by Philippe Rollandin | 24 novembre 2014 13 h 39 min
[singlepic id=1000 w=300 h=220 float=left]Le nouveau directeur général de la CNAM arrive aux commandes alors que se profile la loi santé dont un des axes est de dépouiller l’Assurance-maladie de ses prérogatives au profit de l’Etat. Sa mission est-elle de poursuivre la stratégie de gestion du risque initiée par son prédécesseur et de médicaliser le parcours de soins ou de liquider la Sécurité sociale et d’organiser l’étatisation du système ?
Une fois n’est pas coutume mais la nomination de Nicolas Revel (à g.sur la photo) à la direction générale de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) et de l’Union nationale des Caisses d’Assurance-maladie (UNCAM) pour succéder à Frédéric Van Roekeghem s’est faite sans heurt, ni polémique. Elle est passée comme une lettre à la poste, bénéficiant d’un affranchissement du Conseil d’orientation de l’UNCAM. Ce passage – en douceur – de témoin est l’occasion de s’interroger sur le bilan du sortant et sur les perspectives de l’entrant.
De Marisol Touraine aux médias, en passant par les syndicats de médecins, tout le monde a salué l’action de Frédéric Van Roekeghem. De fait, lorsque ce spécialiste des questions d’armement débarque à la Caisse nationale, il prend la barre d’un paquebot qui sort juste d’un carénage de fond, du fait de la réforme de l’Assurance-maladie de 2004. On n’est jamais si bien servi que par soi-même doit être sa devise. En effet, en sa qualité de directeur de cabinet du Ministre de la santé, il avait taillé le nouveau costume de directeur général de l’Assurance-maladie à sa mesure. Comme cela a été dit dans nos colonnes[1], avec la réforme de 2004, ce qui restait de la gestion par les partenaires sociaux de la Sécurité sociale a été réduit à néant, ne laissant substister qu’un Conseil d’orientation, prié de ne rien orienter et laissant le directeur général – nommé par l’Etat – diriger « la boutique », négocier avec les professions de santé et gérer les relations avec l’Etat. Sur ces trois plans, les 10 années de Frédéric Van Roekeghem (photo) ont été toujours fécondes, souvent tonitruantes et parfois rock and roll. [singlepic id=997 w=220 h=160 float=right]Sous sa férule, l’Assurance-maladie a connu une profonde mutation, passant du rôle de payeur aveugle à celui de gestionnaire actif du risque, appuyé par un service médical renforcé et professionnalisé et un service de lutte contre la fraude, créé de toute pièce. Débarrassés de la tutelle encombrante et parfois clientéliste de leur conseil d’administration, les directeurs des caisses primaires sont passés à l’offensive sur la gestion des dépenses et à l’encontre des médecins grâce à l’informatique – la CNAM ayant enfin découvert son existence – et surtout parce qu’ils savaient être soutenus, et même encouragés, par leur direction nationale. Frédéric Van Roekeghem a défendu son territoire en passant ou plutôt en imposant un deal à l’Etat aux termes duquel ce dernier gère en direct l’hôpital – la CNAM n’étant qu’une caisse payeuse – tandis que l’Assurance-maladie se charge des professions libérales de santé. C’est ce partage implicite des rôles qui lui a valu d’être souvent qualifié de « proconsul ».
Nouveau paradigme et victoire à la Pyrrhus
Fort du cadre défini par la loi de 2004 – création du parcours de soins coordonné – et de la feuille de route annuelle que constituent les lois de financement de la Sécurité sociale fixant, en particulier, l’Objectif annuel des dépenses de santé (ONDAM), « Rocky » – son autre surnom – a géré son consulat avec une main de fer dans un gant qui n’était pas toujours de velours. A son arrivée en 2004, le système conventionnel est sens dessus-dessous, éclaté entre une convention généraliste fonctionnant a minima parce que « le médecin référent » imposé par le gouvernement de Lionel Jospin est boudé par une majorité de médecins et un règlement conventionnel minimum pour les spécialistes, en substitution d’une convention annulée pour d’obscures raisons juridiques. L’enjeu est alors de faire rentrer tout ce petit monde dans un même moule, instaurer une coordination des soins entre médecins traitants et médecins correspondants en les amenant à partager les informations et à respecter des objectifs de maitrise médicalisée. Vaste programme aurait dit le Général de Gaulle !
