by Jean Jacques Cristofari | 30 octobre 2012 22 h 30 min
[singlepic id=577 w=320 h=240 float=left]Dans un premier ouvrage paru en 2010 (1), le président du LEEM (photo) annonçait le « temps des alliances » avec le monde de la pharma (2). Mais c’était une autre époque, antérieure à l’affaire du Mediator. Dans son dernier ouvrage, il témoigne sur les années écoulées qui ont fortement secoué la branche et brouillé son image, et nous explique comment le modèle économique de la pharma est en train de changer fondamentalement. A l’heure où le président de Sanofi France se trouve face au plus sérieux conflit social de l’histoire du 4ème laboratoire mondial, il nous invite à sortir du « grand malentendu ». Retour sur ce que son auteur qualifie de déambulation intellectuelle, qui est à la fois un témoignage et un testament.
Il est des livres qui sortent opportunément en librairie. La dernière production de Christian Lajoux, président du LEEM – jusqu’en fin 2012 – et de Sanofi France n’échappe pas à la règle. Sa distribution aura précédé de quelques jours les débats parlementaires sur le Projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2013, un texte qui projette de réaliser quelque 876 millions d’euros d‘économies sur les médicaments et les dispositifs médicaux, essentiellement par des baisses de prix. Mi-octobre, le patron du LEEM rappelle volontiers aux pouvoirs publics par l’entremise d’une campagne de presse que « l’industrie du médicament est une chance qu’il ne faut pas gâcher », qu’elle est « un atout stratégique pour la France » que le même PLFSS pour 2013 pourrait une nouvelle fois affaiblir. Une affiche, largement diffusée dans la presse régionale, rappelle à l’envie que le secteur industriel du médicament emploie dans notre pays 103 000 personnes, rassemble dans ses centres de recherche et développement 20 000 autres salariés, représente plus de 200 sites de production et exporte la moitié de ce qu’il produit en générant un excédent commercial de plus de 6 milliards d’euros. Une manière habile de souligner, en ces temps de crise, que la pharma est un secteur qu’il ne faut pas fragiliser. La démonstration aura été faite à maintes reprises durant et depuis les élections présidentielles[1], mais les signes adressés aux dirigeants de la pharma, en particulier ceux des big pharma internationales installées dans l’Hexagone, ne les auront pas vraiment rassurés. Plus que jamais, le médicament semble être devenu en France, comme dans la plupart des pays développés – en particulier en Allemagne – la nouvelle variable d’ajustement des dépenses de santé. En particulier quand les régimes de protection sociale souffrent d’un manque de recettes !
Reconstruire un système transparent [singlepic id=580 w=200 h=140 float=right]
Cette crise qui n’épargnait pas la pharma jusqu’à une date récente – 2010 – semble désormais rattraper la branche et accélérer la mutation de son modèle économique (voir plus bas). Mais elle s’accompagne d’une autre crise, cette fois interne au secteur et que l’affaire Mediator[2] a particulièrement mise en évidence. Le livre de Christian Lajoux s’ouvre donc sur ces moments particulièrement difficiles et tendus qu’auront vécus, à ses côtés, les industriels du médicament, industriels qu’il fait témoigner sur le limogeage du laboratoire Servier – 1er labo français indépendant, éternel franc-tireur aux méthodes commerciales très décriées – des rangs du LEEM. Une décision qui aura été prise au sein du syndicat professionnel à l’unanimité moins deux voix. « La position des industriels est claire, sans ambigüité », note le patron du LEEM. « Ils sont unis, et ce n’était pas simple (…), dans la volonté de prendre des distance avec Servier et de participer plus sereinement à la reconstruction d’un système transparent ». Reste que la transparence[3] n’a jamais été le point fort de cet univers pharmaceutique (3) et qu’il aura fallu les coups de butoir répétés des plus farouches opposants de la pharma – réunis dans un club très fermé, qui rassemble pêle-mêle la revue Prescrire, certains membres de l’IGAS, l’association Que –Choisir et depuis peu les inséparables Prs. Debré et Even[4] – pour que ses représentants décident de créer leur propre Comité de Déontovigilance[5]. A l’actif de Christian Lajoux, on mettra cette volonté tenace de sortir des « consensus mous » et d’impulser ce qu’il nomme un « nouvel aggiornamento ». En un mot de redresser l‘image de la pharma[6] en France.
Son livre revient ainsi sur les nombreuses propositions émises par le LEEM sous sa présidence et la volonté de son institution de « faire toute la lumière sur la pratique de [ses] entreprises », mais également de « faire intégrer dans le projet de loi [qui réformera la gouvernance du médicament et donnera naissance à l’Agence nationale de sécurité du médicament] la prise en compte des logiques économiques des entreprises internationales ». « La crise du Mediator[7] a frappé l’ensemble des acteurs du système de santé en jetant une lumière crue sur des méthodes, sur des attitudes, qui, quoique marginales, n’en sont pas moins irrecevables », conclut le président du LEEM sur ce chapitre délicat, en ajoutant : « Mais elle nous aura au moins permis de donner un formidable coup d’accélérateur à des réformes déjà en gestation ». Reste désormais aux industriels de démontrer qu’ils s’inscrivent dans cette volonté de transparence et d’aggiornamento, sans faux semblants ni détours, en particulier quand les autorités sanitaires, les pouvoirs publics ou les patients leur demanderont des explications, sinon des comptes, sur leurs pratiques.
