by Jean Jacques Cristofari | 27 juin 2013 15 h 56 min
[singlepic id=774 w=300 h=220 float=left]En moins de quatre ans, 25 % des essais cliniques ont quitté l’Union européenne pour être réalisés dans des pays lointains, souvent en Asie. Un récent rapport européen, produit par la Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire du Parlement européen met en avant l’influence de la délocalisation des essais cliniques sur la qualité des données, un facteur qui a pu être souligné à maintes reprises dans le passé récent. Ainsi des médias ont pu montrer que les notions de consentement éclairé et de libre participation à une étude clinique peuvent être mises en doute en Inde. Le président de l’AFCROs, association française des sociétés françaises de recherche clinique – et sous-traitant pour les laboratoires -, dresse son constat de la situation actuelle et son analyse le projet présent par la Commission européenne.
La Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire du Parlement européen (1) vient d’adopter le rapport relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Parmi les mesures prévues, quelles sont celles qui vous paraissent les plus à mêmes de contribuer à restaurer la compétitivité de l’UE ?
[singlepic id=775 w=260 h=180 float=left]Denis Comet, président de l’AFCROs (Photo): Ce rapport compte énormément de points positifs. Après, le diable peut être dans les cloisons et c’est dans sa mise en œuvre effective que l’on verra si l’efficacité est ou non au rendez-vous. Le rapport parlementaire et l’ensemble des textes préliminaires reprennent tous le constat d’une véritable délocalisation de la recherche clinique et soulignent qu’en moins de quatre ans, 25 % des essais cliniques ont quitté l’UE et sont partis vers des pays lointains. Les entreprises françaises de la recherche clinique, regroupées dans l’AFCROs, saluent cette prise conscience des instances européennes qui ont réalisé que le véhicule juridique en lui-même était déjà une source de complexité. Là où on pensait créer un marché unique des essais cliniques, la publication d’une directive a contribué à créer une concurrence à l’intérieur de l’Europe en laissant à chaque Etat-membre le loisir de décider des délais, des méthodologies et du process réglementaire et administratif. Passer à un règlement immédiatement applicable à l’ensemble des 27 pays européens sans nécessiter de transposition dans le droit national devrait être un facteur de simplification et de stimulation de la recherche clinique. Il y a là un souhait de modernisation et d’harmonisation des pratiques en Europe, ce qui devrait permettre de regagner de la compétitivité.
L’europe doit veiller à la qualité des données
[singlepic id=778 w=260 h=180 float=right]L’éthique, la pertinence et la transparence, points sur lesquels la députée Glenis Willmott (Photo) insiste beaucoup, constituent les autres points qui me paraissent très importants. Le rapport met en avant l’influence de la délocalisation des essais sur la qualité des données. Comment être certain que les données produites pour les dossiers européens d’enregistrement ont respecté toutes les recommandations éthiques internationales ? Les medias ont montré[1] récemment que les notions de consentement éclairé et de libre participation à une étude clinique pouvaient être largement mises en doute en Inde. Il n’est pas éthiquement acceptable pour l’Europe de fermer les yeux sur cette situation. Le projet de règlement précise que « ne seront acceptables que des données collectées avec les explications nécessaires et possibles pour les autorités sanitaires européennes ». Avoir la possibilité de vérifier que les mêmes critères éthiques sont appliqués quand les données sont collectées hors de l’Europe me paraît quelque chose d’essentiel. Cela ne posera pas de problème majeur car la majorité des données hors Europe proviennent d’Amérique du Nord, mais en Asie, notamment en Inde et en Chine, et en Amérique du Sud, il n’est pas exclu que ce soit quelque chose d’important.
