Le LEEM revisite sa communication avec Pharmaceutiques

Le LEEM revisite sa communication avec Pharmaceutiques
mai 23 18:32 2011 Imprimer l'article

Le syndicat professionnel des industriels du médicament (LEEM) vient de faire savoir qu’il rompt son contrat avec le mensuel Pharmaceutiques. Une rupture qui signe la fin d’une époque : celle d’une certaine conception du lobbying pharmaceutique relayé par un journal professionnel diffusé gracieusement aux élus de la Nation, et appuyé de surcroît par une manifestation annuelle, les Universités d’Eté de Lourmarin, que son promoteur, la société IMS Health, a décidé d’abandonner dans sa formule initiale. Analyse.

Début mai, l’agence de presse APM nous fait savoir que « le LEEM réduit son soutien à Pharmaceutiques« , entendu qu’il envisage de rompre un contrat initié par le fondateur du journal destinés aux industriels du médicament et à leurs prestataires, Daniel Vial, et signé avec le SNIP (1) lors de la création du mensuel, en 1991. A l’époque, le syndicat professionnel songe à lancer un journal pour promouvoir son action et celle des industriels de la branche, alors en pleine expansion. Daniel Vial, alors patron d’une société de relations publiques (PR International) qui s’imposera au fil des années comme une agence de communication et une officine de lobbying pharmaceutique parmi les plus influentes de son secteur, propose au SNIP d’externaliser son journal tout en lui permettant de conserver la main sur sa ligne éditoriale. Le contrat comportera des clauses contraignantes, par lesquelles le syndicat professionnel s’engage à payer quelques centaines d’abonnements – 500 au total, soit un chèque de 100 000 euros pour l’année 2010 (et son équivalent au prix de l’abonnement facturable durant les années qui ont jalonné la vie du mensuel) – en contrepartie d’une fourniture des sommaires du mensuel – qui se transformera par la suite en un simple droit de regard – comme sur les articles rédigés avant leur publication. Une réunion mensuelle entre l’éditeur et le syndicat fixera la feuille de route éditoriale et l’impression ne pourra se faire qu’une fois les textes lus par la direction du SNIP. Longtemps, les principaux articles du mensuel développeront ainsi des thèmes chers au SNIP pour la défense de la branche et donnera la parole aux représentants des grandes institutions coiffant cette dernière, comme aux dirigeants des principaux groupes pharmaceutiques. Des articles et dossiers étofferont une ligne de défense rigoureuse du secteur du médicament que les autorités de santé, année après année, vont progressivement entraîner à renflouer les déficits de la Sécu. Lentement mais sûrement, le mensuel s’est ainsi imposé comme une référence sur le développement du secteur pharmaceutique dont il a livré bien des clés utiles à sa compréhension, au point de constituer une source de références pour bien des rapports et ouvrages, à charge ou à décharge de l’industrie du médicament (2). Sa ligne éditoriale se démarquera cependant avec le temps de l’emprise du LEEM. Ce dernier alertera chaque mois le journal sur les évènements phares du secteur et n’exigera plus que la copie lui soit transmise avant parution. Le président du syndicat, Christian Lajoux pour la période récente – comme ses prédécesseurs-, se maintiendra en bonne place dans les colonnes du journal, sans décider toutefois des thèmes à aborder lors des interviews qui lui seront accordées et la surface concédée à ce seul syndicat professionnel s’ouvrira à d’autres – tel le LIR, le G5, le GEMME ou encore France Biotech – pour commenter les temps forts de l’actualité du médicament. Cette perte d’exclusivité de l’organisation syndicale représentative des industriels de la pharma entraînera ainsi son président à demander la rupture d’un contrat dont les termes mêmes n’ont plus d’actualité réelle à ce jour.

Le gotha de la pharma à Lourmarin

Car entre temps, Pharmaceutiques a quitté le giron de la « maison Vial » et de son agence, PR Editions, qui a été vendue en 2004 au groupe IMS Healthqui deviendra IQVIA par la suite -, société de services et de conseils, leader mondial des données sur le médicament. A travers cette vente, IMS devient ainsi propriétaire d’un journal bien installé dans sa « niche », mais se donne également un accès direct et privilégié à un évènement phare de la pharma française, les Universités d’été de Pharmaceutiques. Lourmarin où se tiennent ces Universités, devient ainsi chaque année, en septembre, le lieu privilégié où se précipite le gotha de cette même pharma pour, une journée et demi durant, échanger avec ceux qui, au sein des institutions en charge du médicament, font la pluie et le beau temps. Les thèmes soigneusement choisis par le maître de séance et fondateur de la formule – Daniel Vial-, en amont de la manifestation et en concertation avec des représentants de la branche comme des autorités de santé (3), doivent moins à l’actualité – même s’ils s’efforcent d’y coller au plus près – qu’à la volonté de placer des intervenants clés et très « VIP » dans la branche à la tribune. Cette plateforme d’échanges entre industriels du médicament – les prestataires autrefois sponsors de la manifestation ont été interdits d’accès par IMS -, politiques de tous bords et décideurs des institutions en charge de la pharma a ainsi permis 14 années durant de consolider des liens entre les uns et les autres de manière plus informelle et conviviale. Une fois leur journée et demi de travaux achevés (4), quelques privilégiés, triés sur le volet, ont accès à la demeure privée du maître de cérémonie, qui se situe à proximité de la commune de Lourmarin.

