by Jean Jacques Cristofari | 13 novembre 2010 2 h 02 min
Alors que le Parlement se prépare à achever ses débats autour du projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2011, le club qui réunit les 5 laboratoires français leaders sur le marché hexagonal, sous le nom de G5, fait part de ses inquiétudes. Elles rejoignent celles exprimées par ailleurs par le LEEM.
Le maintien de la solvabilité du système de protection sociale est, nous précise le G5 (1) « un objectif d’intérêt général ». Il est vrai que toute remise en question de cette solvabilité, assurée pour l’essentiel par les trois grands régimes de l’assurance-maladie et assise majoritairement sur les cotisations de salariés, tendrait immanquablement à diminuer la prise en charge des prestations médicales et médicamenteuses délivrées aux assurés sociaux. Une prise en charge qui subit depuis quelques années de sérieux coups de canifs, par le biais des franchises et autres déremboursements imposés par les récents plans de sauvetage de l’assurance-maladie, en prise, faut-il le répéter, à des déficits abyssaux (11,5 milliards d’euros en 2009, 14,6 milliards en 2010 et 13,7 milliards prévus pour 2011). Certes, le G5 ne nie aucunement la nécessité de procéder au redressement des finances publiques. Mais il s’inquiète des effets délétères que pourrait produire de nouvelles mesures prises à l’encontre du médicament, principalement sur l’outil industriel, que le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) d’octobre 2009, entend défendre et préserver autant se faire que peut dans une compétition internationale accrue. Au nombre des mesures qui inquiètent les industriels français, l’abaissement du taux de croissance autorisé du chiffre d’affaire de 1 % à 0,5 %. Un taux dit K (2), au delà duquel les industriels sont contraint de reverser une part de leur chiffre d’affaire excédentaire. Sur un marché pharmaceutique qui ne croît guère à plus de 1 % depuis 3 ans, le risque n’est certes pas très élevé de ristourner des sommes en dépassement, pour ceux qui, parmi les industriels de la pharma, n’ont pas signé d’accord conventionnel avec le comité économique des produits de santé (CEPS), présidé jusqu’à ce jour par Noël Renaudin, sur le départ pour la Haute Autorité de Santé (HAS).
Menaces sur le médicament
Les baisses de prix et les limitations de volumes inscrites dans le PLFSS pour 2011 (pour 625 millions d’euros d’économies attendues), tout comme les nouveaux déremboursements par baisses des taux de 35 à 30 % sur les produits à service médical rendu insuffisant (165 millions de restes à charge transférés aux patients) inquiètent également les membres du G5. Tout comme les mesures qui risquent de frapper les médicaments vendus à l’hôpital (355 millions attendus) ou encore ceux prescrits par les 15 000 médecins traitants ayant signé un CAPI (3) avec les caisses d’assurance-maladie (550 millions d’économies attendues). Sans omettre la remise en cause des mesures incitatives pour les entreprises qui développent des médicaments orphelins, une mesure qui a cependant été rejeté par la ministre de la Santé lors des débats parlementaires. Soit au total, une série de disposition qui n’ont pour vertu que d’apporter quelques recettes de poches supplémentaires à un assurance-maladie en quête permanente d’économies.
Un poids économique certain
Aussi le G5, comme tous les ans à la même époque, entend rappeler le poids que représente ses membres au sein d’une branche qui vit pour l’heure un changement de modèle économique sans précédent du fait de la perte de ses grandes molécules phares. Soit un CA de quelque 5,83 milliards d’euros de médicaments remboursés en ville comme à l’hôpital, des emplois qui s’élèvent à près de 44 000, des dépenses de recherche qui, avec 2,44 milliards d’euros engagés, équivalent à 47 % du CA France de ces mêmes labos, des investissements à hauteur de 1,09 milliard ou encore le paiement d’impôts et de cotisations sociales par les membres du G5 pour quelque 2,5 milliards d’euros. « L’ampleur de ces chiffres souligne bien l’enjeu essentiel de développer les infrastructures permettant à la France de continuer à figurer, dans les prochaines décennies, parmi les tous premiers acteurs mondiaux de l’innovation biomédicale », note à cet égard le G5 qui souhaite que les Parlementaires mesurent l’impact de leurs décisions relatives aux économies annoncées en termes d’emploi, d’investissement et de recherche. Ce d’autant que du côté de l’assurance-maladie, le directeur de l’UNCAM, Frédéric Van Roekeghem, regarde avec quelque envie non dissimulée ce que pratiquent depuis quelques années ses homologues de l’autre côté du Rhin, dans une Allemagne qui cultive le blocage des prix et les prix de référence des médicaments (« Jumbo Groupes » qui se sont étendus jusqu’aux produits sous brevets), assortis de pratiques de discounts obligatoires (jusqu’à 30 %) entre caisses maladie et génériqueurs. Une idée qui fait son chemin dans les rangs des mutuelles française, dont celle des Cheminots (encore eux !) qui voudrait faire chuter les prix des génériques en imposant à leur fabricant des rabais obligatoires. A l’heure où la Sécu s’installe, faute de recettes suffisantes, dans une stratégie de survie à crédit (cf. notre article « PLFSS 2011, la dette sociale passe aux générations futures »[1]) les scénarii vont bon train pour, une fois encore, faire payer la note aux producteurs de médicaments dont les groupes dégagent de confortables bénéfices malgré la crise économique ambiante.
