Médecine libérale : il faut un changement total de cap !

Médecine libérale : il faut un changement total de cap !
janvier 11 20:20 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=355 w=320 h=240 float=left]L’image du médecin qui visse sa plaque et constitue sa patientèle est désormais reléguée aux mythes du passé. La médecine libérale « à papa » est morte. Aujourd’hui seulement 20 % d’une classe d’âge de médecins ouvrent ou rejoignent un cabinet médical libéral, contre 90 % il y a une génération. Pour attirer les médecins dans les zones abandonnées, les communes rivalisent d’imagination et mettent souvent le paquet. Mais installer des médecins dans des cabinets médicaux à l’ancienne est voué à l’échec. Il faut surfer sur l’évolution sociologique et proposer aux jeunes médecins – dans le cadre du nouveau contrat social –  un contrat d’exercice d’intérêt public (CEIP), dans la foulée de ce qui existe avec le contrat de service public proposé aux étudiants en médecine.

La proposition de loi du député centriste Philippe Viguier visant à lutter contre les déserts médicaux devrait être examinée, fin janvier, par l’Assemblée nationale. Ce texte propose de régionaliser le concours de l’internat afin d’amener les médecins à s’installer dans leur région de formation et à ne pas conventionner ceux qui s’installeraient dans les zones sur-dotées. Le constat du député est juste, mais à la manière de Cyrano de Bergerac, on a envie de lui dire, qu’en termes de réponse, « c’est un peu court jeune homme »…Un peu court parce que la question des déserts médicaux doit être intégrée dans une réflexion  générale sur l’évolution de la médecine de ville et prendre en compte l’idée que la médecine libérale est morte.

Les jeunes médecins ne s’installent plus en libéral

L’image du médecin qui visse sa plaque et constitue sa patientèle est un mythe du passé. Les étudiants en médecine ne rêvent plus du cabinet libéral avec secrétaire et pot de fleurs dans la salle d’attente. Depuis quelques années, moins de 10 % des nouveaux diplômés s’installent en cabinet libéral dès leur diplôme en poche. Les autres se tournent vers la médecine salariée ou vers le remplacement qui devient un mode d’exercice à part entière, reconnu comme tel par l’Ordre des médecins. Ils exercent cette forme de médecine volante avant de s’installer à 39-40 ans et encore, le plus souvent en intégrant un cabinet de groupe et/ou pluridisciplinaire déjà constitué. Au final, 20 % d’une classe d’âge de médecins ouvrent ou rejoignent un cabinet médical, contre 90 % il y a une génération…
Fait significatif. En 2011, une petite ville de la Sarthe a vu partir à la retraite ses deux médecins libéraux. La municipalité a d’abord cherché à faire venir des médecins en utilisant les leviers classiques : mise à disposition d’un cabinet, avantage fiscal, logement à prix d’ami, etc. Echec : aucun stéthoscope n’est venu prendre le pouls de la bourgade. La municipalité décide alors de proposer un statut de salarié – 4000 euros net par mois – aux médecins. Les patients paieront les consultations au Trésor public qui reversera les sommes à la commune. Elle a reçu un afflux de candidatures et a pu faire son choix. Un premier médecin s’est installé dès l’été 2011 et le second viendra en 2012…D’autres communes, en mal de médecins, réfléchissent à cet exemple. Cette histoire est emblématique de la profonde évolution du métier de médecin et du regard que les nouvelles générations de médecins lui portent.

Condamnés à faire de l’abattage

[singlepic id=356 w=320 h=240 float=left]Devenu médecin traitant en 2005, le médecin généraliste n’a plus vocation à être seulement un dispensateur de soins. Il doit  aussi être le guide de son patient dans le parcours de soins et son conseiller en matière de prévention et d’éducation sanitaire. En d’autres termes, il doit l’appréhender dans sa globalité et l’aider à gérer sa santé sur le long terme. On est loin du fonctionnement classique fondé sur le tryptique : consultation-diagnostic-ordonnance.
La nouvelle Convention médicale a introduit une petite révolution avec le paiement à la performance. L’assurance-maladie a placé au bout du chemin une carotte de 9000 euros. Mais, pour décrocher le gros lot, le médecin devra s’approcher au plus près d’indicateurs de santé comme par exemple le suivi de ses patients atteints de pathologies chroniques, le taux de vaccination, la prescription d’antibiotiques, etc.
Une autre réforme se met en place en 2012 : le Développement professionnel continu (DPC). Chaque médecin aura l’obligation de suivre un programme de formation continue classique – mise à jour des connaissances –, mais aussi d’évaluation de ses pratiques professionnelles (EPP) qui consiste à se comparer aux pratiques les plus efficientes.
Le problème est que ces évolutions structurelles et structurantes ne sont pas compatibles avec le statut et le système médico-économique actuels.
Avec le paiement à l’acte, les médecins sont condamnés à faire de l’abattage. A 23 euros la consultation, les médecins ne peuvent pas consacrer plus de quelques minutes à leurs patients. Ce stakhanovisme imposé est la cause de l’excès de consommation de médicaments : car faute de temps pour définir une stratégie thérapeutique, la consultation se conclut par une prescription. Il ne permet pas non plus au médecin d’être un vrai médecin traitant, de répondre aux nouvelles missions sociales, de développer une approche clinique approfondie et une prise en charge globale.