Reste désormais que la formule du huis-clos industrie – autorités de santé – politiques semble avoir vécu. Car entre temps l’affaire du Mediator s’est brutalement imposée sur la scène médiatique et avec elle l’incontournable question des « conflits d’intérêt ». Conscient qu’il n’était guère possible de faire perdurer un tel séminaire fermé à la presse et où les industriels qui payent pour y accéder – autour de 4000 euros – financent, à quelques exceptions près, la présence des politiques, des représentants des autorités de santé et des intervenants à la tribune (souvent les mêmes), la société IMS a décidé de mettre fin à cette opération d’échanges concertés de plus en plus critiquée. Ce d’autant que le LEEM, associé de longue date à la démarche, vit pour l’heure – et depuis quelques semaines – des heures difficiles, tant au sein de la mission parlementaire sur le Mediator que dans l’enceinte des Assises du Médicament où les attaques sont assez directes à l’encontre de la politique promotionnelle des industriels de la pharma. L’initiateur de la formule mise en oeuvre à Lourmarin, Daniel Vial, devenu entre temps « conseiller spécial » du dg de Sanofi, Chris Viehbacher, voit ainsi l’un des fleurons de son action passée disparaître au profit d’une opération davantage banalisée. IMS a ainsi fait savoir que ses « Universités d’été » se tiendront en 2011 en décembre – les 2 et 3 décembre selon l’APM -sous une formule différente, discrète, moins « people ». L’Université d’été se tiendra à Strasbourg, mais à l’automne.

Le LEEM a également fait savoir qu’il revisitait sa communication globale, dont ses liens avec le mensuel Pharmaceutiques font partie. Une remise à plat qui porte sur ses partenariats, ses formats de communication, commente à l’APM son directeur général, Philippe Lamoureux, qui estime que son organisation ne peut plus « se cantonner dans une communication traditionnelle ». 20 ans après sa création, le mensuel, désormais propriété à part entière de IMS – bien ancré dans le monde de la pharma pour lui vendre des données sur le médicament – prend enfin son indépendance face à une organisation professionnelle qui l’a aidé à se mettre sur orbite. Solidement doté en publicité et en abonnements payants (3 800), le journal ne verra pas son équilibre financier menacé. Son directeur, Nicolas Bohuon, aux commandes de PR Edition depuis 2008, espère d’ici 2012, date effective de la résiliation du contrat avec le LEEM, pouvoir conclure un autre contrat avec le syndicat. Car il sait que ce dernier a tout intérêt à ce que les parlementaires continuent à recevoir une information sectorielle ciblée. Sans doute que le LEEM reverra ses ambitions à la baisse pour l’achat groupé de ses abonnements. Au total, ce désengagement est de nature à clarifier les relations entre un éditeur adossé à un groupe américain pourvoyeur de données sur le médicament et un syndicat professionnel national dont les moyens consacrés à sa communication – 3 millions d’euros annuels sur un budget de 22 millions – devrait lui suffire à se faire entendre.

Jean-Jacques Cristofari

NB : l’auteur a été journaliste pour Pharmaceutiques 17 ans, dont trois comme rédacteur en chef (de 2007 à 2010)

(1) Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, dénomination qui a précédé celle du LEEM (Les Entreprises du Médicament)

(2) Stéphane Horel dans son ouvrage « Les médicamenteurs » (Editions du Moment, 2010) cite abondamment Pharmaceutiques. Le journal lu par les parlementaires, auxquels il est distribué gracieusement, est devenu un titre de référence lors des dernières auditions au Sénat sur l’affaire du Mediator.

[singlepic id=200 w=320 h=240 float=left](3) Noël Renaudin, ancien patron du Comité économique des produits de santé (CEPS) participera ainsi régulièrement aux réunions préparatoires de Lourmarin, qui se tiennent généralement en juin à Paris en présence de patrons de la pharma française triés sur le volet par la direction d’IMS. Ce dernier sera notamment épinglé par le sénateur François Autain, lors de l’audition de la mission commune d’information sur le Médiator. Interrogé sur sa présence à Lourmarin, M. Renaudin confiera, non sans humour avoir « participé à toutes ces universités d’été mi-septembre, où j’interviens le vendredi après-midi et le samedi pour exposer à l’industrie la politique du gouvernement dans le domaine du médicament ». Une mission qu’il confesse réaliser « par devoir » : « au demeurant, il n’y a là rien d’un plaisir », a-t-il ajouté : « je sors épuisé de cet exercice difficile. Si je le pouvais, je me passerais d’y assister professionnellement. » On comprend désormais mieux pourquoi le haut fonctionnaire a pu mettre tant de soins à confectionner des cocottes en papiers lors des réunions de Lourmarin !

(4) Lourmarin s’est généralement divisé en trois séances : politique de santé nationale, politique industrielle du médicament et affaires internationales (Europe/USA). Les (ou la) ministres de la Santé ont toujours été présents pour cet évènement de la rentrée, qui précède les débats parlementaires sur la Loi de financement de la Sécu. Un calendrier qui ne doit rien au hasard !

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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