Prise en charge des patients diabétiques : changement de paradigme

Prise en charge des patients diabétiques : changement de paradigme
mai 08 15:05 2018 Imprimer l'article

Les maisons de santé pluriprofessionnelles ainsi que les pôles de santé développent de plus en plus un exercice coordonné autour du patient, en particulier quand ce dernier souffre d’une pathologie chronique. De nouveaux modes de prise en charge ont ainsi eu lieu sur le territoire national, qui combinent soins primaires classiques, prévention et prise en charge spécifique en mode coordonné. Les infirmières de l’Association ASALEE accompagnent ces développements qui bouleversent profondément un exercice médical longtemps cantonné à sa seule dimension curative.

La prise en charge du diabète fait partie du premier protocole mis en place dans la maison de santé pluri-professionnelle de la commune d’Etoile-sur-Rhône (5200 habitants, Drôme), créée en mai 2003 et qui rassemble à ce jour plus de 20 professionnels de santé, dont six médecins généralistes, une dizaine d’infirmières, deux kinés, un dentiste, un orthoptiste et un podologue. Initialement, l’objectif a été de réaliser un recueil codé des patients diabétiques inscrits auprès des médecins traitants, en vue de l’intégrer dans le logiciel partagé par ces derniers et d’opérer un protocole de surveillance en vue d’une programmation des examens à effectuer. Depuis quelques mois, le groupe médical a créé un poste d’infirmière ASALEE à temps plein, occupé par deux infirmières, qui assurent conjointement un suivi et une prise en charge spécifiques de certains patients souffrant de diabète, mais aussi de BPCO, de troubles cognitifs ou présentant des risques cardiovasculaires. Cette coopération, placée sous le pilotage conjoint des médecins traitants et des infirmères ASALEE (1), offre un regard croisé sur le malade diabétique et permet d’améliorer le suivi de ce dernier. Elle associe également le pharmacien local d’Etoile-sur-Rhône, intégré dans la démarche de la maison de santé. Ce dernier est appelé à dépister le diabète dans les rangs de sa clientèle et à participer à l’une ou l’autre des réunions bimensuelles des professionnels de santé du groupe portant sur des patients à problème. Le kinésithérapeute de la maison médicale participe également à la démarche en animant un groupe de marche créé avec l’infirmière précitée.

« La manière de travailler en MSP est désormais différente, commente Claude Leicher (photo), cofondateur du groupe médical et ancien président du syndicat MG France. Il y a un changement de paradigme autour de la coordination des intervenants qui permet d’améliorer la qualité du service rendu aux patients. » En terme de santé publique, les résultats de cette prise en charge sont tout aussi perceptibles et mesurables. « Dans le cadre de l’indicateur de suivi du diabète pour notre ROSP (2), nous sommes au dessus de la moyenne exigée », poursuit Claude Leicher. Sur le registre de la prévention de la BPCO, l’infirmière ASALEE réalise par ailleurs des spirométries sur les patients fumeurs considérés les plus à risque et a bénéficié à cet effet d’une formation à l’éducation thérapeutique des patients. « Cette approche nous a permis de faire basculer nos méthodes vers du travail protocolisé, ajoute le généraliste dromois. Il y a un vrai changement de paradigme dans la manière de travailler et nous avons ainsi pu améliorer la qualité du service rendu à notre patientèle. Chaque professionnel de santé se rend mieux compte des compétences de ceux qui travaillent à ses côtés et il améliore également les siennes à travers ces démarches de santé publique ». 

Les pôles de santé également concernés

Si la MSP constitue un lieu idéal pour reconsidérer la prise en charge des patients chroniques, elle n’est pas pour autant exclusive en la matière. Ainsi en Normandie, à Ifs, près de Caen, les professionnels de santé de la commune (12000 habitants) se sont organisés au sein d’un pôle de santé pour s’attaquer à la question du diabète sur leur territoire. Le pôle, créée en novembre 2008 avec l’association ATRIUM – Groupement des Professionnels de Santé d’Ifs – comprend à ce jour huit médecins, un dizaine d’infimier-e-s réparti-e-s sur 4 cabinets différents, un kiné, 4 orthoptistes, un podologue, une psychologue clinicienne et quatre pharmacies. Pour prendre en charge les patients diabétiques, le pôle s’est doté d’un système d’information partagé et s’est associé les services d’un infirmière ASALEE, qui travaille dans et pour les différents cabinets médicaux du territoire. Un protocole de soins a été mis en place pour les diabétiques et l’équipe bénéficie d’une rémunération spécifique de concertation pluriprofessionnelle ambulatoire pour pouvoir débattre des cas exceptionnels qui justifient de se réunir. « Grâce à cette rémunération, nous pouvons échanger en réunion de staff. C’est un progrès intéressant d’avoir une palette d’outils à disposition », commente Jacques Battistoni (photo), médecin généraliste installé à Ifs, membre du pôle de santé et président depuis novembre 2017 du syndicat MG France.