« Les outils performants de politique industrielle actuellement en vigueur, comme le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et le régime de taxation des revenus des brevets, qui ont permis des résultats encourageants et sont avalisés par les autorités européennes, doivent être maintenus », ajoute le G5 pour qui une visibilité fiscale de long terme est « un atout majeur pour la France lors de la décision de localisation d’investissements de recherche de plus de 12 ans. » A l’heure où les big pharma délocalisent leur recherche sur les pays émergents, le message sonne comme un ultime cri d’alarme. Mais nos parlementaires en prise avec des déficits sociaux qui pèsent plusieurs fois le CA annuel du médicament en France (de l’ordre de 25 milliards d’euros) risquent de ne plus l’entendre dans le concert des exigences de Bruxelles.
Jean-Jacques Cristofari
(1) le G5[2] réunit au sein d’une structure informelle les laboratoires suivants : Ipsen, Pierre Fabre, sanofi-aventis, Servier et le LFB. Ensemble ils réalisent un chiffre d’affaires de 34 milliards d’euros (6,5 % du CA total de l’industrie) et investissent 5,84 milliards d’euros en R&D (9 % du total de la branche en France). Les 5 emploient près de 44 000 salariés, y réalisent un excédent de 7 milliards d’euros pour la balance commerciale française.
(2) L’article 31 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a institué une clause permanente de sauvegarde . L’objectif de ce mécanisme est la régulation des dépenses de santé par une responsabilisation des entreprises du médicament. Ce dispositif consiste dans le versement, à l’assurance maladie, d’une contribution des laboratoires pharmaceutiques lorsque leur chiffre d’affaires global hors taxes réalisé en France au titre des spécialités remboursables a crû plus vite qu’un taux de progression défini en loi de financement de la sécurité sociale. Ce taux a été de 1,4 % dans le passé. Le mécanisme a été expliqué dans un rapport du Sénat[3] remis par Jean-Jacques Jégout.
(3) Contrat d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI[4])
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L’avertissement du BIPE
Dans une étude sur l’Impact économique des entreprises du G5, publiée en avril 2010, le BIPE, société de conseil en stratégie spécialisé dans la prévision économique et la prospective, met en garde sur l’effet négatif d’une trop forte régulation des dépenses de santé. Extraits
« Ce n’est sûrement pas le moment de donner des signaux négatifs pour l’attractivité de la France ! Il faut continuer à encourager la recherche en sciences du vivant et la production des industries de santé par des mesures concrètes : l’amélioration du crédit d’impôt-recherche et les mesures initiées par le Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS) en octobre 2009 sont des signes encourageants. La conclusion des Etats Généraux de l’Industrie, en mars 2010, par le Président Nicolas Sarkozy, a fixé des objectifs ambitieux à la nouvelle politique industrielle. Le secteur pharmaceutique avec un excédent commercial en 3ème position des excédents sectoriels industriels de la France est un des relais naturels de cette politique. Mais dans le contexte concurrentiel qui a été décrit, il faudra s’en donner les moyens. »
S’interroger sur le « bon » niveau de régulation
« De même que le rééquilibrage des comptes sociaux sera long et difficile, de même le travail de valorisation et de développement de nos atouts nationaux – ici les industries de santé – devra être permanent. Ceci conduit à s’interroger sur le « bon » niveau de régulation. D’une part, nous ne pouvons plus continuer à reporter des déficits. D’autre part, l’évolution des dépenses de médicaments est déjà bien maîtrisée [le marché remboursable a eu une évolution moyenne de +1,9 % par an sur les quatre années 2006-2009 contre 6% en moyenne auparavant]. Une pression supplémentaire ferait gagner peu à l’assurance-maladie [au regard de sa problématique, d’une toute autre dimension, qui a besoin de réponses structurelles] mais pourrait faire perdre davantage au pays, en investissements et en emplois futurs. »
Rechercher un pilotage coordonné
« La stratégie de la France doit couvrir un continuum allant de la recherche la plus fondamentale jusqu’au marché pharmaceutique, en couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur (recherche, développement, production, enregistrement, évaluation, régulation). Un pilotage coordonné, sur le long terme, entre santé publique, comptes sociaux, politique industrielle et de recherche doit être recherché. »
Pour accéder à l’étude, cliquez ICI[5]
Source URL: http://pharmanalyses.fr/industrie-pharma-les-labo-francais-inquiets-pour-leur-avenir/
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