus assurée si le financement de leurs travaux relevait aussi de budgets publics. On répliquera qu’en ces temps de restriction budgétaire, cette option est difficile à mettre en œuvre. Certes – encore qu’il y a des choix de santé publique à faire – ! Mais il ne faudra pas s’étonner si, dans quelques années, un autre scandale Médiator éclate.

Plus jamais ça ! Et pourtant

Le mensonge est d’avoir dénoncé le système de pharmacovigilance en l’accusant d’avoir failli à ses missions. En réalité, le système a très bien rempli sa mission. Pas sa mission officielle – celle des textes – mais sa vraie mission, qui est politique.
Il faut se rappeler que les actuels mécanismes d’autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance ont été mis en place après le scandale du sang contaminé qui a conduit deux anciens ministres de la santé – Edmond Hervé et Georgina Dufoix – et un ancien Premier ministre – Laurent Fabius – devant la Cour de Justice de la République. Certes, seul le premier a été condamné, mais la deuxième a explosé en vol et le troisième a mis des années à tourner la page et encore. Cette affaire a peut être ruiné ses ambitions présidentielles.
A partir de cette affaire, les politiques se sont entendus pour dire « Plus jamais ca !, Plus jamais de politiques condamnés dans une affaire de santé publique ».
A cette époque, tout ce qui concernait les médicaments, les produits de santé et les dispositifs médicaux – autorisation de mise sur le marché, pharmacovigilance, sécurité, etc.. – relevait directement du ministère de la Santé à travers la Direction de la Pharmacie et la Direction générale de la santé. Le Ministre était donc en première ligne.
Pour le dégager de cette responsabilité, l’astuce a consisté à externaliser ces activités et à les confier à des établissements publics ayant le statut d’agences indépendantes et… responsables. C’est ainsi que sont apparues des structures telles que l’Agence du médicament – devenue l’AFSSAPS -, l’Agence française de sécurité alimentaire (qui a été bien utile au moment de la vache folle), l’Institut de veille sanitaire et plus tard la Haute autorité de santé.
A ce dispositif juridique s’est ajoutée l’application stricte du principe de précaution. A la moindre alerte signalée par une de ces agences, le parapluie est ouvert, même si celui-ci est coûteux et inutile, comme l’achat des 94 millions de doses de vaccins contre l’épidémie de grippe H1NI..

Des agences responsables mais pas indépendantes

C’est ainsi que les politiques ne sont plus responsables des accidents de santé publique. En cas de pépin, ce sont les agences qui portent le chapeau. Le problème est que les politiques ont oublié de donner à ces agences les moyens de leur indépendance. Le scandale du Médiator est une parfaite illustration de la réussite de ce transfert de responsabilité. Dans son très sévère rapport sur cette affaire publié début 2011, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) décrit avec une extrême précision les mécanismes par lesquels Servier a pu maintenir sur le marché le Médiator et le faire rembourser au taux maximal par l’Assurance-maladie. Il pointe aussi du doigt les conflits d’intérêts des experts et les dysfonctionnements de l’AFSSAPS.

[singlepic id=352 w=160 h=120 float=left]Mais, à aucun moment, il ne met en cause les ministres de la santé qui se sont succédés avenue de Ségur pendant la période sensible des années 90 à 2009. Il faut d’ailleurs noter que les responsables politiques ne se sont pas attaqués entre eux. Xavier Bertrand s’est abstenu de souligner les responsabilités des ministres de gauche – Kouchner, Aubry, Guigou – qui occupaient son bureau dans les années 90 et ceux-ci n’ont pas davantage mis en avant l’inaction des ministres de droite à partir de 2002, y compris Xavier Bertrand lui-même, (photo) secrétaire d’Etat puis ministre de la Santé de 2004 à 2007, avant qu’il ne revienne endosser les habits du chevalier blanc.

Enfin, aucune des actions en justice en cours sur cette affaire ne concerne un politique. Le système de pharmacovigilance a donc parfaitement rempli sa mission de protection des politiques. Il lui reste à devenir un vrai outil de gestion médico-économique des produits de santé. La réforme du 30 décembre 2011 ne constitue qu’un petit pas en avant dans cette direction.  Tout ça pour ça comme dirait Shakespeare !

Philippe Rollandin

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Ce qu’en a dit le LEEM le 20 décembre 2011 :

« Avec la réforme qui vient d’être votée, la France doit en effet pouvoir disposer de règles sûres, transparentes et efficaces, inscrites dans un dispositif lisible par l’ensemble des acteurs du médicament, qu’ils soient français ou internationaux.
Dans ce contexte de refondation, les Entreprises du Médicament sensibilisent les pouvoirs publics à l’importance de préserver la place éminente de la France en Europe, tant pour la qualité de sa recherche que pour le dynamisme de sa production industrielle. Elles demeurent, plus que jamais, soucieuses d’assurer à l’ensemble des patients un accès le plus large et le plus rapide possible aux médicaments innovants, dans le cadre d’un dialogue rénové, documenté et objectif avec la puissance publique. »

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