La fin d’un cycle[singlepic id=578 w=200 h=140 float=left]
Au-delà des réponses que le patron du LEEM apporte aux récentes crises qui ont secoué sa branche – grippe H1N1[8], affaire Mediator[9] avec ses Assises du médicament[10] -, au fil desquelles il règle quelques comptes en donnant sa lecture des évènements, le président de Sanofi France revient sur le « modèle économique de la pharma ». Un modèle qui marque la fin d’un cycle – celui du règne des blockbusters – et qui impose de nouvelles orientations aux entreprises du médicament. « Notre modèle actuel s’épuise, confirme ce dernier en confiant que les marchés européens – et, à un moindre degré, américain – offrent peu de perspectives de croissance[11]. Aussi le développement de la médecine personnalisée changeant « radicalement le modèle de retour sur investissement » – car il s’agit de molécules au prix élevé, qui ciblent des pathologies et qui sont conçues en quelque sorte sur mesure pour les patients -, Christian Lajoux invite les industriels du secteur à s’inscrire dans un « schéma de rupture ». « Il faut nous inscrire dans la bataille industrielle des nouvelles technologies, des cellules souches, des biomarqueurs, des détecteurs, bref de l’ensemble des dispositifs « compagnons » des médicaments, et faire en sorte que les nombreux brevets élaborés en France ne se retrouvent pas dans des processus de pré-industrialisation chez nos voisins proches ou en Asie du Sud- Est » note-t-il à cet égard. Mais s’il invite à une « innovation de rupture », qu’un laboratoire comme Roche cultive avec succès depuis des années, il confie également que le sort de la pharma se joue désormais grandement à l’Est, en Russie, en Inde[12], et en Chine[13], et à l’Ouest, sur le continent Sud-Américain, au Brésil et au Mexique. « L’industrie pharmaceutique n’échappe pas à ce vaste mouvement général : la croissance de son chiffre d’affaire s’effectuera désormais dans les pays émergents ». Aussi, face à une économie du médicament[14] qui « se déplace inéluctablement », le risque de voir nos unités de productions passer la frontière grandit de jour en jour. « La tendance aux délocalisations dans ces pays peut être liée aux coûts de revient, à la qualité de la recherche ou de la production qui y sont possibles », avoue Christian Lajoux qui n’oublie pas «les exigences nationales qui s’y expriment». L’heure est plutôt à la conquête des marchés émergents[15], même si les pays développés représentent encore plus de 70 % du marché mondial. Reste que les plus forts taux de croissance de la branche s’enregistrent désormais bel et bien dans les BRIC[16] où les big pharma savent qu’elles doivent y investir pour « créer de la valeur ». Sans compter comme le confirme l’observateur de sa branche que « l’innovation n’est plus tirée par un seul modèle dominant, mais par des modèles provenant souvent des pays développés ». Etrange propos qui fait contraste avec la récente campagne de communication[17] lancée en septembre par le LEEM, présidée par Christian Lajoux jusqu’en fin décembre 2012 !
Cette analyse trouve un éclairage particulier à la lumière des conflits que vit Sanofi[18] depuis quelques semaines. Le groupe s’apprêterait-il à « lâcher » ses propres chercheurs pour poursuivre des alliances externes avec les biotechs et le monde de la recherche publique, voire pour délocaliser ces centres là où se trouvent ses futurs marchés ? Réponse en février ou mars 2013, lors de la présentation des résultats du champion national par son directeur général, Chris Viehbacher. D’ici là le président de Sanofi France entend jouer, comme à son habitude, la carte de l’apaisement et dément toute velléité de délocalisation des activités de sa maison-mère.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Le médicament, enjeu du XX1è siècle », collection Santé, éditions Le Cherche Midi, janvier 2010.
(2) « Le progrès thérapeutique ne relèvera pas du seul progrès du médicament. De nouvelles alliances (quelquefois déjà engagées) entre les métiers et les industries de la santé nous permettront de créer les conditions de ce progrès. »
(3) « On fait scandale des « dérives » de l’industrie du médicament, à juste titre. Même si ce n’est pas une excuse, elles apparaissent modestes par rapport à celles du secteur bancaire », écrivait Christian Lajoux en 2010, dans « Le médicament, enjeu du XX1è siècle »
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[singlepic id=579 w=220 h=140 float=left]NB : Dans son livre Christian Lajoux cite le mensuel Pharmaceutiques, un journal que le LEEM soutient depuis sa création, il y a 20 ans, par Daniel Vial, expert bien connu en lobbying pharmaceutique et créateur de PR Editions – éditeur du mensuel – comme de PR International, société spécialisée en communication et en évènementiel. Les deux sociétés ont été vendues en 2004 au groupe IMS, leader mondial des données sur le médicament. Son fondateur est aujourd’hui conseiller spécial de Chris Viehbacher, directeur général du groupe Sanofi, et le mensuel Pharmaceutiques, installé au siège d’IMS à la Défense, est resté le journal de référence des laboratoires pharmaceutiques.
Le LEEM, pour s’assurer de la meilleure pénétration possible de ses thèses et de ses propositions dans les rangs des parlementaires, a des années durant financé quelque 400 abonnements de Pharmaceutiques[19] destinés à ces derniers, pour une « subvention » dont le montant s’est élevé à environ 100 000 euros par an. Le journal d’IMS qui fêtait fin novembre 2012 à Paris son numéro 200 et ses 20 ans, a ainsi été longtemps assuré d’un puissant soutien de la part des représentants des industriels du médicament. Le lobbying a un prix, que les présidents successifs du LEEM ont parfaitement assumé. Le contrat qui liait Pharmaceutiques au LEEM a été dénoncé en 2012. Le journal assoit désormais totalement son financement sur ses abonnements et ses recettes publicitaires.
Source URL: http://pharmanalyses.fr/medicament-christian-lajoux-decrete-l%e2%80%99etat-d%e2%80%99urgence/
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