by Jean Jacques Cristofari | 20 octobre 2015 9 h 13 min
[1]La Charte de l’information par démarchage visant à la promotion des médicament, signée entre le LEEM et le CEPS en octobre 2014, a donné lieu à la création d’un « Observatoire national de l’information promotionnelle », en vue de mesurer la qualité des pratiques de promotion à partir de « critères objectifs ». Sa récente mise en place a entrainé une série de grandes manœuvres de prestataires pas tout à faits désintéressés, qui ressemblerait à s’y méprendre à de petits arrangements entre amis. La visite médicale, fort décriée dans un passé récent et que l’observatoire veut évaluer, en sortira-t-elle confortée ? Rien n’est moins sûr.
Dis moi avec qui tu as signé, je te dirai où nous allons ! La loi Bertrand de décembre 2011 sur la transparence des liens d’intérêt et l’amélioration de l’information du public visait à mettre un peu d’ordre dans les liens entretenus par les industriels du médicament et les différents acteurs intervenant dans le champ de la santé, notamment les professionnels de santé. Elle aura aussi eu pour effet collatéral d’imposer aux mêmes industriels de se pencher sur les conditions de l’information relative aux spécialités pharmaceutiques promues par leur réseau de visite médicale. Doté d’une nouvelle charte, non plus de la simple visite médicale (VM) – comme celle de 2004 – mais de « l’information par démarchage ou prospection visant à la promotion des médicaments », les laboratoires pharmaceutiques sont depuis peu invités à dispenser aux professionnels de santé « une information scientifique encadrée et validée ». Objectif : éviter le mésusage du médicament tout comme des dépenses inutiles en la matière. L’accord conclu en octobre 2014 entre le syndicat des industriels du médicament – le LEEM – et les autorités en charge des prix – le Comité économique des produits de santé ou CEPS – encourage ainsi les laboratoires pharmaceutiques à assoir leur activité de promotion, organisée à partir de la visite médicale, sur une information médicale de qualité, les médicaments devant être présentés par les délégués médicaux « dans le strict respect de l’AMM », tout en veillant à ce que les médecins prescripteurs en assurent le meilleur usage possible. L’affaire Mediator[2] a laissé des souvenirs et il n’est plus question de voir se développer des pratiques qui, au nom d’un marketing roi, détourneraient le bon usage du médicament, avec les impacts en termes de santé publique que l’on sait. L’information sera validée par la commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) conformément aux recommandations scientifiques émanant de cette dernière. De nouvelles règles du jeu sont ainsi fixées par la nouvelle charte, en particulier l’obligation d’informer les professionnels de santé sur tous les aspects réglementaires, pharmaco-thérapeutiques et médico-économiques relatifs au médicament présenté. Les médicaments faisant l’objet d’une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU), tel récemment l’Avastin, [3]ne sont pas concernés par cet accord. Le texte consigné par le LEEM et le CEPS précise également en détail les conditions dans lesquelles les délégués médicaux exerceront à l’avenir leur métier la manière dont ils (ou elles) seront contrôlé(e)s.
Grandes manœuvres
A cet effet, les parties prenantes de la nouvelle charte ont décidé de créer un observatoire national de l’information promotionnelle (ONIP) visant à « mesurer la qualité des pratiques de promotion à partir de critères objectifs, vérifiables et transparents. » Une fois par an, les laboratoires concernés par la charte devront ainsi diligenter une enquête auprès des professionnels de santé. L’enquête va permettre de « mesurer la qualité de leur pratiques promotionnelles sur le médicament le plus promu », précise le texte de la charte. A la demande du CEPS, qui négocie les accords prix/volume avec les industriels, n’importe quel autre médicament pourra être soumis à une analyse, dans la limite de 3 produits. Fin juillet, les grandes manœuvres sont engagées pour répondre aux nouvelles obligations de la charte. Mobilisé par Pascal Le Guyader, directeur des Affaires générales, industrielles et sociales au LEEM, un groupe de travail a produit un questionnaire type qui, selon un calendrier précis, a été diffusé en direction des professionnels de santé cette rentrée en vue d’une collecte des données et de leur traitement au mois de novembre. Trois thèmes sont abordés dans le questionnaire de l’enquête : l’organisation de la visite, le contenu de l’information délivrée pour les produits présentés, la satisfaction des professionnels de santé. « Chaque entreprise diligente par l’intermédiaire ou non d’un prestataire le questionnaire informatique auprès de professionnels de santé » précise une note du LEEM. Et pour faciliter le travail de ces prestataires, le directeur du LEEM précisera à l’attention des laboratoires que leur entreprise « peut demander aux personnes en charge de la promotion d’informer les professionnels de santé du lancement de l’Observatoire et, le cas échéant, leur remettre l’adresse mail et le code d’accès qui leur permettront de répondre à l’enquête. » On n’est jamais mieux servi que par soi même !