Par ailleurs, il n’est ni logique, ni éthique que les recherches cliniques ne soient pas pertinentes. Prenons l’exemple d’un médicament destiné à traiter des patients souffrant d’arthrose. Il n’est ni pertinent, ni juste d’aller en faire les essais en Inde chez des patients de 45 ans. A l’AFCROs, nous avons été surpris que l’UE ne se pose pas cette question. Si demain, 95 % des données sont collectées chez des patients hors zone euro, quelqu’un s’est-il simplement posé la question du risque que l’on prend sur le plan scientifique ? Il faut prendre garde de mener les recherches sur des populations qui seront les futures utilisatrices du médicament, sinon on risque d’observer de grands écarts entre le « comportement » du médicament dans les essais d’enregistrement et dans la « vraie vie ». Ce point très important est un facteur possible de relocalisation et le Parlement européen ne va pas aussi loin que ce que nous estimerions « licite ». Il serait justifié que l’UE demande que les études présentées pour l’enregistrement d’un médicament en Europe aient inclus une certaine proportion de patients issus de la population européenne. Ce raisonnement paraît logique, mais il n’est pas appliqué actuellement. Cette logique est même détournée de fait avec des études qui se déplacent vers des pays en forte croissante où les populations sont beaucoup plus jeunes, où les co-morbidités, les co-traitements et les habitudes alimentaires ne sont pas du tout les mêmes. Ne prenons pas le risque de profils de patients trop différents entre l’enregistrement et l’usage.
Les essais observationnels, les grands oubliés
De plus, sur un plan pratique, l’éloignement des sites sur lesquels sont réalisés les essais complique la réalisation des inspections par les autorités sanitaires. Plus les patients seront localisés sur des sites proches, plus il sera facile pour les autorités sanitaires de s’assurer de la qualité de l’essai et d’exercer leur nécessaire droit de regard.
Dans son article 2, le projet de règlement introduit aussi de nouvelles définitions des essais cliniques et mentionne notamment les études non interventionnelles et les essais « faiblement » interventionnels (low-intervention clinial trial). Comment appréhendez-vous ces distinctions ?
Denis Comet : Il y a bien une avancée dans le règlement qui reconnait l’existence de différentes catégories d’essais, mais il subsiste un vrai problème de terminologie. Nous plaidons pour un véritable changement de la terminologie actuelle (études interventionnelles versus non interventionnelles) et nous préfèrerions parler d’études « expérimentales » et d’études « observationnelles ». Ces essais dits observationnels sont les grands oubliés du règlement européen. L’association européenne des entreprises de recherche clinique, l’EUCROF, a pris position et a demandé ce qu’il advenait de ces études qui, de plus en plus souvent, deviennent obligatoires pour vérifier le bon usage du médicament et pour s’assurer que ses résultats concordent avec ceux des études d’enregistrement. Selon le projet de règlement, ces essais étudient le contexte d’utilisation d’un médicament commercialisé. Or ce n’est pas toujours le cas. Une étude observationnelle peut étudier la prise en charge au sens large. Par exemple, dans le cas de l’ostéoporose, les experts considèrent que, sans mesures densitométriques, la population peut être complètement biaisée. Une bonne étude observationnelle va donc nécessiter un examen supplémentaire qui ne figure pas obligatoirement dans les recommandations. Mais, au niveau règlementaire, elle sera perçue comme une étude expérimentale (ou interventionnelle) alors qu’on souhaite rester dans l’observation. Le champ n’est donc pas aussi tranché que ne l’indique aujourd’hui le projet.
Le projet de règlement prévoit de fixer des délais de réponses aux Etats-membres dans lesquels a été déposée une demande d’autorisation d’un essai clinique. Quelles difficultés cette disposition peut-elle poser ?
Denis Comet : A priori, la procédure n’est pas clairement définie. Il semble que l’on s’oriente vers une autorisation unique avec une reconnaissance mutuelle par les autres Etats-membres. Dans le cas d’essais couvrant plusieurs pays européens, cela voudrait dire que l’avis d’une seule autorité compétente serait suffisant mais la manière dont serait traité l’avis du(es) comité(s) éthique(s) reste flou, sera-t-il européen, restera-t-il national ? Le texte évoque aussi un portail et semble souhaiter une plus grande collaboration entre les comités d’éthique au niveau européen afin de faciliter la diffusion des meilleures pratiques. Cela risque de poser un certain nombre de problèmes. La composition des comités d’éthique n’est pas la même dans les différents pays européens et le pouvoir accordé aux patients n’y est pas non plus partout au même niveau. J’espère que le règlement s’orientera plutôt vers une forme de reconnaissance mutuelle, peut être au niveau de l’autorité compétente, avec une date butoir pour éviter de rallonger les procédures. Une solution serait d’opter pour des formes et des contenus de documents communs avec des exigences communes pour les demandes d’autorisation des études. L’AFCROs y travaille et une proposition en ce sens figurera dans la série de préconisations et de mesures en faveur de la recherche clinique en France que nous allons faire dans les jours à venir.
