by Philippe Rollandin | 6 octobre 2020 15 h 52 min
Dans le contexte de résurgence de l’épidémie, concilier impératifs économiques, contraintes sanitaires et mouvements de l’opinion est un exercice de haute voltige. Explications.
Un rythme de 10 à 12 000 nouveaux cas détectés chaque jour depuis le mois de septembre, un taux de positivité qui passe de 3 à 6 ou 7 %, des hospitalisations qui augmentent et des admissions en réanimation en progression sensible et des clusters qui apparaissent quotidiennement par dizaines : telle est aujourd’hui – à grands traits – la situation sur le front du Covid. Elle amène à se poser la question de savoir si le Président et le gouvernement ont raté le déconfinement après avoir réussi le confinement.
De fait, celui-ci, après les grands cafouillages du début – mensonges sur les masques, erreurs de communication, impréparation à une crise sanitaire majeure – a permis de réduire le taux de circulation du virus, de 3 en février à 0,6 en mai et d’éviter, de justesse, l’explosion du système hospitalier.
Oui, mais voilà, depuis la rentrée, l’épidémie est en pleine résurgence, le fameux rebond arrive au point que l’hypothèse de reconfinements locaux, voire d’un reconfinement général est sur la table.
Pour répondre à cette question de l’échec, il faut se dégager de l’écume des jours et oublier les débats violents et les polémiques acides qui enflamment les plateaux des chaines d’info en continu et les réseaux sociaux pour prendre en compte des éléments aussi objectifs que possible.
Remettre la machine en route
Pouvait-on maintenir le confinement jusqu’à obtenir un taux de circulation du virus de 0, ce qui aurait conduit à le prolonger jusqu’à une échéance inconnue ? Avec un taux de 0,6, tous les médecins se sont accordés – pour une fois – à considérer que l’épidémie était sous contrôle. Il fallait bien, à un moment donné, remettre la machine sociale et économique en route et s’habituer à vivre avec le virus, comme dit Emmanuel Macron.
Il faut néanmoins comprendre que le déconfinement est une acceptation de la part du risque. Inévitablement, il allait se traduire par une remontée du taux de circulation et donc des cas à prendre en charge. De fait, la reprise des échanges sociaux et économiques induit, malgré les mesures protectrices – masques, distanciation, gestes barrières, consommation massive de gel, limitation des rassemblements etc.- une remontée du taux de circulation, toutes ces mesures ne pouvant permettre d’atteindre l’inaccessible « risque zéro ».
Dès lors, la question qui se pose est de savoir à partir de quel taux de circulation, le virus est de nouveau hors de contrôle, comme au début de la crise. Ce point n’est pas tranché. Le taux de circulation est remonté à 1,3 depuis la mi-septembre, ce qui a justifié de nouvelles mesures contraignantes mais pour autant, l’épidémie semble encore sous contrôle. En effet, la montée des hospitalisations et celle des admissions en réanimation, ne sont pas parallèles à celles des cas détectés. Ceux-ci concernent majoritairement la population jeune (18-45 ans), atteinte de forme légères.
Mêmes tendances au plan international
Au plan international, la résurgence de l’épidémie est une réalité. Les chiffres peuvent varier d’un pays à l’autre mais la tendance est la même et tous prennent des mesures visant à l’endiguer. Israël a reconfiné, le Royaume-Uni a isolé plusieurs quartiers de Londres et ordonné aux étudiants de ne pas sortir de leur chambre de 3 m2 et fermé les pubs. En Espagne, une partie de Madrid est reconfinée, de même que Montréal et Québec au Canada. En Allemagne – pays souvent cité en exemple – le taux de positivité progresse sensiblement et la Chancelière Merkel redoute à court terme, l’apparition de 19 000 cas par jour, et à New-York, le maire envisage de reconfiner plusieurs quartiers dont Brooklyn et le Queens.
La politique du yoyo
Ce rapide et incomplet tour d’horizon montre que les dispositions prises en France sont plutôt moins contraignantes, traduisant une situation épidémiologique maîtrisée. Alors pourquoi ce déchaînement de violences, d’attaques et d’accusation d’incompétence ?
On peut comprendre l’exaspération des cafetiers-restaurateurs, lassés de jouer au clignotant belge avec leur établissement, un coup ouvert, un coup fermé, et celle des Marseillais, découvrant que la méthode de leur grand gourou blanc ne les protège pas de la maladie dès lors que le virus circule vraiment dans la ville et qui vont sans doute jeter les Mug à son effigie.
Et que dire des entreprises obligées de revoir leur organisation et leurs relations sociales face à l’épineuse question du télétravail. Elles se perdent en conjectures sur le fait de savoir s’il faut le pérenniser et le généraliser au risque de perdre la dynamique et la cohésion de groupe inhérentes au présentiel – avec l’incontournable machine à café – ou de le fractionner.
Les universités ne sont pas mieux loties avec leurs amphis bondés ne permettant pas la distanciation sociale et les soirées étudiantes, devenues une des premières sources d’apparition de clusters…
Un bateau en pleine tempête
L’opinion a du mal à suivre les injonctions contradictoires. Avec cet insaisissable virus, le pays et le gouvernement sont dans la situation d’un bateau en pleine tempête, essuyant des bordées qui viennent tantôt de la gauche, tantôt de la droite et contraints de donner des coups de barre tantôt à bâbord, tantôt à tribord.
