PLFSS 2012 : attentes et inquiétudes des acteurs la chaîne du médicament

by Jean Jacques Cristofari | 29 octobre 2011 19 h 37 min

[singlepic id=320 w=320 h=240 float=left]Le Projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2012, qui achève son 1er tour à l’Assemblée nationale cette semaine avant de partir en navette au Sénat, devrait voir ses hypothèses économiques initiales démenties par les faits. Les acteurs de la chaîne du médicament, grossistes répartiteurs et pharmaciens d’officine s’inquiètent pour leur avenir économique. Le budget de la Sécu pourrait faire les frais d’un nouveau plan de rigueur en vue de respecter les engagements de la France en matière de déficits.

Alors même que les députés achèvent de débattre de la future loi de financement de la Sécurité sociale[1] pour 2012, avant que les sénateurs ne se saisissent à leur tour du texte, les hypothèses sur lesquelles se sont appuyés les calculs du gouvernement ont déjà perdu de leur actualité et de leur pertinence. Car la croissance, assez faible pour l’année qui s’achève, ne sera pas au rendez-vous de l’année des présidentielles. De 1,75 %, selon les prévisions initiales, elle est déjà ramenée à 1 %, niveau qui sera en vigueur outre-Rhin. Autant dire que la récession frappe désormais à notre porte, comme à celle de l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne. Aussi, pour respecter les engagements en matière de déficits publics (3 % en 2013), le gouvernement vient d’annoncer qu’il sera contraint pour le budget général de la France de trouver entre 6 et 8 milliards de recettes ou d’économies en plus. La sécurité sociale pourrait ne pas échapper à une quête similaire.

Des prévisions rendues caduques

Car comme le rappelle la commission des affaires sociales du Sénat le 27 octobre lors d’un débat sur l’évolution des prélèvements obligatoires, quelque « 822 milliards d’euros sont prélevés sur les Français en impôts et cotisations sociale, dont 450 sont destinés à la Sécu, soit 24 % du PiB ». « Les trois quarts de ces prélèvements sont directement liés à l’évolution de la masse salariale », note à cet égard le Rapporteur Général de la commission des affaires sociales du Sénat, Yves Daudigny. Dans sa présentation du PLFSS pour 2012[2], le 22 septembre dernier, le gouvernement fait ainsi état d’une prévisions de la croissance de la masse salariale « dorénavant anticipée à 3,7% au lieu de 4,5%. » Un calcul, souligne le même rapporteur, qui « paraît, en l’état actuel, totalement illusoire, toute surestimation alimentant directement les déficits futurs. » Avec une croissance à la baisse et un chômage qui repart à la hausse (2,78 millions d’individus fin septembre et un taux de chômage attendu de 9,7 % fin 2012), il y a peu de chances que l’objectif de recettes de cotisations effectives de 241,3 milliards fixé initialement dans le PLFSS 2012 (1) soit atteint. Avec lui s’imposera donc l’ardente obligation de trouver de nouvelles recettes à celles déjà programmées à défaut de devoir une fois encore baisser les dépenses et donc les prestations servies au Français.

[singlepic id=317 w=320 h=240 float=left]Répartition pharmaceutique : une qualité de service menacée

Dans ce contexte budgétaire pour le moins flottant, les acteurs de l’aval de la chaîne du médicament font valoir qu’ils ne souhaitent pas servir de variables d’ajustement aux déficits en cours ou à venir. Les grossistes répartiteurs, réunis le 19 octobre dernier à Paris par leur syndicat, le CSRP (2) ont par avance fait savoir qu’ils ont sur les cinq dernières années perdu 10 % de leurs ressources et « qu’ils ne pourront plus longtemps encore garder la qualité de leurs services si les ressources continuent de s’éroder année après année », comme le souligne Emmanuel Déchin, secrétaire général de la Chambre. « Le marché de la répartition fait face à un chiffre d’affaires qui stagne et des marges qui diminuent inexorablement, sous l’effet conjugué des mesures visant à réduire le coût des dépenses de médicament et d’un système de marge dégressive lissée déconnecté de l’actuel mix produit qui voit l’essor des génériques et des médicaments innovants », note de son côté une récente étude des Echos consacrée à la distribution du médicament en France. Ainsi de 6,45 % en 2006, le taux de marge brute des grossistes après contribution et avant remise a chuté à 5,64 % en 2010, ces derniers peinant désormais à livrer des médicament pour un coût moyen de distribution estimé à 0,56 euro par boîte. Certes la baisse constante des marges de la répartition a été partiellement compensée par le développement de prestations de services aux laboratoires comme aux officines, mais leur coeur de métier, l’achat, le stockage et la logistique de produits vendus aux officines (3) s’est trouvé fragilisé année après année : en premier lieu du fait de la croissance des génériques, souvent vendus directement par les fabricants aux officines ou à leurs groupements, puis à cause de l’effondrement des ventes de produits pharmaceutiques en général, constaté depuis 3 ans et qui devrait se poursuivre (voir tableau ci-après) à l’avenir.

(Source : « La distribution du médicament en France. Distribution pharmaceutique de gros et de détail : enjeux et mutations des modèles économiques », Eurostaf Les Echos, octobre 2011)

Entre ces deux mouvements, les répartiteurs auront vu les pouvoirs publics instaurer une « tranche zéro (!) pour les produits supérieurs à 400 euros » qui, dans le contexte actuel, devrait normalement les conduire à ne plus distribuer ces produits. Sans compter une loi dite de modernisation de l’économie qui aura privé les répartiteurs de 20 % de leur résultat, comme le souligne le président de la CSRP, Claude Castells, par ailleurs président de l’OCP, leader en France de son secteur. « Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, poursuit ce dernier, les pouvoirs publics nous annoncent désormais une baisse de marge, de l’ordre de 40 millions d’euros. Soit 25 % du résultat actuel de la répartition. Ce qui, à l’horizon 2014, représentera 60 % du résultat de la répartition, une économie déjà exsangue. » Une contribution de la répartition aux économies budgétaires recherchées qui ne manquera pas de fragiliser un peu plus encore cet « outil de service public » largement méconnu des Français, qui ne savent pas que 99 % de leurs médicaments arrivent à l’heure chez leur pharmacien !

