by Jean Jacques Cristofari | 30 novembre 2010 14 h 16 min
La Commission mixte paritaire du Sénat et de l’Assemblée nationale a adopté, fin novembre, le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2011. Si le texte final ne crée guère de surprise par rapport au projet initial du gouvernement, les hypothèses sur lesquelles s’appuient les prévisions de déficits comme de rétablissement des comptes sociaux laissent ouvertes bien des questions. La loi qui vient d’être votée combine volontarisme, optimisme et régulation au moment même où le système de santé va être soumis à des turbulences sans précédent, conséquences d’une autre loi, dite HPST, qui concerne la gouvernance même de la santé sur l’ensemble des régions du pays. La LFSS pour 2011 donne une feuille de route sur laquelle le maître mot est « économie sur les dépenses ».
Le déficit de l’Etat baissera en 2011, c’est promis ! La note, qui génère le paiement d’intérêts conséquents, chutera de 152 à 92 milliards d’euros. Une baisse qui s’explique par la fin des mesures associées au Plan de relance et au Grand Emprunt, et qui ne trouve pas de sources nouvelles du côté des recettes courantes, assises pour l’essentiel sur une évolution spontanée des assiettes, les 10 milliards récupérés sur les niches fiscales étant amenés à renflouer les comptes de la Sécu. Des comptes qui ont été arrêtés pour cette dernière, en 2010, à quelque 407,7 milliards d’euros pour ce qui concerne les prévisions de recettes de l’ensemble des régimes obligatoires, face à des dépenses qui s’élèveront à 434,1 milliards d’euros. Soit un « trou » de 26,5 milliards, dont 11,9 milliards sont imputables à la seule branche maladie. Le seul régime général de la Sécu affichera pour cette année des prévisions de recettes à 142,5 milliards pour 154,6 milliards de dépenses, soit un déficit de 24,8 milliards d’euros, dont 12,1 milliards pour la maladie.
Des hypothèses d’évolution optimistes
Pour 2011, nos parlementaires ont arrêté des comptes qui ne seront guère meilleurs, avec des prévisions de recettes, pour tous les régimes obligatoires de la Sécu, fixées à 426,7 milliards d’euros et à 306,7 milliards pour le seul régime général. La branche maladie, tous régimes confondus, enregistrera un déficit de 11,3 milliards d’euros (183,5 milliards de dépenses pour 172,2 milliards de recettes), soit la moitié du déficit total de la Sécu (22,4 milliards). L’ensemble de ces prévisions est bâti sur des hypothèses d’évolution moyenne du Produit intérieur brut (PiB) de 2 % l’an prochain (contre 1,5 % cette année), mais surtout d’une progression de la masse salariale de 2,9 %, qui devrait s’envoler à 4,5 % les années suivantes. L’Objectif national d’évolution des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) est de son côté programmé à la baisse, de 3 % cette année à 2,9 % en 2011, puis à 2,8 % les années suivantes. « La masse salariale du secteur privé, principale assiette des recettes de la sécurité sociale, suivrait la reprise de l’activité économique et de l’emploi avec un certain décalage en 2010 et 2011, puis rattraperait une partie de son retard sur le PIB à partir de 2012 », nous indique le texte du projet de loi adopté le 24 novembre. Un scénario que les parlementaires considèrent « réaliste, en ce qu’il traduit un rattrapage très partiel des pertes considérables de croissance enregistrées en 2009 et au cours de la première partie de l’année 2010. » Mais une hirondelle parlementaire, même si elle décolle en novembre, ne fait pas pour autant un printemps économique, et les scénarii de redressement économique envisagés sont davantage basés sur des hypothèses favorables que sur des certitudes de reprise. Une reprise encore bien timide, malgré la très légère décrue du chômage enregistrée en octobre, et que les attaques répétées sur la monnaie européenne pourraient rapidement contratrier.
Nouvel effort sur les dépenses
Aussi faute de merles, les députés et sénateurs nous invitent à nous restreindre sur les grives. Si les recettes ne sont pas au rendez-vous – et comment pourraient-elles l’être si l’on n’augmente pas les impôts et autres taxes, notamment sur la CSG – il faudra donc une fois encore envisager de réduire les dépenses. « Le renforcement des efforts de maîtrise des dépenses sociales, afin qu’elles continuent à rendre aux Français des services de qualité pour un coût sans cesse réduit, sera à cet égard décisif », nous indique le rapport final sur la LFSS. Si les retraites ont été placées « en équilibre financier à l’horizon 2018 » grâce à la CADES (1), les dépenses maladie sont invitées à suivre très rigoureusement l’ONDAM arrêté à 2,9 % pour l’an prochain et moins les années suivantes.