Négociateur redoutable et infatigable, FVR engage une négociation marathon avec les syndicats de médecins et plus particulièrement avec la CSMF et le SML, les deux organisations ayant gagné les élections professionnelles de l’année précédente. Au terme d’un nombre incalculable de jours et de nuits de négociation, ponctués par ce qu’il faut de crises de nerfs et de menaces de rupture, la Convention 2005 accouche dans la douleur, mais elle accouche. Ce nouveau contrat entre l’Assurance-maladie et les médecins est à la fois un nouveau paradigme et une victoire à la Pyrrhus pour le « proconsul ».
Un nouveau paradigme parce que, pour la première fois, les médecins s’engagent à se concerter et à échanger des informations sur les patients qu’ils traitent en commun, en particulier, ceux qui relèvent du régime des ALD. Pour la première fois aussi, ils s’engagent sur des objectifs de maitrise des dépenses de santé (prescriptions ciblées, arrêts de travail, etc.). Une victoire à la Pyrrhus parce que pour amener les médecins à jouer le jeu du parcours de soins coordonné et de la maitrise médicalisée, il a fallu mettre beaucoup d’argent sur la table à travers des revalorisations et une construction tarifaire qui fait de la nomenclature des actes une véritable usine à gaz. Au total, pour espérer obtenir 1 milliard d’euros d’économies, l’enveloppe – pour ne pas dire la carotte – tarifaire s’est élevée à 700 millions d’euros. Pour Frédéric Van Roekeghem, c’était le prix à payer pour enclencher une dynamique. C’était aussi un prix politique. Après avoir malmené les médecins en 1996 avec les Ordonnances Juppé, Jacques Chirac avait entrepris la reconquête de cette électorat perdu ; cycle qui se terminait par ce nouvel accord.
Fin de la lune de miel[singlepic id=998 w=260 h=180 float=left]
Avec la Convention 2011, le rapport de force s’est inversé au profit du directeur général. Le texte ne modifie qu’à la marge le mécanisme du parcours de soins, et ne prévoit quasiment pas de revalorisations. Mais il introduit la fameuse RSOP, la rémunération sur objectifs de santé publique. Et c’est une véritable révolution pour trois raisons. D’abord, parce que, pour la première fois, une partie de la rémunération des médecins est versée directement par les caisses en fonction de la réalisation d’objectifs de qualité. Ensuite, parce que si le cadre de la RSOP est collectif, le contrat est individuel. FVR a vite compris que les engagements collectifs n’engageaient pas grand monde. La maitrise médicalisée est un demi-échec ou un demi-succès. En effet, en moyenne, les objectifs définis chaque année entre les médecins et les caisses ne sont réalisés qu’à 50 %. Dès 2007, « le proconsul » mesure l’ampleur des dégâts. Il décide que les revalorisations d’honoraires dépendront des résultats de la maitrise médicalisée. En 2005, il avait payé pour voir. Désormais, il veut voir avant de payer. C’est la fin de la lune de miel avec les syndicats de médecins. La RSOP est clairement une manière de passer par-dessus la tête des syndicats et d’amorcer un processus de conventionnement individuel que l’on retrouve, en partie, dans la loi santé de Marisol Touraine…
Enfin – et c’est logique – la prime ROSP se substitue aux revalorisations des actes. Chaque année, la Caisse nationale ne manque pas de communiquer, qu’en moyenne les médecins reçoivent un chèque de 5 à 6000 euros…, une bonne manière de contrer les demandes de revalorisation. Cette prise de contrôle ne s’est pas faite sans difficulté. Les syndicats de médecins ayant leur entrée au ministère de la Santé et même au dessus, ils ne se sont pas privés d’aller y chercher du réconfort et du soutien. Frédéric Van Roekeghem a eu des relations tendues et des bras de fer avec tous les ministres qui se sont succédé avenue de Ségur. Il les a souvent gagnés et parfois perdus, comme avec Marisol Touraine qui lui a imposé de conclure la négociation sur l’encadrement des dépassements d’honoraires.
