by Jean Jacques Cristofari | 10 octobre 2011 9 h 38 min
[singlepic id=307 w=300 h=298 float=left]Le projet de loi sur la réforme des médicaments, présenté par Xavier Bertrand, a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale par 309 voix pour et 31 voix contre, avant de poursuivre sa navette vers le Sénat où l’attend la nouvelle majorité socialiste. Si le texte qui devrait prendre effet au 1er janvier 2012 ambitionne d’éviter les conflits d’intérêts entre experts, professionnels de la santé et industrie pharmaceutique, il laisse encore ouvertes bien des questions. Par avance, les industriels du médicament ont fait savoir qu’ils entendaient assortir leurs relations extérieures de nouvelles règles déontologiques.
Si, comme l’a souligné le ministre de la Santé, à l’issue du vote en première lecture à l’Assemblée nationale, « l’abstention du groupe socialiste avait un sens », c’est bien que les gouvernements du moment comme ceux du passé ont tous une part de responsabilité dans ce qui a provoqué la nécessité d’une nouvelle gouvernance du médicament en France, entendu dans l’affaire Mediator. Une affaire qui vient de conduire un président de laboratoire pharmaceutique – le Dr Jacques Servier – au tribunal pour les raisons que l’on connait[1], et qui constitue un scandale sanitaire sans équivalent depuis l’affaire du sang contaminé. « Nous avons les bases d’un système rénové », a ajouté Xavier Bertrand, pour qui donc « il y aura un avant et un après Médiator ». « Nous le devions aux victimes et à tous les Français qui veulent être rassurés sur leur système de santé » a encore fait savoir le ministre de la Santé conscient que la confiance doit revenir après des mois de défiance dans notre système de santé. Encore faudra-t-il désormais qu’une vraie réforme s’installe à toutes les étapes de la gestion du médicament : de l’amont, au niveau de la recherche médicale publique et privée, où les liens d’intérêt devront clairement être établis, jusqu’en aval, au niveau de la prescription des médicaments comme de leur dispensation, où les professionnels de santé devront être utilement et correctement informés – par les institutions en charge des produits de santé, par les laboratoires comme par les organismes de formation continue – de tous les effets que peuvent produire les médications qu’ils délivrent.
[singlepic id=304 w=230 h=220 float=right] »La seule transparence des débats ne suffira pas »
« Le scandale du Médiator et ses graves conséquences sur la santé de centaines de personnes a sérieusement ébranlé la confiance des usagers du système de santé envers la gouvernance, l’expertise et la délivrance des médicaments », rappelle de son côté la Conférence nationale de santé (CNS) le 3 octobre dernier, à la veille du vote du texte présenté au Parlement[2]. Pour cette dernière instance, pilotée par Bernadette Devictor (photo), représentante des associations de malades (1), « le renforcement de la transparence entourant l’autorisation, le suivi et les révisions d’utilisation des produits de santé, ainsi que l’élaboration des lois qui les concernent, est une nécessité impérative, qui devra se décliner pour tous les acteurs impliqués (…) La publicité des études, débats et avis entourant le médicament, de même que les liens d’intérêt et potentiels conflits d’acteurs devront pouvoir être connus de tous et leur déclaration soumise au contrôle d’une instance indépendante. » Reste que la seule transparence des débats ne suffira pas, nous fait encore savoir la CNS. Il faudra encore lui ajouter des contrepoints, des avis et points de vue apportés par la société civile, comprenant les malades et usagers du système de santé. Ceux là même qui ont été victimes du mésusage tragique d’un médicament, tout comme ils ont pu être victimes de produits de santé insuffisamment contrôlés par nos autorités de santé. « En tout état de cause, si les études post A.M.M. devront être conduites systématiquement, pour connaître le médicament, ce ne saurait être au détriment des études préalables », avertit encore la Conférence nationale, qui en appelle à une redéfinition, à chacune des étapes de la vie d’un médicament ou d’un dispositif médical, des missions respectives des secteurs privés et publics de recherche ainsi que les conditions de leur collaboration. » Ainsi, la future Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui succède à l’actuelle Afssaps, sera chargée de renforcer la surveillance des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché. Elle devra surtout assurer la transparence des décisions prises en son sein en vue de l’autorisation de mise sur le marché des produits de santé, pour laquelle elle sera dotée « d’un arsenal de sanctions proportionnées, réellement dissuasives, tel qu’un pouvoir de sanction administrative financière », comme l’a souligné Xavier Bertrand le 27 septembre dernier lors de l’examen de son projet de loi. La transposition du système américain du « Sunshine Act [3]», imposera par ailleurs aux industriels de la santé de rendre publique l’existence des conventions conclues avec les parties prenantes intervenant dans le champ de la santé, soit avec les médecins, les experts, la presse spécialisée, les sociétés savantes et les associations de patients. En un mot, la future gouvernance du médicament imposera à toutes ces parties prenantes de laver encore plus blanc toutes les écuries qui ont pu conduire à l’incurie qui s’est trouvée révélée à travers la triste affaire Mediator !