Faire des économies supplémentaires
« Les objectifs fixés en matière d’assurance maladie consistent donc à stabiliser la progression des dépenses au rythme très modéré qu’elles connaissent actuellement, sans remettre en cause le haut niveau de qualité des soins », nous expliquent encore les parlementaires. Il faudra encore vérifier si ce couple – réduction des dépenses/haut niveau de qualité des soins – est opérant. Ces mêmes parlementaires misent à cet égard sur les outils de la maîtrise médicalisée créés par la réforme de 2004, celle-là même qui a été promue par le nouveau ministre du Travail et de la Santé, M. Xavier Bertrand. Des outils qui « ont permis de modifier durablement les comportements en matière de recours aux soins des assurés et de production de soins des offreurs », nous est-il expliqué. Les médecins seront ainsi heureux d’apprendre que le PLFSS signe la fin de la « maîtrise comptable » pour un retour aux sources vertueuses de la « maîtrise médicalisée ». Si tout fonctionne comme attendu dans le cadre des objectifs fixés, ce sont 2,3 milliards d’économies supplémentaires qu’il faudra cependant réaliser chaque année. « Et davantage encore si la construction de l’ONDAM comporte des mesures positives en matière de prise en charge des soins ou de revalorisations des tarifs des actes pratiqués par les professionnels de santé », nous dit le rapport, en précisant plus loin que « l’ajustement des tarifs des actes médicaux sera permis par les gains de productivité réalisés par certaines professions médicales ». Les autres professions pressenties apprécieront.
Aussi un ONDAM à 167,1 milliards d’euros pour 2011 imposera de réaliser 2,1 milliards d’économies. Mais comme des revalorisations de tarifs de certaines professions de santé (généralistes, sages-femmes, dentistes, transports) sont d’ores et déjà programmées, il faudra réaliser 2,4 milliards d’économies, soit 300 000 euros supplémentaires. En un mot, avec des recettes peu évolutives, le Parlement vient d’institutionnaliser, comme les années précédentes, la mise au régime forcé de l’assurance-maladie. Il précise dans ce cadre les leviers sur lesquels l’assurance-maladie pourra agir : notamment sur les prix des produits de santé et les tarifs des différents offreurs et producteurs de soins – médecins ou hôpitaux inclus – ou encore « par un déploiement de la politique de maîtrise médicalisée des dépenses et de gestion du risque sur l’ensemble des segments de l’offre de soins, ambulatoire, hospitalier et secteur médico-social. » Le CAPI ou contrat d’amélioration des pratiques individuelles, signé par 15 000 médecins, a de beau jour devant lui !
Dynamique des recettes sociales
Enfin, d’autres outils sont pressentis dans la régulation à venir des dépenses. Au nombre, les parlementaires placent l’amélioration de l’offre de soins, de la performance hospitalière ou encore le développement de maisons de santé pluridisciplinaires, ajoutés au développement de parcours de soins dont on ignore cependant la trajectoire. Mais plus qu’une réorganisation adaptée du système de soins à une meilleure prise en charge des malades chroniques et du vieillissement, c’est à des procédures de suivi et de régulation de l’exécution de l’ONDAM que songe la LFSS. Selon une procédure bien française, des mécanismes d’alerte et de mise en réserve sont prévus pour contourner toute velléité du système à laisser filer ses dépenses. Plus de 500 millions d’euros de crédits ont déjà été mis en réserve et 530 autres millions d’euros de crédits le seront en 2011. L’imagination administrative est sans limite quand il s’agit d’encadrer des dépenses, faute de les assortir des moyens nécessaires. Sur ce dernier point, la LFSS prévoit une « dynamique des recettes sociales » qui s’assoit sur des projections qui font état d’une progression moyenne de 4,1 % par an des produits nets du régime général. Traduit autrement : « Cette évolution découle notamment des hypothèses macro-économiques retenues dans les projections qui accompagnent le présent projet de loi de financement, et de celle relative à la masse salariale du secteur privé, principale assiette des ressources de la sécurité sociale, caractérisées par une accélération progressive de la croissance de l’activité économique ». Langue de bois administrative mise à part, il ne reste plus qu’à espérer que cette croissance tant attendue sera au rendez-vous ! Le Premier ministre, François Fillon, a annoncé lors de son récent discours de politique générale à l’Assemblée nationale, qu’il entendait placer l’avenir du financement de l’assurance-maladie au rang de ses priorités pour 2011. Les associations de patients, qui seront à l’honneur en 2011 – « Année des patients et de leurs droits « , selon les intentions initiales de Roselyne Bachelot[1] – sont impatientes d’apprendre quelles réponses seront données à cette lancinante question du financement de la santé en France.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Le projet de loi de financement prévoit le financement de l’amortissement par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) des déficits de la branche Vieillesse du régime général ainsi que du fonds de solidarité vieillesse, et ce grâce à la mobilisation des ressources et des actifs du Fonds de réserve pour les retraites. Au total, ce sont 130 milliards d’euros de dette sociale nouvelle qui seront transférés à la CADES. Celle-ci verra ainsi plus que doubler son objectif d’amortissement.
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