Croissance zéro pour le médicament

Du côté des officines, qui voient également leur économie marquer le pas, les attentes concernent le nouveau mode de rémunération qui doit désormais être attaché à ces missions nouvelles que leur confère la loi HPST votée en 2009. Car les pharmaciens de quartier et de campagne vivent désormais la décélération continue de leurs ventes, avec une croissance zéro en 2010 et 2011, sans que la médication officinale associée au libre accès des médicaments dits OTC n’ait pu leur servir de nouveau relais de croissance. Fin juin, les ventes sur prescription de médicaments se situent ainsi en France, selon IMS Health, à 11,7 milliards d’euros, en baisse de 0,3 % sur le 1er semestre, comparé à 2010. En unités vendues (1,432 milliards de boîtes), la chute est même plus forte (-1,2 %), traduisant un mouvement général de baisse de la consommation de produits pharmaceutiques. Les médecins traitants, généralistes en tête, alimentent moins le marché officinal de leurs prescriptions (la baisse de ces dernières est de 3 %) et seuls l’hôpital et les spécialistes, qui génèrent 38 % des ventes de l’officine, sauvent la mise de cette dernière, avec des progressions respectives de 7,9 % et 2,5 % (voir tableau ci dessous). Et si le générique progresse au fil des années, il ne représentent toujours que 14 % du marché en valeur, loin derrière ce qui se pratique chez nos voisins européens.

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Source: IMS Health – SDMSpé & LMPSO GEN CMA Décembre 2010

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Un modèle économique en plein bouleversement[singlepic id=319 w=320 h=240 float=right]

Autant dire qu’avec une croissance zéro programmée en 2012 sous l’emprise d’un objectif national de dépenses maladie (ONDAM) de 2,8 %, adossé à un plan d’économies de 2,2 milliards d’euros pour l’an prochain (contre 2 milliards cette année) dont 770 millions porteront sur le médicament (voir PLFSS 2012 : la résistance s’organise dans les rangs de la pharma), l’étau se resserre chaque mois un peu plus sur le monde officinal. « Le modèle économique est en train de changer », plaide à cet égard Gilles Bonnefond (photo), président de l’USPO (4) pour qui la profession doit désormais évoluer en se saisissant des opportunités offertes par la loi HPST qui a définit les missions de l’officine. « Le pharmacien est capable de s’investir dans de nombreux dossiers, poursuit le syndicaliste. Il peut relever des challenges car il est organisé et réactif. ». Reste qu’il faudra au même pharmacien apprendre à sortir de la rémunération à la marge, au pourcentage, et accepter d’être honoré pour partie (25 % suggèrent de concert les syndicats d’officinaux) pour des actes de conseil, de dépistage, de prévention, d’accompagnement des patients ou d’éducation thérapeutique, au besoin avec paiement à la performance, comme l’ont accepté les médecins. Un changement de paradigme que les officinaux anglais ont déjà effectué et que leurs homologues français doivent se préparer à faire. Dans cet objectif, il faudra encore signer une convention avec l’assurance-maladie qui fixe les nouvelles règles du jeu et les rémunérations. Depuis le 27 octobre, la voie a été ouverte par le parlement, l’Assemblée nationale ayant voté l’article 39 du PLFSS qui autorise une part d’honoraire dans la rémunération des pharmaciens. Avec cet lui, les actes de dispensation, le paiement à la performance et la marge commerciale composeront le nouveau mode de rémunération des officinaux. « Que de belles perspectives pour la profession », souligne de son côté Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) le 23 octobre à la clôture de son 64ème Congres à Bordeaux. Reste désormais aux uns comme aux autres à boucler rapidement leur convention avec l’assurance-maladie. Car faute d’un rapide ballon d’oxygène, le nombre de dépôts de bilan ou de faillites pourrait continuer continuer sa progression dans les rangs de pharmaciens qui savent qu’ils ont mangé leur pain blanc, jusqu’à la croute.

Jean-Jacques Cristofari

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(1) Recettes par catégorie et par branche des régimes obligatoires de base de sécurité sociale :

(Source : Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012, état des recettes par catégorie et par branche, Annexe C)

(2) Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, qui représente les 183 établissements, qui stockent 30 000 références, distribuent 650 000 boîtes par jour et vendent aux officines 2 milliards de produits par an, soit 76 % des flux des laboratoires pharmaceutiques.

(3) les grossistes-répartiteurs assurent l’approvisionnement des pharmacies d’officine à hauteur de 83 % des ventes officinales, les 17 % restant passant par des ventes directes pour l’achat des produits d’automédication et
des médicaments génériques. (Source : « La distribution du médicament en France. Distribution pharmaceutique de gros et de détail : enjeux et mutations des modèles économiques », Les Echos, octobre 2011)

(4) Union des syndicats de pharmaciens d’officine

Endnotes:
  1. loi de financement de la Sécurité sociale: http://pharmanalyses.fr/secu-un-projet-de-loi-pour-2012-qui-ne-regle-en-rien-les-dettes/
  2. présentation du PLFSS pour 2012: http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/11544.pdf

Source URL: http://pharmanalyses.fr/plfss-2012-attentes-et-inquietudes-des-acteurs-la-chaine-du-medicament/