[singlepic id=305 w=250 h=200 float=left]Nouvelles dispositions déontologiques au LEEM
Le LEEM, syndicat professionnel des industriels du médicament, a bien compris qu’avec l’affaire Mediator devait aussi se tourner une page de son histoire. Parfaitement en phase avec « les mesures visant au renforcement de la sécurité sanitaire dans l’intérêt des patients, qu’il s’agisse de la création de la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), du déploiement d’un nouveau dispositif de pharmacovigilance, ou encore de l’instauration d’un Sunshine Act à la française », le syndicat a réactivé une instance, le Comité de Déontovigilance des Entreprises du Médicament ou Codeem, qu’il avait initiée en 2010 dans le cadre de son plan stratégique. Objectif de ce gardien de la « déontologie » des industriels : « promouvoir et faire respecter les règles d’éthique de la profession », conformément aux statuts de l’organisation. Présidé par Yves Medina, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, membre de la Commission de déontologie de l’Etat, président du Cercle d’éthique des affaires (CEA), ancien associé en charge des questions de déontologie au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers, le Codeem pourra être saisi par les instances du LEEM, par une de ses entreprises adhérentes, voire par les parties prenantes du système de santé (associations de patients, ordres professionnels, autorités sanitaires ou de régulation, organisations professionnelles du secteur de la santé…). Il pourra également « s’autosaisir de toute question d’ordre déontologique ». « Il s’agit-là d’un exemple intéressant d’une autorité indépendante professionnelle qui n’aura pas été créée à l’initiative ou sur intervention des pouvoirs publics, mais à la demande de responsables professionnels élus par leurs pairs », explique son président à son installation, le 26 septembre dernier. Consignées dans un document spécifique, les dispositions déontologiques[4] seront applicables à de nombreux domaines : la promotion et les relations avec les professionnels de santé, la visite médicale, les relations avec les associations de patients, la formation médicale continue, la communication sur Internet, ou encore les relations avec la presse. Soit autant de domaines qui ont été l’objet, ces derniers mois, de critiques répétées[5] à l’encontre des pratiques d’une industrie appelée, ici aussi, à laver devant sa porte pour redresser une image fortement détériorée au yeux de l’opinion publique. « « Nous devons aux patients, aux citoyens, et à nous-mêmes, la plus grande vigilance dans la conduite de nos activités, a déclaré Christian Lajoux (photo), président du Leem, lors de l’installation du Codeem. Nos entreprises évoluent dans un environnement législatif et réglementaire parmi les plus rigoureux qui soient. S’y ajoutent des prescriptions déontologiques, d’une lecture parfois complexe, qu’il nous appartient de traduire en actes. Le Codeem doit nous y aider ».
Prisonnière d’une logique boursière qui lui impose, chaque trimestre, de démontrer qu’elle sait « créer de la valeur », l’industrie du médicament devra désormais démontrer qu’elle est bien également une industrie de recherche au service de la santé publique et des malades. Il lui faudra en conséquence réviser certaines de ses pratiques marketing les plus discutables. Sa visite médicale, en butte à de multiples remises en question, devra ainsi démontrer sa vraie valeur ajoutée. La loi médicament, en refusant de la condamner définitivement, lui a donné une dernière chance. Il appartient aux industriels de s’en saisir. Affaire à suivre.
Jean-Jacques Cristofari
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(1) Bernadette Devictor, présidente de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) de Rhône Alpes et présidente régionale du CISS a été élue le 20 juin dernier[6] présidente de la Conférence nationale de santé (CNS) où elle succède à Christian Saout. Bernadette de Victor a été élue par 53 voix, contre 32 pour Didier Houssin, ancien directeur général de la santé au ministère, actuel président de l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui avait également présenté sa candidature.
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