La transparence des données et l’obligation de publier des résumés détaillés des études est-elle réalisable et raisonnable selon vous ? Quels problèmes cela peut-il poser ?
Denis Comet : La question de la transparence des données est un des sujets qui suscite le plus de commentaires et de réactions. On est là dans une zone particulièrement sensible où deux extrêmes s’affrontent. Les ONG et les représentants de patients veulent que les résultats soient publiés dans leur intégralité et demandent même que les bases de données anonymisées soient accessibles pour pouvoir en analyser les résultats. L’industrie, elle, défend le secret commercial, et veut se contenter d’un résumé des résultats de l’étude. On passe d’un extrême à l’autre. Un résumé trop succinct ne permettra pas de juger de la valeur de l’étude et de biais éventuels. La publication de l’intégralité des données peut être rapidement confrontée à un risque d’anarchie, la limite étant que se multiplient les analyses contradictoires qui ne peuvent que brouiller le message.
[singlepic id=776 w=260 h=180 float=left]Publication des données : le curseur bouge
Le projet de règlement propose qu’il y ait protection des données commerciales jusqu’à la mise sur le marché du médicament. Une solution serait de définir un minimum requis donnant capacité à juger de la pertinence de l’étude. Actuellement, le curseur est en train de bouger et je pense que nous allons atteindre une zone d’équilibre. A partir du moment où les études sont tracées et référencées, l’industrie sera obligée de donner les résultats des études, qu’ils soient positifs ou nég atifs. Ici, la CRO, entreprise spécialisée dans la recherche clinique, peut se positionner en tant que « tiers de confiance ». L’actualité récente en France (publication du décret transparence de la loi Bertrand, affaires Mediator et PIP en partie) nous a montré le besoin, pour les patients que nous sommes tous, de retrouver la confiance dans le système de santé et dans les données de la recherche clinique. Lorsqu’on analyse les problèmes passés, on s’aperçoit que les risques de conflit d’influence surviennent lorsque les centres investigateurs ou les experts sont en contact direct avec les industriels bénéficiaires des données. Comment alors éviter ces situations ? En faisant intervenir un « tiers de confiance » neutre, un relais spécialiste de la recherche clinique qui s’appelle la CRO. A la fois indépendants des médecins et des patients d’un côté et des industriels de l’autre, notre seul et unique métier est de faire de la recherche clinique et épidémiologique. Notre activité présente une transparence complète et les autorités de santé peuvent venir nous auditer régulièrement. Nous fonctionnons sur appels d’offres et avec des prestations basées sur un cahier des charges avec une obligation de moyens, mais jamais une obligation de résultats. La CRO est donc une solution, un « remède » pour répondre au besoin de transparence. Autrement dit, la « dream team » est une équipe associant investigateur, promoteur et CRO, est-à-dire le médecin, l’industriel et le spécialiste de la recherche clinique.
Propos recueillis par Anne-Lise Berthier, rédactrice en chef de BioPharmAnalyses[2]
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(1) Le 18 novembre 2013, le Parlement européen se prononcera, en séance plénière, sur le projet de règlement[3] destiné à remplacer l’actuelle directive européenne sur la recherche clinique (2001/20/CE). Parmi les mesures proposées pour restaurer la compétitivité de l’UE pour les études cliniques figurent notamment la mise en place d’un dossier de demande d’autorisation harmonisé, un portail unique pour le dépôt d’une demande en vue de réaliser un essai clinique ou encore une procédure rapide pour l’extension d’un essai clinique à des États membres supplémentaires.
Source URL: http://pharmanalyses.fr/recherche-clinique-en-europe-les-cros-veulent-garantir-la-transparence-des-donnees/
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