Pas assez de spécialistes et mal répartis[singlepic id=354 w=320 h=240 float=right]

N’est-il pas temps de sortir de cette dictature de l’acte médical et de proposer aux médecins un nouveau contrat social ? Ce dernier pourrait être fondé sur trois axes :
–    Des contrats collectifs d’objectifs et de missions clairement définis,
–    Une rémunération différente (forfait, capitation, salariat, etc..) permettant de remplir ces missions, correspondant au niveau de formation – 10, 12 ou 14 ans – des médecins, à leurs responsabilités et aux attentes sociales,
–    Un recentrage sur leur cœur de métier avec délégation de tâches à d’autres professionnels de santé. Un généraliste n’a pas vocation à faire de la vaccination antigrippale et un ophtalmologiste à dépister la vue à tour de bras. Comme le déclarait le Pr. Guy Vallencien, de l’Institut mutualiste de la Porte de Choisy et de l’Université Paris-Descartes, lors des Etats généraux de la formation médicale (1) : « il faut adapter la formation médicale à l’évolution technologique et revoir le cursus pour intégrer la connaissance des matériels. On apprend les choses du passé alors qu’on a les outils de l’avenir. Le docteur en médecine doit se concentrer sur ce qui constitue le cœur de son métier, c’est-à-dire l’esprit de décision et déléguer le reste à d’autres professionnels de santé en situation d’appliquer les normes alors que son rôle à lui est justement de pouvoir déroger aux normes ».

Dégager du temps médical est une des réponses au défi démographique qui se pose en termes plus complexes qu’on le croit. Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas et il n’y aura pas une pénurie générale de médecins, même si un creux démographique aura lieu entre 2015 et 2020. La réalité est qu’il y a une inégale répartition géographique des médecins et un déficit dans certaines spécialités. Depuis quelques années, l’assurance-maladie, les Pouvoirs publics et les collectivités locales s’efforcent de corriger ces déséquilibres à grands coups de mesures incitatives à l’installation dans les zones sous-médicalisées aussi coûteuses qu’inutiles quand elles ne sont pas tout simplement des effets d’aubaines, telle la majoration de 20 % des honoraires qui a coûté 20 millions d’euros pour faire bouger une poignée de médecins et a profité à ceux déjà installés dans les zones concernées. Les collectivités locales financent des cabinets médicaux et partent à la chasse au médecin en France et même hors des frontières, particulièrement en Roumanie, le médecin roumain faisant moins peur que le fameux plombier polonais. Elles reviennent souvent bredouilles et quand elles attrapent l’oiseau rare, celui-ci s’enfuie rapidement de sa cage dorée : problème d’adaptation, de culture, etc.

Un contrat d’exercice d’intérêt public

[singlepic id=357 w=320 h=240 float=left]Toute politique de rééquilibrage démographique fondée sur une volonté d’installer des médecins dans des cabinets médicaux à l’ancienne, façon Dr Knock, est vouée à l’échec. Il faut surfer sur l’évolution sociologique et proposer aux médecins – dans le cadre du nouveau contrat social –  un Contrat d’exercice d’intérêt public (CEIP).
A la fin de leurs études, les nouveaux médecins devront s’engager à exercer, pendant 5 ans, soit dans une structure médicale prédéterminée, soit dans plusieurs sites en optant pour un statut de salarié, de vacataire, ou d’honoraires en capitation. A l’issue de ces 5 années, le médecin aura la possibilité de reconduire son contrat pour une durée indéterminée et de changer de statut (passer du salariat à la vacation ou la capitation ou.. l’inverse) ou de s’installer à l’endroit de son choix.
Ceux qui refuseront de signer ce contrat seront libres de s’installer où ils le souhaitent, mais ils ne seront pas conventionnés pendant les 5 premières années de leur activité, sauf s’ils remboursent à l’Etat, le coût de leur formation.
Ce système d’obligation de service public s’inspire d’une pratique en vigueur dans la haute fonction publique. A l’issue de leur formation, les jeunes hauts fonctionnaires ont l’obligation de travailler, pendant plusieurs années, pour l’administration. S’ils souhaitent se soustraire à cette obligation et rejoindre le secteur privé, ils doivent racheter leurs années de formation. Cette somme est connue sous le sobriquet de « pantoufle ». D’où la célèbre expression « aller pantoufler dans le privé » qui ne signifie pas trouver un poste tranquille dans le secteur privé.

Un new deal social avec les médecins[singlepic id=358 w=320 h=240 float=right]

Le CIEP constituerait un profond changement du statut du médecin de ville et de son rôle social. Il est important, pour qu’il soit accepté, que les étudiants en médecine en soient informés dès le début de leur cursus et que tout au long de leurs études, des informations sur les opportunités de postes et les implications du choix de statut leur soient délivrées afin qu’ils ne les découvrent pas une fois leur diplôme en poche.
Une amorce de ce contrat d’intérêt public pour les médecins existe depuis 2010. Dans le cadre d’un contrat de service public (CSP), les étudiants en médecine reçoivent une bourse de 12 000 euros et, en échange, s’engagent à s’installer dans une zone déficitaire. Pour des raisons budgétaires, quelques centaines seulement de CEP sont proposés. Le CIEP serait un prolongement et s’inscrirait dans le nouveau contrat social.
Seul, un deal social avec les médecins permettra de régler le problème de l’équilibre démographique. Les Agences régionales de santé (ARS) préparent de nouveaux schémas régionaux d’organisation sanitaire qui intégreront, pour la première fois, la médecine ambulatoire en déterminant la carte sanitaire des maisons de santé pluridisciplinaire. Or, les ARS n’ont pas de visibilité sur la répartition des médecins sur leur territoire. Le risque est de créer des structures qui ne fonctionneront pas, faute de médecins. A l’évidence la médecine de demain ne se fera pas avec les approches et les organisations d’hier.

Philippe Rollandin

(1) Les Etats généraux de la formation médicale se sont tenu les 8 et 9 décembre 2011 à la faculté de médecine de Bobigny à l’initiative de  la Conférence des Doyens des facultés de médecine.

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