Ainsi les laboratoires pharmaceutiques pourront, s’ils le souhaitent, organiser en direct le questionnement des professionnels de santé que leurs délégués visitent. Mais ces derniers ne pourront en aucun cas être sollicités pour diffuser eux-mêmes les questionnaires. Et pour qu’il n’y ait pas, aux yeux des sondés, de confusion sur la nature de l’enquête conduite, le questionnaire doit être administré indépendamment de toute autre enquête de satisfaction ou de mesure d’impact des messages promotionnels. Car des laboratoires missionnent déjà depuis quelques années des prestataires – tel l’Association pour la qualité de l’information médicale[4] (AQIM) ou la société Bon Usage Conseil (BUC)[5] pour réaliser des enquêtes sur la qualité de leur visite médicale. Enfin, les professionnels de santé ont été identifiés par l’entreprise (région, spécialité, âge, sexe) et ne seront pas indemnisés pour y répondre. La méthodologie de l’enquête fait partie de l’annexe A de la charte qui souligne clairement que les enquêtes diligentées par les entreprises (…) donnent lieu à des critères de panélisation établis par un tiers de confiance.
Un tiers de confiance « choisi »
Ce « tiers de confiance », souligne encore la charte doit être « choisi conjointement par le CEPS et le LEEM après une procédure de mise en concurrence ». Un appel d’offre est ainsi organisé en août par le LEEM[6] qui publie sur son site internet un cahier des charges auquel ont répondu 4 sociétés : IPSOS, IMS, BUC et l’AQIM. Ce même cahier des charges précise que » le prestataire – tiers de confiance est chargé de traiter et d’analyser les données de l’enquête de chaque entreprise ». Il est également en charge de l’élaboration d’un rapport annuel qui sera diffusé au comité de suivi de l’observatoire national de l’information promotionnelle. Ainsi, le LEEM après analyse des réponses à sa procédure de mise en concurrence est amené à choisir la société Bon Usage Conseil (BUC). Cette société de conseil, créée en 2006 par Henri Parent, HEC et ancien directeur de l’information à la Haute Autorité de Santé, n’est pas sans entretenir depuis sa création des relations assez étroites avec le LEEM, dont elle conseille les adhérents en matière de visite médicale. Elle s’appuie également sur « un partenariat fort et historique » avec la société [7]B3-TSI[8], dirigée par deux ingénieurs agronomes, Alexis Bonis Charancle et Philippe Boudet, spécialisée en recueil et traitement statistique des données. Un des autres postulants à l’appel d’offre, la société IMS va être chargé de récupérer la collecte des données d’enquête provenant de chaque entreprise. Le choix de cet organisme collecteur, désigné unilatéralement par le CEPS sans consultation aucune du marché des prestataires possibles, ne doit rien au hasard. Car la société IMS France[9], filiale du leader mondial des études sur le médicament, sait de longue date mesurer les marchés du médicament et surtout analyser les portefeuilles produits des big pharma. Elle a récemment racheté la partie CRM (« Customer Relationship Management ») de son principal concurrent en France, la société CEGEDIM[10], lui permettant ainsi de renforcer un peu plus sa pénétration sur le marché pharmaceutique français et de disposer d’un fichier élargi des clients que sont les médecins. Le CEPS en désignant cette entreprise savait qu’elle est techniquement équipée à hauteur des exigences imposées par l’Observatoire pour traiter les données recueillies via les questionnaires adressés aux médecins. Le Comité sait également que IMS Health est le prestataire en données sur les produits d’un grand nombre de big Pharma, dont une partie non négligeable de celles qui font partie du panel établi par ce même CEPS. Ce dernier sait-il également qu’IMS a récemment adressé des mails commerciaux aux 59 laboratoires désignés pour passer au crible la visite médicale de 83 produits au total. Car la date limite pour le recueil des questionnaires était fixée au 31 octobre et le timing pour atteindre l’objectif est serré. Pourquoi dès lors ne pas profiter de l’aubaine et rendre un service à ceux qui sont quelque peu à la traine ? Le collecteur de données désigné par l’autorité en charge des prix – le CEPS – peut-il ignorer, au nom d’impératifs commerciaux, ce que fait le conseilleur de ceux qui attendent leurs prix, les laboratoires. Ce mélange des genres en aura ému plus d’un dans le Landerneau de la prestation et du milieu très discret des sociétés de conseil à la pharma.
