Promotion du médicament : « Il faut retrouver l’éthique de la visite médicale »

by admin | 28 mars 2011 11 h 19 min

Joëlle Catier est visiteuse médicale depuis longtemps dans les rangs de l’industrie du médicament et syndicaliste à l’UNSA au sein du laboratoire sanofi-aventis. Elle déplore les licenciements en cours dans son groupe et considère que les visiteurs médicaux ont encore un rôle à jouer dans la pharma, voire un nouveau rôle dans le bon usage du médicament. Analyse.

[singlepic id=149 w=320 h=240 float=left]Que pensez-vous du plan dit de « sauvegarde de l’emploi » qui va conduire sanofi-aventis à licencier une nouvelle tranche de 700 emplois, essentiellement dans les rangs de sa visite médicale ?

Joëlle Catier : Sanofi-aventis est en pleine négociation pour le plan de sauvegarde. Ce n’est pas simple, car la direction en face de nous est animée par le désir de supprimer les emplois de visiteurs médicaux. Tous les prétextes sont bons, incluant l’affaire Médiator, pour supprimer des VM. C’est ahurissant ! La vraie « sauvegarde » de l’entreprise qu’ils poursuivent, c’est celle de leur rentabilité. On paie l’actionnariat et la nécessité de dégager un bénéfice net par action de plus en plus conséquent.

Qu’observez-vous sur le terrain de la visite médicale ?

Les grandes molécules disparaissent des tableaux de bord des industries, elles sont génériquées. Il n’y aura pas de nouvelles molécules permettant des traitements de masse, comme on l’avait pour l’hypertension artérielle ; par contre, nous constatons en interne les appels directs des professionnels de santé à notre département d’information médicale. Dès qu’une molécule n’est plus promue, elle génère beaucoup plus d’appels, mais paradoxalement beaucoup plus de mésusage. L’avantage du visiteur médical, c’est qu’il est là pour rappeler les indications, les contre-indications, les précautions d’emploi, les interactions médicamenteuses. Dès l’instant où ce n’est plus fait de façon régulière, petit à petit la prescription se « délite », le médecin est moins attentif aux interactions médicamenteuses entre le traitement chronique et la prescription dans l’aigu. En termes d’antibiothérapie, on constate des durées de traitement ou des posologies insuffisantes, ou bien encore que ce n’est pas le bon antibiotique qui est prescrit. Le fait d’entretenir la connaissance du médicament, y compris du médicament générique, permet d’entretenir la vigilance.

On parle actuellement beaucoup, sinon de plus en plus, de la nécessaire qualité de l’information diffusée aux médecins. Qu’en pensez-vous ?

Je mène un long combat à l’UNSA depuis des années. J’ai suivi le cours du Professeur Montastruc, l’une des premières écoles de visite médicale à Toulouse. Son leitmotiv est :  » je ne prescris bien que ce que je connais bien ». Le médecin n’a pas besoin d’un marketeur ! Il a besoin de quelqu’un en qui il a confiance. Je suis convaincue que le niveau de communication au laboratoire Roussel où nous étions formés sur tous les produits – il y en avait 90, et non pas 400 comme chez Sanofi-aventis – était meilleur qu’aujourd’hui. Les VM ont été faire un DU d’antibio quand les antibiotiques ont démarré. Il fallait acquérir cette crédibilité par la formation, et elle restait acquise pour des années. Il m’arrive encore d’avoir des médecins qui me demandent de passer à leur cabinet pour me demander des conseils, alors que l’activité syndicale m’occupe la majeure partie de mon temps. Quand on donne le change et qu’on est crédible, parce que bien formé, la confiance s’inscrit dans le temps.

Faut-il sortir du système qui veut que le VM chasse la « part de voix » et les ventes de boîtes avant toute chose ?

La convention collective l’inscrit ainsi : dégager le VM d’une performance en termes de chiffres et de nombre de boites lui permet, quand il y a le soin, de faire utiliser le meilleur médicament au meilleur patient. La VM a un rôle à jouer dans le bon usage du médicament. C’est un métier que j’ai fait avec passion. Le VM peut être un partenaire, si l’industrie nous laisse faire. On nous considère comme des VRP spéciaux, et tant que les industriels agiront ainsi, ce sera au détriment de beaucoup de monde, des patients en premier. Il faut retrouver l’éthique de la VM, celle qui était inscrite de plein droit dans la convention, celle qui est inscrite dans la charte de la visite médicale. Le problème c’est qu’ils se servent de tout cela pour licencier.

Qu’avez-vous défendu pour la visite médicale dans le cadre du PSE de sanofi-aventis ?

Dans le cadre du PSE on a fait un travail sur la manière de travailler dans la visite, sur des pistes d’activités. Ce n’est pas mettre à mal les entreprises de proposer de nouvelles pistes. Mais il faut aussi que les dirigeants acceptent que l’entreprise soit un peu moins rentable. Car tout le monde y gagnerait, y compris les organismes de sécurité sociale, d’assurance maladie : nous serions dans l’usage réfléchi de nos médicaments. Un exemple : nous avons 26 molécules antibiotiques chez Sanofi. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas les 26 molécules dans la même sacoche du VM qui rencontre tous les médecins, et pourquoi on ne peut pas donner le meilleur antibiotique ! Cela éviterait des prescriptions et des visites supplémentaires. On peut travailler comme cela dans beaucoup de domaines : le diabète, l’hypertension artérielle… on a un portefeuille produits énorme et on peut répondre à des tas de besoins.

Avez-vous été entendu par la direction de sanofi-aventis ?

L’optique de Sanofi est d’atteindre le plus haut niveau de rentabilité possible. Mettre en place des réseaux de VM qui vont oser dire au médecin : « pas d’antibiotique pour ce patient, mais pour sa prise en charge voici ce qu’on doit faire : participer à combler des manques, amener la continuité pour la mise à jour des connaissances etc ». Ce qui fatigue le médecin c’est 10 VM qui lui parlent d’une seule molécule. Et le médecin qui n’est pas visité parce que pas rentable : n’est-ce pas choquant ? On met tout sur la rentabilité : du médecin, du VM , des salariés d’entreprise. Ne serait-ce pas plus intéressant pour l’entreprise de regarder la bonne utilisation des médicaments et la santé du patient, même si le VM va écrêter sa rentabilité, mais finalement récupérer d’un produit sur l’autre. Certes c’est oublier le CAC 40 et les actionnaires qui en veulent toujours plus…

Propos recueillis par Jean-Jacques Cristofari

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