Des dépenses maladie sous contrôle
10 ans plus tard, quel est le bilan du médecin traitant et du parcours de soins ? En 2013, la Cour des comptes a, dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale, considéré la réforme « inaboutie » parce que « les problématiques tarifaires ont prévalu sur la question, pourtant centrale, du contenu médical du parcours de soins ». De fait, le parcours de soins est un parcours de santé tarifaire. 90 % des assurés ont un médecin traitant et suivent le parcours de soins parce qu’il assure un meilleur remboursement et les médecins bénéficient de différentes majorations liées à la coordination des soins. Mais la non médicalisation du parcours de soins n’est pas imputable à l’Assurance-maladie. Pour médicaliser le parcours de soins, il faudrait d’une part développer les protocoles de soins, les rendre opposables et les placer au centre de la relation médecins traitants-médecins correspondants et, d’autre part, mettre en place l’outil d’échange et de partage d’information qu’est le Dossier médical personnel, la clé de toute coordination des soins.
L’Assurance-maladie ne maitrise pas ces deux paramètres. Au fond, elle ne dispose que du levier tarifaire pour faire évoluer les comportements et infléchir les tendances lourdes. C’est peu et pourtant, Frédéric Van Roekeghem a réussi l’impensable : les dépenses de l’assurance-maladie sont sous contrôle. Depuis 3 ans, l’ONDAM est respecté et même sous exécuté alors même que la demande potentielle de soins ne cesse d’augmenter. Le nombre de personnes relevant du régime des ALD et celui des malades chroniques est passé de 9 à 12 millions entre 2008 et 2013. Or, ces 20 % de patients sont à l’origine de 75 % des dépenses. L’activité des médecins augmente faiblement quand elle ne stagne pas, la prescription de médicaments est également sous contrôle au grand dam des laboratoires pharmaceutiques et la part des génériques augmente même s’il reste encore des marges de progression. On peut regretter que ces résultats – encore insuffisants et fragiles – ne soient obtenus que sous la contrainte économique et non par une approche médico-économique. Mais cette faiblesse est la conséquence d’une absence de pilotage stratégique du système et de l’éparpillement des lieux de pouvoir.
[singlepic id=999 w=260 h=180 float=right]Syndic de faillite ou de liquidation
Le nouveau directeur général poursuivra-t-il le travail engagé, aura-t-il les moyens de médicaliser le parcours de soins ? Il en a sans doute l’ambition, mais il n’est pas sûr qu’il en ait les moyens. Nicolas Revel (photo) arrive au mauvais moment, au mauvais endroit. En effet, il prend les commandes du vaisseau amiral de la Porte de Montreuil alors que se profile à l’horizon la loi santé[2] , dont un des axes fort est de retirer à l’Assurance-maladie l’essentiel de ses prérogatives au profit de l’Etat, achevant ainsi le processus d’étatisation du système et le faisant définitivement basculer dans une logique « beveridge ». D’ailleurs – et c’est un symbole – Nicolas Revel arrive directement de l’Elysée où il n’était rien moins que secrétaire général adjoint. Et, si de ce fait, sa vraie mission était d’être le syndic de faillite ou plutôt de liquidation de l’Assurance-maladie en tant qu’institution et grande conquête de la Libération ? Selon la version actuelle du projet de loi, il ne restera à l’Assurance-maladie que la négociation conventionnelle avec les professions de santé, mais vidée de tout contenu stratégique, ainsi que la montée en charge du DMP, que lui a confiée Marisol Touraine, sans doute pour l’occuper un peu…
De son coté, Frédéric Van Roekeghem a pris la direction générale de MSH-International qui assure la couverture santé de 330 000 personnes et 2000 entreprises réparties dans 194 pays. C’est bien modeste comparé aux 65 millions d’assujettis à la Sécurité sociale, mais au moins, il fera de la gestion du risque et en prime il voyagera…
Philippe Rollandin
Source URL: http://pharmanalyses.fr/nicolas-revel-a-la-tete-de-lassurance-maladie-stratege-ou-syndic-de-faillite/
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