by admin | 6 novembre 2010 23 h 35 min
[Alors que les députés ont voté le projet de loi de Financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2011 et que les sénateurs en débattent à leur tour, les représentants des syndicats d’officines tentent une ultime fois de trouver quelque 300 millions d’euros pour éviter que le monde des pharmaciens ne sombre dans une crise sans précédent. Car désormais le phénomène des faillites d’entreprises n’épargne plus ceux que l’on croyait définitivement à l’abri des revers de carrière. A terme, ce sont 1 500 officines qui pourraient baisser leur rideau et le maillage du réseau national se trouver sérieusement détricoté.
Il faut sauver le soldat officinal ! Les trois centrales syndicales représentatives de l’univers des pharmaciens libéraux sont sur la brèche depuis juillet dernier. En jeu, une descente aux enfers du monde officinal comme personne n’osait encore l’imaginer il y a à peine 10 ans, quand les pharmaciens se saisissaient, alors contre l’avis des médecins prescripteurs, du droit de substitution pour remplacer les produits dit princeps – et autres blockbusters de la pharma mondiale – par leur équivalent générique. Les belles années où il était possible de négocier avec les génériqueurs – soucieux d’être placés en tête de gondole des dispensations des pharmaciens – des marges arrières et autres avantages en nature, est loin derrière nous. Roselyne Bachelot avait même il y a à peine 2 ans donné le feu vert aux produits dit de médication familiale – ou plutôt de médication officinale – pour qu’ils franchissent le Rubicon des comptoirs et explosent ainsi leurs ventes. Rien n’y fit ! Dans une France en crise, qui cumulait des déficits abyssaux, les assurés d’hier, responsabilisés pour demain à coup de franchises et autres déremboursements de médicaments, ont boudé leur plaisir et fait savoir que seule leur bonne vieille carte Vitale devait prévaloir dans le jeu de massacre de la Sécu.
Les liquidations devenues monnaie courante
Ainsi donc, nos représentants du monde officinal ont-ils dès cet été, dans un désordre parfait, fourbi leurs armes pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Seul point d’accord de nos syndicats : année après année, les officines perdent de la marge. Depuis 2005, la consommation de médicaments aurait ainsi diminué de 200 millions d’unités. Avec une consommation atone depuis 3 ans, les chiffres d’affaires ne progressent plus, les marges régressent (270 millions d’euros ont été perdu entre 2005 et 2009) , les trésoreries s’en portent d’autant plus mal et les liquidations deviennent monnaie courante. « Dans un contexte de raréfaction de l’offre de soins, les pouvoirs publics doivent, de toute urgence, donner au réseau officinal les moyens de sa pérennité », clame cet été le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, le strasbourgeois Philippe Gaertner. « Il y a urgence si nous voulons que la profession relève les défis inscrits dans la loi HPST », surenchérit son homologue à l’Union Syndicale des pharmaciens d’officine (USPO), le montilien Gilles Bonnefond. Ce d’autant, comme l’a souligne la ministre de la Santé, qu’il y a urgence à adapter le modèle économique de l’officine à un marché du médicament qui est loin d’être aussi dynamique que dans le passé. Et surtout d’impliquer le pharmacien dans ces « nouvelles missions » ouvertes par la loi Bachelot – prévention, éducation sanitaire, éducation thérapeutique, suivi de patients chroniques, dépistage etc. -, missions qui supposent de nouveaux modes de rémunérations, autres que ceux qui sont pour l’officine assis sur un pourcentage à la boîte, dégressif selon le tarif.
Ainsi, pour sauver le soldat officinal, deux projets vont être mis sur la table des négociations par les syndicats de pharmaciens. Le premier, défendu par l’aile libérale de la FSPF, soutenue par l’Union nationale des pharmaciens de France, présidé par Claude Japhet, propose de relinéariser la marge en revalorisant le seuil de la 1ère tranche de 26,10 euros à 75 euros. L’autre, défendu par l’USP, préconise une augmentation pure et simple de 0,10 euros par boîte, assortie de l’arrêt des grands conditionnements « qui coûtent à l’officine » et ne produisent pas les effets escomptés chez les patients du fait d’un gaspillage croissant en boîtes non consommées.
Querelles autour du TFR généralisé
Le front commun d’un temps, celui de la fin de l’été, va cependant rapidement se lézarder et la vérité des chiffres finir par rattraper tout le monde. Côté USPO : la revalorisation de la marge officinale par le relèvement du forfait de 0,10€ par boite devait entraîner un gain de 270 millions d’euros pour le réseau et un coût de 170 millions pour l’assurance maladie. Côté FSPF : l’extension du taux de la première tranche de la marge de 22.90 à 75 euros génèrerait un coût de 475 millions, recalculé à 510 millions par les services du ministère. Mais cette mesure pourrait être compensé, toujours selon le même syndicat par la mise en place d’un tarif forfaitaire de responsabilité (dit TFR) généralisé sur les molécules du répertoire des génériques de plus de 48 mois (soit un gain de 420 millions, ramené à 200 millions par le ministère). Un TFR qui ferait surtout le bonheur des big pharma, dont les représentants réunis au sein du LIR (1) déclaraient il y a quelques mois encore : » Dans un contexte dégradé des finances sociales, l’optimisation de l’efficience du marché des médicaments à brevet échu via la généralisation du TFR constitue une piste de réflexion à explorer afin de dégager de nouvelles économies pour l’assurance-maladie, qui sont autant de nouvelles sources de financement susceptibles d’encourager l’innovation thérapeutique. »
D’autres demandes sont venues s’ajouter à la liste des revendications des syndicats, dont la proposition de l’USPO de prolonger l’expérimentation en cours pour la délivrance des médicaments aux résidents en EHPAD (2) jusqu’à 2013, demande qui a été retenue par les ministres concernés lors des débats sur le PLFSS pour 2011. Ou encore, celle de programmer la fermeture des pharmacies minières ou de rééquilibrer la délivrance des médicaments vétérinaires en direction des officines, voire encore possibilité de créer un honoraire pour la dispensation des médicaments à statuts particuliers comme la prise en charge des traitements substitutifs aux opiacés. Toutes choses qui, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont cependant pas de nature à sortir les officines du marasme actuel où elle se trouvent.