Le problème du Président est d’être aux commandes d’un paquebot embarquant 67 millions de passagers qui supportent de moins en moins la tempête et qui ont des intérêts contradictoires.
Pour décider, il doit s’en remettre à des médecins qui s’écharpent sur la gravité du rebond. Entre ceux qui estiment qu’il est inutile de prendre des mesures trop restrictives et ceux qui estiment que celles retenues ne sont pas suffisantes, la décision n’est pas facile à prendre, d’autant qu’il faut tenir compte des impératifs économiques.
Entre un virus imprévisible, une opinion au bord de la crise de nerfs, une économie dans le plongeon, des groupes sociaux et économiques en ébullition, une opposition aux aguets, le gouvernement est confrontée à une impossible gestion politico-sanitaire qui consiste à trouver le bon équilibre entre l’économie et les impératifs sanitaires. D’où cette gestion chaotique
Protéger, tester, isoler
La gestion à la godille aurait pu être comprise si elle n’avait pas commencé par un grand bug.
La stratégie du déconfinement a été décidée en mai parce qu’on disposait enfin des moyens de mettre en œuvre le fameux triptyque de l’OMS : protéger, tester, isoler.
Pour la protection, après la pénurie, on regorge de masques, désormais en vente à tous les coins de rue au point certaines entreprises ne savent plus quoi faire de leur stock.
Pour les tests aussi, on est paré et on tient à le faire savoir. Il faut voir la fierté et l’œil gourmand d’Olivier Véran expliquant que la capacité de tests était d’abord de 700 000 par semaine, puis de 1 million et enfin 1,3 million. On se croirait au Téléthon lorsque le compteur des dons s’affole.
Sans doute pour faire oublier les mensonges du début sur les masques et les tests qui ne serviraient à rien, le gouvernement a décrété l’open bar sur les tests. Tout le monde, sans restriction peut aller se faire tester, autant de fois qu’il le veut et aux frais de l’Assurance-maladie qui n’est plus à quelques millions de déficits près.
Après le fiasco, la pagaille
Le ministre de la santé n’a pas anticipé que cet appel d’air allait inévitablement provoquer un embouteillage aux portes des laboratoires d’analyse avec des jours d’attente pour le test et plus encore pour avoir les résultats, ce qui est aberrant, vu que la transmissibilité du virus est forte les premiers jours. Cet afflux de demande a pris de court l’Assurance-maladie, chargée de la traçabilité des cas contacts et rien n’a été prévu pour assurer et s’assurer de l’isolement des positifs, surtout asymptomatiques.
Le gouvernement tente de rattraper ce fiasco en instaurant une sorte de priorisation pour l’accès aux tests en faveur de ceux présentant des symptômes, fièvre, perte du goût, etc. Fondée sur du déclaratif, cette priorisation risque de faire exploser le nombre de fiévreux et d’agueusiques.
Cette pagaille a donné l’image d’un grand ratage et a reposé la question de la gestion de la crise.
Dans la première phase, il avait été beaucoup reproché au gouvernement de prendre des mesures sans concertation avec les élus locaux et uniformes sur tout le territoire. Le confinement obéissait aux mêmes règles sur l’ensemble du pays. Il était aussi strict à Paris ou à Mulhouse – là où l’épidémie était la plus violente – qu’en Lozère où l’hôpital de Mende attend toujours son premier patient Covid.
Changement de programme
Avec l’arrivée de Jean Castex – chantre des territoires – à Matignon, changement de programme. Le gouvernement initie une baroque stratégie de déconcentration-décentralisation puisque les décisions devront être prises par le désormais célèbre couple préfet-maire en fonction des situations épidémiologiques locales. Et là, qu’a-t-on entendu de la part de ces mêmes élus qui déploraient leur mise à l’écart ? Que l’Etat se défaussait de ses responsabilités pour leur faire porter.
Drôle de pays, tiraillé entre sa tradition jacobine et ses aspirations girondines. Quand les dispositions sont générales, il dénonce l’absence de prise en compte des particularités locales et quand elles sont différenciées, il dénonce l’inégalité de traitement, comme l’ont fait les Marseillais lorsque la fermeture des bars leur a été imposée en septembre alors que « pour les Parisiens » comme ils disent, l’ouverture était maintenue, oubliant qu’à ce moment-là, la circulation du virus était moindre dans la Capitale que sur le Vieux Port. Mais, cette « injustice » n’a plus cours depuis le 6 octobre : le couperet est tombé sur les bars parisiens.
Le Président et le gouvernement sont priés de se débrouiller avec cette contradiction. Et il n’est pas au bout de ses peines et la politique du « yoyo » obligeant à alterner mesures restrictives et lever de ces mesures a de beaux jours devant elle, tant la volatilité du virus est grande. Il est frappant de constater que dès que des mesures limitant les contacts sont prises, la circulation du virus diminue rapidement et que dès leur levée, elle reprend.
Pourtant, malgré les crispations et les contestations, les mesures barrières – en particulier le port du masque – sont globalement bien respectées.
Vivre avec le virus n’est pas une partie de plaisir, ni pour les individus, ni pour les pouvoirs politiques. Vivement le vaccin…
Philippe Rollandin
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