Consanguinité commerciale
Mais ce qui apparait lentement mais sûrement comme autant contrats de bon usage entre sociétés du même monde ne semble pas s’arrêter là. Car la charte prévoit également que les personnes exerçant une activité d’information par démarchage ou prospection visant à la promotion d’un médicament suivent une formation initiale, attestée par un diplôme, mais également une formation d’intégration à leur entrée dans l’entreprise pharmaceutique. « La formation dispensée doit permettre à la personne exerçant une activité d’information par démarchage ou prospection de connaitre et respecter la règlementation liée au médicament pour informer et répondre au professionnel de santé », souligne la Charte. Bien plus encore, celle-ci exige de l’entreprise qu’elle mette en oeuvre une évaluation annuelle de son personnel dédié à ce métier qui permette « d’attester que le salarié dispose de connaissances correspondant à la qualité de l’information qu’il délivre. » (1). Pour réaliser ces formations dans un délai rapide, le LEEM a lancé un autre appel d’offre en vue de la mise en place d’une plateforme de e-learning – ou formation à distance – financée par des fonds publics. La société Actando France emportera cet appel d’offre pour former les délégués médicaux dans l’esprit et la lettre de la charte. Cette dernière a été créée en juillet 2010 et est une « spin off de la société IMS[11], qui héberge également, via Actando International[12], qui siège à Genève, des activités de formation destinées à l’industrie du médicament. La filiale française est gérée par Florence Errard,[13] qui a travaillé 8 années chez IMS, après une carrière dans un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques (Marion Merrell Dow, Astra Zeneca, Parke Davis). Elle est également présidente de la société ISOODIT, une société par actions simplifiée qui loge à la même adresse que Actando et qui a été créée en novembre 2014 pour mesurer la qualité de l’information promotionnelle auprès des professionnels de santé suite à la signature de la nouvelle charte. Son associé est Sébastien Planche, ancien directeur des études d’Astellas – Business Services / Intelligence Manager entre 2011 et 2014. Tous deux sont en mesure de proposer la prestation de recueil de données pour l’ONIP précité. Mais Florence Errard est également l’épouse de Patrick Errard, directeur général du laboratoire Astellas France qui, depuis décembre 2013, est à la tête du LEEM. Une présidence pour laquelle, ce dernier sollicite un nouveau mandat pour deux ans en décembre prochain.
Au total, cette création de l’observatoire de l’information promotionnelle mérite que l’on se pose quelques questions. Pourquoi le CEPS, officine gouvernementale qui accorde les prix des produits des laboratoires a-t-elle choisi sans « mise en concurrence » la société IMS, qui est avant toute chose une société commerciale de dimension internationale qui vend ses prestations aux industriels du médicament ? Pourquoi le LEEM est-il autorisé à lancer des appels d’offres pour le choix d’un tiers de confiance ou d’une société de prestation en formation, alors même qu’il est partie prenante en tant que représentant syndical des industriels du médicament dont la visite médicale va être passé au crible ? Comment un président du même syndicat peut-il signer une convention avec les autorités de santé dont son épouse va profiter directement à travers l’attribution d’un appel d’offre et par l’entremise d’une société qu’elle va créer pour proposer d’autres prestations en rapport avec l’ONIP ? La loi Bertrand précitée visait à faire la transparence sur les conflits d’intérêt à défaut de pouvoir les éradiquer. La création de l’ONIP vient de les relancer avec une vigueur que l’on ne croyait plus possible après cette période difficile pour la pharma qui a fait suite à l’affaire Mediator. Elle vient d’y ajouter un élément nouveau : la consanguinité commerciale. Déjà mis plusieurs fois sur la sellette, les réseaux de visite médicale – reflets et porteurs des pratiques commerciales des laboratoires – viennent de donner lieu à une série de grandes manœuvres qui sonnent comme autant de petits arrangements entre amis d’un même monde, celui de la pharmacie. Il n’est pas sûr que la visite médicale et la qualité de ses pratiques en sortent grandie.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Article 2, chap II de la charte, « la qualité de l’information délivrée »
Patrick Errard, président du LEEM répond à notre enquête
Le président du LEEM a souhaité nous rencontrer à la parution d’un article qu’il juge « factuel et bien documenté » mais qu’il considère délivrer des informations erronées.