Les comptes n’y sont pas
Fin octobre, les ministère de la Santé tentait de solder les comptes en faisant les propositions suivantes :
– 83 millions d’euros par une revalorisation de 3 centimes du forfait à la boîte,
– 12,5 millions d’euros au titre du doublement du forfait à la boîte pour les traitements de substitution aux opiacés,
– 35 millions d’euros grâce à l’alignement de l’indemnité d’astreinte des gardes sur les 150 euros perçus par les médecins,
– création d’un fonds ciblé de 10 millions d’euros pour les officines en difficulté dans les zones de sous-densité (à définir avec les ARS), avec prise en compte de la problématique des prix dans les DOM (soit le rétablissement d’un équilibre entre la marge des grossistes répartiteurs et celle des pharmaciens pour la troisième tranche).
– A cela s’ajoutent 60 millions d’euros d’économies sur la taxe professionnelle (avec un impact réel plus proche de 30 millions d’euros). Une mesure qui de l’avis des représentants des officines est sans rapport avec le sujet initial.
« La systématisation du TFR généralisé va balayer tous les ans la marge des pharmaciens sans avoir des compensations les années suivantes, a aussitôt fait savoir le président délégué de l’USPO pour qui la profession devait rapidement sortir de ce piège mis en place par la FSPF et l’UNPF au détriment des officinaux. Contre ce TFR systématique, l’USPO propose d’adopter d’autres compensations, comme les baisses de prix sur les génériques ou le développement de la médication officinale. Au total, si les groupements de pharmaciens se sont aussitôt élevé contre ce TFR généralisé, (3) les génériqueurs, pourtant directement concernés, sont de leur côté restés muets, craignant sans doute des baisses de prix de leurs produits pour permettra aux officinaux de reconquérir de la marge.
Fin octobre, pour les syndicats le compte n’y était donc pas et la promesse d’une mission IGAS sur l’évolution de la rémunération du pharmacien, pas plus que la lettre de mission aux ARS pour coordonner l’implantation des maisons de santé en fonction du réseau officinal ou encore l’intégration dans le PLFSS du report de l’expérimentation EHPAD, ne pouvaient être de nature à calmer les esprits. Ce d’autant que les mêmes syndicats d’officinaux sont désormais entrés dans une nouvelle bataille, électorale cette fois, en vue des élections pour les Unions régionales des professions de santé (URPS) qui se tiendront le 13 décembre prochain.
Il faudra à cet égard plus que 3 centimes d’euros par boîte – qui ne rapporteront que 80 millions d’euros aux officines – pour convaincre les jeunes pharmaciens du réseau qu’ils ont de l’avenir et certainement pas un TFR généralisé pour les persuader que le générique peut encore les sauver, tant l’un contredit le développement de l’autre. Avec des pharmaciens pris en tenaille entre l’écroulement de leurs marges et l’absence de perspectives réelles, les pouvoirs publics auront bien du mal à convaincre les officinaux qu’ils peuvent en confiance s’engager dans les nouvelles missions que leur offre la loi HPST. A défaut, la réforme, indispensable, de la filière et de l’offre des soins de premiers recours risque d’attendre longtemps. L’hôpital, en la matière, peut muscler ses urgences, car il aura fort à faire demain ! Pour l’heure, les officinaux devront attendre le 3 novembre prochain pour être fixés sur leur sort. Avec les déficits abyssaux qu’affiche la Sécu, la barre des 300 millions demandés pourrait rapidement être ramenée à des niveaux beaucoup moins porteurs, si ce n’est d’amertume et de rancœur.
Jean-Jacques Cristofari
(1) les laboratoires internationaux de recherche (LIR[1]), pour qui « la généralisation du TFR consisterait à appliquer un tarif de remboursement unique à l’ensemble des produits d’un même groupe générique, fixé au niveau du prix des génériques. Les prix des produits princeps pourraient ou non être alignés sur les TFR, selon les décisions de chaque entreprise pour chaque produit, sans impact sur le coût pour l’assurance maladie. »
(2) 279 établissements d’hospitalisation pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) font depuis 2009 l’objet d’expérimentation de réintégration des médicaments dans le forfait soins des patients. Les résultats de cette expérimentation n’étant pas probant fin 2010, elle a été reconduite jusqu’en 2013. Seul point positif, les établissements concernés ont depuis un an testé le travail de coordination encouragé par la présence d’un pharmacien référent « expert en médicaments » dans les maisons de retraite.
(3) « La marge officinale doit effectivement être revalorisée mais sûrement pas en validant un principe qui inévitablement va nous conduire au TFR généralisé », estime en octobre Pascal Louis, président du Collectif des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO)
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