Infirmière ASALEE à 80 % de son activité, Sylvie Troques coordonne la prise en charge des patients diabétiques au sein de l’association Atrium. Elle a, à cet effet, accès au logiciel patient des médecins, à leurs prescriptions, peut en extraire des fichiers et travaille en complémentarité étroite avec les généralistes. « Nous disposons de plus de temps avec les malades diabétiques de type 1 ou 2, que nous connaissons mieux et nous allons décider ensemble des actions à entreprendre », explique l’infirmière. Des retours d’informations sont régulièrement adressés aux médecins généralistes qui se réunissent au moins deux heures par mois avec l’infirmière pour des réunions de concertations sur des cas précis. »Le nombre de patients qui m’appellent augmentent avec le temps, ce qui traduit l’intérêt manifesté pour ce type de prise en charge », note encore Sylvie Troques. Les patients souffrant de BPCO, des risques cardiovasculaires ou encore de troubles cognitifs participent du même type de démarche et peuvent bénéficier de formation sur le dépistage précoce de l’obésité.Ces mêmes patients ont accès à de séances d’éducation thérapeutique, d’ateliers de groupe de marche ou de mtivation. »Les fondamentaux d’ASALEE, c’est la bienveillance, l’empathie et le patient au centre du dispositif », ajoute l’infirmière qui se réunit régulièrement avec Isabelle Alvino, autre infirmière libérale qui préside et coordonne les activités du pôle de santé d’Ifs.

Plus au Sud, un autre pôle de santé a également organisé la prise en charge des patients diabétiques. Ce pôle se déploie autour de Frontignan (34), et s’inscrit dans la constitution d’un futur réseau de soins. A l’origine, neuf médecins généralistes, réunis depuis septembre 2017 au sein d’une MSP « multi-sites », comprenant un laboratoire d’analyse, quatre infirmières et six kinésithérapeutes, ont projeté d’étendre leur réseau à d’autres professionnels de santé de la commune, en incluant un pharmacien, une sage-femme et un podologue. A terme, le réseau devrait comprendre 90 professionnels. « L’idée de base a été de créer un logiciel médical partagé, accessible aux différents intervenants pour assurer un meilleur suivi des patients diabétiques », confie Jean-Christophe Calmes (photo), associé en groupe à un autre médecin sur Frontignan. Pour favoriser un meilleur suivi du parcours de santé des patients, ils se sont appuyé sur la plateforme WEDA (3) pour déployer le dossier médical professionnel. « Ce dossier, 100% digital, est accessible et utilisable par l’ensemble des professionnels de santé de Frontignan (médecins et auxiliaires de santé : infirmiers(ères), sages-femmes…), aisément, via le Cloud. Il permet de partager des données de santé telles que le parcours de soin ou les antécédents utiles à la prise en charge médicale du patient, avec son accord. Les redondances d’examens ou prescriptions inutiles peuvent ainsi être évitées. Une meilleure prise en charge est également possible par les professionnels indépendants qui peuvent adapter leur approche en fonction de l’historique du patient. »
Si les infirmières ont en charge l’essentiel du suivi des diabétiques, les médecins peuvent ainsi s’assurer que les actes et les examens ont bien été effectués, sans redondance. La coordinatrice de soins de la MSP « hors les murs », en cours de recrutement, pourra à l’avenir extraire la liste des patients diabétiques identifiés dans le réseau. Les podologues ont également accès au dossier et peuvent ainsi donner un retour d’information rapide au médecin traitant du patient. Ce travail d’équipe coordonné par le médecin permettra dans un deuxième temps de produire des données de recherche. Il ouvre surtout la voie à une meilleure prise en charge des patients diabétiques avec un suivi plus adapté et personnalisé. La mairie de la commune de Frontignan a été sollicitée pour mettre à disposition un local en vue d’ installer la future coordonatrice du réseau et l’infirmère ASALEE qui devrait démarrer son activité en septembre prochain. « Le médecin traitant ne peut plus agir seul, plaide Jean-Christophe Calmes, généraliste du réseau, installé à Fontignan. Il doit se coordonner, au plan du territoire avec les autres professionnels de santé autour de protocoles de soins précis », ajoute ce dernier