1) A propos de l’assertion suivante : « Ainsi les laboratoires pharmaceutiques pourront, s’ils le souhaitent, organiser en direct le questionnement des professionnels de santé que leurs délégués visitent », Patrick Errard estime qu’il y a une erreur manifeste et que « littérairement parlant c’est faux ».
« Pour faciliter l’observance et l’adhésion, on laisse les délégués faire du « push ». Mais le délégué médical (DM) ne doit pas faire l’enquête mais « inciter à faire ». Il pourra dire au médecin : » C’est une obligation, vous devez donner un feed-back et à ce titre vous disposez de tel ou tel outil pour le faire« . J’insiste sur le fait que le DM ne doit pas réaliser l’enquête auprès du médecin, ne doivent pas conduire l’enquête, ni assister au remplissage du questionnaires ou aux réponses faites par un médecin sur un site. Nous avons été très clair là dessus. »
Nous partageons entièrement la remarque du président du LEEM. Nous n’avons pas écrit que les DM réalisent l’enquête chez les médecins avec eux ou pour eux. Nous précisons bien à la suite de la phrase incriminée « Mais ces derniers ne pourront en aucun cas être sollicités pour diffuser eux-mêmes les questionnaires« . Nous évoquons ici « l’organisation » du questionnement au sens du Larousse « Être à l’origine d’une action, en avoir pris l’initiative et l’avoir préparée« . Les propos du président du LEEM confirment bien que les délégués médicaux des laboratoires pharmaceutiques sont autorisés à promouvoir cette enquête, à « pousser » les médecins à y répondre, au besoin en leur donnant le mode d’emploi pour le faire. Il s’agit bien « d’organiser en direct » – dans les cabinets médicaux – les questionnements pour permettre aux laboratoires ou aux prestataires qu’ils désignent de recueillir les réponses. Une note technique rédigée par le LEEM et cosignée LEEM/CEPS évoque clairement cette « organisation. »
» Il y a un vrai sujet pratique, explique encore Patrick Errard : nous devons réfléchir ensemble de façon sereine, non émotionnelle, à communiquer sur le point suivant : comment faire pour étaler dans le temps ces questionnements et qu’on ait pas un effet d’entonnoir et de blocage lié à la surcharge du nombre de produits sur lesquels nous devons enquêter. Ensuite, comment donner un rôle intelligent à la visite médicale qui ne la mette pas en situation de juge et partie et de ne pas être en situation de constituer un biais pour la qualité des résultats ». Diligenter les DM pour pousser les médecins à répondre aux questionnaires sur leurs propres produits constitue dans les faits le premier travers/biais de cette démarche.
2) Deuxième erreur relevée dans notre article par le président du LEEM à propos du « tiers de confiance ». Selon ce dernier il y en a deux et non pas un seul. « La procédure prévoyait qu’il y avait un tiers de confiance pour faire les agrégats de réponse. Il était sous l’égide du choix du CEPS, avec un avis consultatif du LEEM. Le second est chargé de faire l’analyse et le rapport des données transmises par ce premier tiers de confiance. Ce dernier est sous l’égide et la tutelle du LEEM, avec avis consultatif du CEPS. Cela a été clairement prévu comme cela. Nous avions indiqué qu’il était préférable que celui qui agrège les données ne soit pas celui qui les analyse pour garder l’indépendance analytique. Nous avions répartis les charges entre le LEEM et le CEPS ».
Source URL: http://pharmanalyses.fr/promotion-du-medicament-la-pharma-lave-plus-propre-en-famille/
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