A Réalmont (Tarn), en Occitanie, une autre maison de santé pluriprofessionnelle, de création récente et entièrement portée par des professionnels de santé libéraux, s’est engagée dans la même volonté de mieux prendre en charge les patients chroniques, dont les diabétiques. Composée de 4 médecins généralistes, de 3 infirmières libérales, d’une orthophoniste, d’un psychomotricien, d’un psychologue, d’une sage femme, d’une orthoptiste et d’un orthoprothésiste, le groupe médical dispose depuis 2012 d’une infirmière ASALEE. Cette dernière accompagne les patients en leur dispensant des séances d’éducation thérapeutique, tient leur dossier médical, assure un suivi étroit dans leur parcours de soins, leur propose de l’éducation physique et consacre du temps à leur expliquer la nature de leur pathologie et les réponses thérapeutiques à apporter.
« La prise en charge a été élargie aux femmes enceinte, sensibilisée au repérage de du diabète », explique Margot Bayart (Photo) qui souligne que tous les dossiers des patients diabétiques de son groupe ont au fil du temps passé au crible. Dans une maison médicale où l’exercice est très groupé, les honoraires partagés tout comme la clientèle, l’objectif commun est de faire oeuvre de santé publique en procédant autant se faire que peut à la réduction des complications. « Nous travaillons en équipe et le regard du médecin complété par celui de l’infirmière a été la première marche pour évoluer vars une MSP ».
« Le patient doit faire le premier pas », note de son côté Emmanuelle Mailhe, infirmière ASALEE du groupe de Réalmont depuis 5 ans et membre de la cellule de recrutement de l’association ASALEE qui oeuvre au plan national (voir plus bas). « J’amène le patient à formuler des objectifs de changement et il prend l’initiative de me recontacter à l’issue de sa prise de sang », poursuit cette dernière. Il lui sera consacré au moins trois quart d’heure pour dresser un bilan. De son côté, le médecin traitant s’engagera à effectuer un temps de coordination avec l’infirmière. Un compte rendu lui sera fait sur les cas les plus complexe. Par la suite les séances d’ETP seront effectuées en groupe ou à titre individuel en vue d’amorcer un changement de comportement chez le patient diabétique.

A la Fédération Française des Diabétiques (AFD), son président, Gérard Raymond, qui prépare les Etats généraux du diabète, s’intéresse de près au sujet : « Nous sommes encore sur un ancien modèle de soins. Nous souhaitons pour l’avenir travailler avec les médecins libéraux sur le contenu du projet médical qui vise à mieux orienter les patients diabétiques sur un parcours global et sur la qualité de ce programme. Si l’infirmière ASALAE est dans la boucle depuis des années, la future « infirmière de pratique avancée » (IPA) devrait également être associée à ce projet. Pour peu que son statut soit clairement défini et accepté par les médecins traitants. Mais ceci est une autre histoire.

Jean-Jacques Cristofari

(1) ASALEE ou Action de santé libérale en équipe est une association qui compte à ce jour 267 infirmier-e-s en équivalent temps plein, qui travaillent au total dans 753 cabinets médicaux avec 1959 médecins généralistes exerçant en centres, maisons ou pôles de santé. 2/3 sont salarié-e-s de l’association et 1/3 exercent également en libéral aux côtés d’ASALEE.
(2) Il s’agit de la part des patients du médecin traitant traités par antidiabétiques ayant bénéficié d’une consultation ou d’un examen du fond d’oeil ou d’une rétinographie dans les deux an. L’objectif cible est >=77 %. Il donne lieu, s’il est atteint à une Rémunération sur Objectif de Santé Publique ou ROSP.
(3) Créée en 2011, WEDA, éditeur de solution 100% en ligne de dossier patient destinée aux Professionnels de Santé, compte déjà plus de 7500 utilisateurs en France.

Le dispositif ASALEE en bref :

Asalée (Action de santé libérale en équipe) a été créé en 2004 par le Dr Jean Gautier, généraliste à Chatillon sur Thouet (Deux-Sèvres), en collaboration avec l’URML de Poitou-Charentes et l’équipe de recherche de Yann Bourgueil, afin d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques en médecine de ville. Formées à l’éducation thérapeutique (ETP), les infirmières interviennent auprès d’un ou plusieurs médecins généralistes qui leur adressent des patients en consultation pour partager leur suivi dans le cadre de quatre protocoles : dépistage et prise en charge du diabète, suivi des patients à risque cardiovasculaire, dépistage de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et dépistage des troubles cognitifs. A partir de 2012, le dispositif connait une généralisation nationale, liée au soutien croissant de l’Etat. Les pouvoirs publics vont alors négocier avec la direction de l’association Asalée un nouveau modèle économique, reposant sur le postulat selon lequel le travail de l’infirmière et la délégation d’actes techniques permettraient au médecin d’économiser du temps. Dans ce modèle, une infirmière à temps plein travaille en moyenne avec 5 médecins, rémunérés pour les temps de concertation avec elle. A partir de 2012, ASALEE va bénéficier de l’Expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR). Asalée se développe alors largement dans les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les centres de santé bénéficiaires des ENMR. Au 31 décembre 2017, le dispositif Asalée concerne 533 infirmières, représentant 267 équivalents temps plein, exerçant dans 753 cabinets avec 1 959 médecins. [Source : Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires. IRDES, Question d’économie de la Santé, n°233 avril 2018]

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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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